Nous lançons, dans le cadre du colloque « Moderne / modernisme. Qu’est-ce que la modernité en art ? » un appel à contribution pour doctorants et postdoctorants. Il s’agira, dans ce colloque, d’interroger la spécificité des revendications de la modernité en art, en dégageant des structures communes aux différentes revendications de modernité et de rupture dans l’histoire de l’art.
Le colloque « Moderne/modernisme. Qu’est-ce que la modernité en art ? » veut explorer les réseaux sémantiques dans lesquels « le moderne » est pris afin de mieux cerner la façon dont se construit un concept qui s’avère moins descriptif que normatif. De ce point de vue, la question de savoir quand commence la modernité artistique est assez secondaire. Vouloir repérer une origine historique, une œuvre incarnant la rupture, conduit à une régression : s’il existe de bons arguments pour soutenir que Manet a introduit la modernité en peinture (notamment depuis Michael Fried, La Place du spectateur, 1990), il y en a également en faveur de Courbet… et de Turner avant lui. Si la question de la datation historique est pertinente, c’est plutôt au sens où chaque positionnement d’un début engage une certaine conception de ce que devrait être l’art. Faire du Déjeuner sur l’herbe le premier tableau moderne, c’est juger de la réussite d’une œuvre en fonction d’un traitement précis de la spatialité ou du motif et, plus généralement, en fonction d’une certaine définition de l’art érigée en norme – à savoir ici une « peinture sans autre signification que peindre » (Bataille, Manet, 1955). Que le moderne soit une valeur apparaît en toute clarté avec le « modernisme » définissant l’art en termes de pureté, comme adéquation à son médium (Clement Greenberg, «Vers un nouveau Laocoon», 1940).
Au centre de la réflexion initiée se trouve donc un repérage des stratégies lexicales de la modernité. Par quels termes l’écart, la rupture, le changement, voire le révolutionnaire sont-ils à chaque fois exprimés ? Dans quel tissu d’oppositions et d’associations la modernité est-elle successivement placée ? Un double corpus peut être considéré : les écrits d’artistes (discours académiques, correspondances, manifestes) et ceux de leurs contemporains (notamment les critiques d’art) ainsi que ceux des générations qui suivent (historiens de l’art, philosophes) et qui insèrent doublement les œuvres dans un devenir de l’art et une esthétique. Mais ce sont aussi les œuvres elles-mêmes qui constituent une part du débat, un artiste pouvant répondre le pinceau ou le burin à la main ! – pensons à Manet, par exemple, construisant une pensée de la modernité dans Olympia qui est une citation déformante du topos de la femme couchée (Giorgione, Titien).
Si ce travail de repérage est nécessaire, c’est parce que définir la modernité comme ce qui rompt avec l’ancien ou au moins s’en distingue reste problématique. On pourrait soutenir en première intention que la modernité brise avec la tradition, les écoles, les académies, le « pompier », qu’elle succède à l’antique, à l’archaïque. Mais la fascination pour le primitivisme exprimée par des artistes modernes – archi-modernes même au sens où, comme Matisse, Gauguin, Klee ou Picasso, ils sont les icônes de la Modernité – indique que le moderne ne rompt pas mais rencontre le plus ancien. Inversement, un musée d’art de Boston échangeait en 1948 le nom de « Boston Museum of Art » pour celui d’« Institute of Contemporary Art » : le moderne était jugé comme trop élitiste, dépassé – ce qui révèle bien la dimension idéologique et politique qui s’accroche à ce terme. Et que penser de l’oxymore « klassiche Moderne » désignant une période des arts dont la modernité… est devenue classique ? Enfin, on peut d’autant moins se contenter des oppositions entre ancien et moderne que certains antonymes sont complexes et mouvants. Alors que pour Vasari, le gothique est synonyme de barbare, à partir de Goethe, les historiens de l’art allemands et français se querellent pour s’attribuer la paternité d’un style considéré comme un emblème national. On pourrait en dire autant de « maniériste », « baroque », « romantique », « impressionniste » (E. H. Gombrich, « The Stylistic Categories of Art History and Their Origins in Renaissance Ideals », 1966). L’exemple du gothique montre qu’appréhender la modernité en art à partir d’un réseau changeant de termes a aussi pour effet d’ouvrir l’éventail des époques considérées (non limitées donc à la période dite… « moderne »). Si le modernisme est un courant artistique bien identifié par les historiens de l’art, moment où l’art prendrait conscience de lui-même, s’interrogerait sur les propriétés de son médium et romprait avec les contraintes qui lui sont extérieures, les revendications de la modernité, entendue comme rupture avec le passé et apport de nouveauté, s’inscrivent dans une histoire du goût et de la réception esthétique bien plus ancienne. D’une part, le mot n’est pas neuf : il attesté depuis la fin du Ve siècle (où, comme le rappelle Jauss, il n’a « d’abord que le sens technique impliqué par son étymologie : il marque la frontière de l’actualité » (Pour une esthétique de la réception, 1978). Modernus vient du latin hodiernus (d’aujourd’hui) et de modo (adverbe qui signifie récemment). D’autre part, on peut raisonnablement faire l’hypothèse que la perception et l’évaluation d’une rupture par le public contemporain et postérieur, ne sont pas un phénomène récent – Platon ne notait-il pas déjà, pour la critiquer, l’introduction d’un certain perspectivisme auquel il préfèrerait l’immobilisme de l’art égyptien ? En bref, une étude lexicale du « topos » moderne doit permettre de clarifier la fonction de la revendication de modernité ou de sa dénonciation/condamnation et des mots d’ordre apparentés (avant-gardiste, « jung », à la mode !), moins donc pour caractériser un style moderne que pour dégager un certain argumentaire des conflits. Et l’œuvre d’art, qui engage la sensibilité et la passion, semble être un objet propre à susciter de telles querelles. Une telle étude collective, faite avec rigueur plus qu’à coups de manifestes, doit ouvrir à un essai de rétrospection cernant ce que, vues d’aujourd’hui, les diverses revendications de modernité ont en commun : une expérience spécifique du temps et une construction de l’historicité, un souci d’interpénétration des arts, une remise en cause de l’idée traditionnelle du beau, de l’art, de l’idéal, un lien ravivé entre art et politique, ou entre l’art et la vie. Enfin, si l’on veut bien tenir pour remarquable le fait que l’article d’histoire des concepts de R. Piepmeier « Modern, die Moderne » pour le Dictionnaire historique de philosophie de J. Ritter et K. Gründer, traite de la seule modernité artistique, on peut se demander si la prise en compte du champ de l’art permet de tirer des conclusions originales quant à la modernité, différentes de celles amenées par une réflexion sur la modernité technique ou sociale par exemple.
Une première partie du colloque (« Le moderne avant la modernité ») sera consacrée à une généalogie des revendications de la modernité, en repérant, en deçà de la période dite « moderne », des cas exemplaires de rupture. La partie centrale du colloque (« Modernisme ») proposera une analyse du modernisme, de ce courant de l’art qui a fait de la modernité un valeur et un cri de ralliement (« il faut être absolument moderne », écrivait Rimbaud dans « Une saison en enfer »). Enfin une dernière section (« Une modernité démodée ? ») entend discuter de manière critique le concept de modernité, et notamment sa dimension axiologique.
Modalités de soumission
Nous prions les candidats intéressés de fournir, avant le 20 décembre 2018, un curriculum vitae ainsi qu’une proposition de contribution (de maximum 5000 signes). L’intervention peut se faire en français ou bien en anglais. Les frais de déplacements, de bouche et d’hébergements seront pris en charge.
Contact : Baptiste Tochon-Danguy, baptiste.tochon-danguy@ens-lyon.fr
Organisation
Audrey Rieber,
Pierre-François Moreau
Baptiste Tochon-Danguy
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