Le voyage dans le temps (ou à travers les temps) est un vieux rêve de l’humanité, qui, comme tous les vieux rêves de l’humanité, a trouvé sa place (privilégiée) dans la littérature (et dans les arts, ceux du temps – le cinéma et la bande dessinée – comme ceux qui, a priori, ignorent le temps). L’œuvre de H.G. Wells, The TimeMachine (1895), est sans doute la plus célèbre parmi les fictions qui inventent des dispositifs permettant de se déplacer dans le temps. Ce que ce colloque se propose de faire, c’est de voir en quoi la littérature elle-même peut fonctionner comme une machine à voyager dans le temps.
Voici les axes de réflexion, qui n’ont rien d’exclusif (pour les arts visuels et l’architecture, voir le point 9) :
1. Les machines à voyager dans le temps ne seraient-elles pas des figurations autoréflexives de la temporalité littéraire, ou des pratiques littéraires du temps ? Il est possible que les objets liés au temps (que ce soient ceux qui permettent de voyager dans le temps ou ceux qui permettent de « mesurer » le temps – sablier, montre, horloge, cadran solaire…) constituent, pour reprendre le mot de Luc Fraisse et Éric Wessler, des « miniatures » de la littérature. Et que dire des dispositifs optiques que sont l’appareil photo, la caméra ou le télescope, qui tous provoquent (selon des modalités diverses) un déplacement dans le temps ? Dans Violation defrontières (1951), Jules Romains s’interroge ainsi sur ce qu’on peut appeler l’effettélescope, c’est-à-dire sur la juxtaposition, sur une même surface perceptive, de plusieurs temps hétéroclites.
2. Mais d’abord, qu’est-ce que le temps en littérature ? Il y a le temps de la genèse de l’œuvre, celui de la lecture, celui de la diégèse ; sans compter que les romanciers se risquent parfois également à théoriser le temps (c’est le cas de Thomas Mann dans La Montagne magique, mais aussi de Duhamel, pour qui « le personnage principal des [romans-fleuves] est le temps »). En outre, le temps du roman n’est pas celui de la poésie ou celui du théâtre. Y a-t-il une temporalité ou des pratiques du temps propres à chaque genre ?
3. Nous accueillerons avec plaisir des communicants se proposant d’analyser les motifs (rêve, portail temporel…) et les dispositifs narratifs, rhétoriques ou poétiques (analepse, prolepse, récits emboîtés, simultanéisme littéraire – voir l’ouvrage dirigé par Dominique Viart, Jules Romains et les écritures de la simultanéité) produisant des agencements temporels intéressants.
4. Qu’est-ce, par ailleurs, qu’un voyage dans le temps ? En quoi le voyage dans le temps est-il un voyage ? Et surtout, d’un point de vue littéraire, le voyage dans le temps forme-t-il un genre à part entière, ou doit-il être considéré comme l’un des sous-genres de la littérature de voyage ?
Et, à l’intérieur même de la catégorie « Voyages dans le temps », n’y a-t-il pas des sous-genres (littérature d’anticipation, uchronie) ? L’histoire, l’archéologie de ces genres (ou sous-genres) sera l’un des principaux objets d’étude de ce colloque. Les communications invitant à découvrir ou à redécouvrir des œuvres méconnues (comme celle de Louis-Sébastien Mercier, L’An deux mille quatre cent quarante : rêve s’il en fût jamais (1771)) seront les bienvenues.
5. Et que penser du conte ? Once upon a time : est-ce là une formule qui invite à voyager dans le temps, ou à oublier le temps ? Se pose aussi la question du roman historique. Le discours historique est fondé sur un conflit entre le temps du discourant et le temps du discouru : or, par le biais du roman historique, la littérature s’approprie cette temporalité complexe.
6. Mais n’est-ce pas la littérature elle-même qui permet de remonter le temps ? Qu’est-ce qui, chez Proust, fait le lien entre le moment présent et le moment passé ? L’odeur ? La mémoire involontaire ? Ne serait-ce pas l’œuvre elle-même (ou le travail de genèse de l’œuvre) ?
Souvenons-nous aussi des lignes de Contre Sainte-Beuve sur « le grand poète qui au fond est un, depuis le commencement du monde », lignes qui laissent entendre que l’intertextualité est l’une des formes que le voyage dans le temps prend en littérature. « [L]a véritable revenance est celle des textes », écrit de son côté Daniel Sangsue, dans Fantômes, esprits et autres morts-vivants : c’est là une hypothèse qui mérite d’être creusée.
7. La question de l’anachronisme lectoriel (que Borges pose d’une manière quelque peu radicale dans Pierre Ménard, auteur du Quichotte) nous intéressera également, dans la mesure où la décontextualisation est l’une des formes artistiques les plus intéressantes du voyage dans le temps. Tout artiste prévoit que son œuvre sera décontextualisée : sans quoi il se verrait obligé de renoncer à la postérité. Dès lors, comment faire pour que l’œuvre soit apte à franchir la frontière qui sépare une époque de la vie intellectuelle et artistique de la suivante ?
Il est toutefois des œuvres qui se veulent ou se savent “intempestives” dès leur naissance : c’est le cas, selon Aude Leblond (Sur un monde en ruines), des romans-fleuves du premier XXème siècle français. C’est aussi le cas des œuvres d’arrière-garde (voir le volume dirigé par William Marx, Les Arrière-gardes au XXème siècle). Ces œuvres mal accordées à leur époque ne sont toutefois pas celles qui voyagent le plus mal à travers le temps.
8. La littérature pense-t-elle le même objet « temps » que la philosophie, les mathématiques ou l’astrophysique ? Et pense-t-elle le temps de la même manière ? Il n’est pas exclu qu’elle puisse aider les sciences dites « dures » à penser le temps différemment.
9. Nous aimerions examiner le rapport des autres arts au temps :
a) comment les arts statiques font-ils pour suggérer l’idée du temps ?
b) la peinture peut-elle figurer une action en cours (on pensera entre autres aux réflexions de Lessing) ?
c) pour ce qui est du cinéma, le montage permet de bouleverser l’appréhension du temps. Notons aussi que, dans le cas du cinéma comme dans celui du théâtre, de l’opéra et du ballet, c’est l’œuvre qui impose son tempo au « lecteur », et non pas l’inverse.
d) la musique (à l’exception de l’opéra et de la musique de ballet) s’inscrit de son côté dans le temps de manière beaucoup plus simple que les arts narratifs, puisque la dichotomie entre le temps du racontant et le temps du raconté est annulée. Toutefois, la notion de tempo mérite d’être repensée en rapport avec la figure de l’interprète, qui fait office de médiateur entre le temps de l’œuvre et le temps du récepteur.
e) la danse, elle, peut sembler, dans sa pratique du temps, s’apparenter au théâtre – à ceci près qu’elle comporte un élément de rythme plus évident.
f) on pourra étudier également les projets architecturaux qui prennent en compte dès l’abord le processus de vieillissement ou d’altération (dont la limite est la ruine).
f) quant à la photographie (du moins jusqu’à la photographie numérique), elle est une trace, et une survivance, de telle sorte qu’en elle l’être et l’avoir-été, ces deux catégories radicalement « hétérogènes » selon Jankélévitch, se mêlent.
Beaucoup d’autres points méritent d’être abordés : l’imaginaire de l’éternel retour ; l’ « effet papillon » (voir A Sound of Thunder de Ray Bradbury, 1952) ; le paradoxe du grand-père (Robert Heinlein, By His Bootstraps, 1941) ; le « retour vers le futur » ; les phénomènes de divination, de voyance, de précognition… La liste est longue, et nous attendons des futurs communicants qu’ils nous révèlent des aspects de la question auxquels nous n’avions pas songé.
Ce colloque se voulant fortement interdisciplinaire, cet appel s’adresse aux représentants de toutes les disciplines académiques, depuis la littérature jusqu’à la physique en passant par l’histoire, l’histoire de l’art, l’archéologie, l’anthropologie, les mathématiques, etc.
Les langues de travail du colloque seront le français, l’anglais et l’allemand.
Les propositions (1/2 page environ), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, sont à envoyer à Augustin Voegele (augustin.voegele@uha.fr) avant le 30 novembre 2016.
Frais d’inscription : 40 euros (25 euros pour les doctorants, gratuit pour les membres d’ILLE et les chercheurs de l’Université de Haute-Alsace). Les repas et l’hébergement seront offerts en retour aux participants.
Les Actes du colloque seront publiés au plus tard au premier trimestre 2018. C’est pourquoi il sera demandé aux participants d’envoyer leur texte avant le 30 avril 2017.
Organisateur : Augustin Voegele, Université de Haute-Alsace
Comité scientifique :
Nikol Dziub, Docteur, Université de Haute-Alsace
Florence Fix, Professeur des Universités, Université de Lorraine
Frédérique Toudoire-Surlapierre, Professeur des Universités, Université de Haute-Alsace
Sébastien Hubier, Maître de conférences HDR, Université de Reims
Frédéric Montégu, PRAG, Université Lyon 2
Richard Saint-Gelais, Professeur titulaire, Université Laval, Québec
Augustin Voegele, Université de Haute-Alsace
Éric Wessler, Docteur, Université de Strasbourg
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