Appel à communication : « Monstres et christianisme – monstres du christianisme (XVIe-XVIIIe siècles) » (Lyon, 14-16 décembre 2016)

Henrik Hondius, Piramide papistique, 1599, Londres, British MuseumLa présence de monstres dans l’Europe de l’âge moderne est remarquable. Dans les traités, les registres paroissiaux, les écrits du for privé et les relations de voyage des XVIe et XVIIe siècles, s’accumulent les témoignages de leur existence, ce qui incite à des discussions sur leur origine et leur authenticité. À cette époque, on désigne comme monstres des créatures qui s’écartent du phénotype humain à cause de la quantité ou de la grandeur divergente de parties spécifiques de leur corps (malformations ou mutations) ou à cause de la coexistence de caractéristiques de plusieurs espèces (créatures hybrides homme-animal). Ils se situent donc à la limite entre réalité et imagination. En principe, deux cas de figure bien différents peuvent être identifiés lorsque l’on se lance à la recherche de monstres : ou ils naissent de parents humains ou on suppose leur existence dans des pays lointains, aux marges du monde connu.

Le monstre perturbe la vie de tous les jours, il rompt l’ordre de la normalité. Hybride, inclassable et incontrôlable, il représente depuis l’Antiquité un défi pour ceux qui s’y trouvent confrontés, souvent de manière fortuite, laissant perplexe les contemporains et soulevant de nombreuses questions. Pour réduire la contingence de l’apparition des monstres et leur donner un sens, les contemporains recourent souvent à des explications métaphysiques, marquées par les valeurs et imaginations de la culture chrétienne. En général, on peut différencier deux approches dominantes par rapport aux monstres : l’une inspirée par la peur et l’autre par la curiosité. Bien entendu, les deux approches ne sont pas exclusives l’une de l’autre, mais peuvent se combiner.

L’approche inspirée par la peur considère les monstres comme des êtres anormaux, contre l’ordre de la nature, menaçant la vie de tous les jours et la remettant en question. Dans ce contexte, ils interprètent l’apparition de monstres soit comme le mécontentement de Dieu, prélude à la vengeance divine, soit comme le signe du péché individuel ou d’une décadence sociale générale, soit ils y voient l’incarnation du diable, qui menace et séduit les croyants. Ces explications adoptent une fonction disciplinaire : le monstre est l’Autre qui est exclu de la propre identité, une ombre qui doit être évitée ou détruite à tout prix.

L’approche inspirée par la curiosité considère les monstres comme manifestations de la diversité de la création, soulignant la toute-puissance divine. A partir du XVIe siècle, des traités spécialisés sont publiés, comme les Histoires prodigieuses de Pierre Boaistuau (1560), Des monstres et des prodiges d’Ambroise Paré (1573), Monstrorum historia de l’italien Ulisse Aldrovandi (1642, ouvrage posthume), qui argumentent dans cette direction. Michel de Montaigne s’efforce également dans les Essais de réhabiliter les monstres, en attribuant leur caractère atypique non à leur anormalité, mais au manque de flexibilité de la perception humaine. En trouvant des explications naturelles, on se les approprie et on les normalise. Ils ne sont donc plus l’Autre, sinon une variation inconnue du Moi. On leur attribue une âme, la raison, la dignité du sacrement – en bref le statut d’être humain.

Les deux attitudes face aux monstres de l’âge moderne – la démonisation comme la naturalisation, l’exclusion comme l’appropriation – ne sont pas les seuls enjeux mis en œuvre. Les monstres sont instrumentalisés dans un contexte religieux pour diriger l’opinion des croyants. La narration inspirée par la peur entre alors souvent en action.  Dans le contexte de la Réformation et du concile de Trente, les protestants utilisent le monstre pour critiquer le comportement du clergé. Quand Luther et Melanchton publient leurs gravures représentant un âne-pape et un veau-moine (Abbildung des Papsttums), quand la Piramide papistique représente le pape et le clergé sous les traits de serpents portant tiare et mitres, il s’agit là d’une critique de la décadence de la morale ecclésiastique et du pouvoir du Pape. Les dirigeants catholiques deviennent symboles du mal et de l’influence diabolique. En sens inverse, les catholiques, se servent eux aussi du potentiel iconographique des monstres. En lutte contre l’hérésie et la division de la religion, ils n’hésitent pas à représenter Luther sous forme d’un monstre à plusieurs têtes, avec des cornes etc. Les deux camps se qualifient donc réciproquement de « monstre » pour dévaluer la confession de l’autre et justifier la leur. De la même façon, durant le XVIIIe siècle, en dehors de l’opposition entre catholiques et protestants, de nombreuses gravures visent les jésuites, représentés sous forme de rapaces (chauve-souris) ou de renards, pouvant aller jusqu’à la figuration de monstres. Le « rendre-monstre » est donc une stratégie discursive pour cimenter des structures de pouvoir et pour les remettre en question.

Les textes littéraires mettent également en jeu des monstres dans le contexte religieux de l’âge moderne, suscitant frisson et fascination chez le lecteur. Ils jouent volontairement avec la limite entre fiction et réalité pour s’assurer de l’attention des lecteurs, pour susciter des émotions ou pour transmettre des messages moraux de manière effective. Ceci peut se constater dans l’œuvre de Paul Scarron qui contient de nombreuses créatures hybrides de la mythologie antique, ou dans les contes de Charles Perrault qui sont influencés par des représentations populaires de monstres. Ici, les monstres ont souvent une fonction narrative centrale. Plus anormaux et inquiétants, ils soulignent les valeurs idéales (chrétiennes) du héros qui les combat. Mais les textes littéraires ne développent pas seulement les significations des monstres dans le discours social. Ils les manient également d’une façon performative. Ainsi, plusieurs œuvres réfléchissent au rôle des monstres dans la société, à leurs fonctions culturelles. C’est le cas des Essais de Michel de Montaigne, déjà cités. D’autres se servent de la signification ambivalente des monstres pour parler d’attitudes contradictoires, d’identités fluides et changeantes, de conflits épistémologiques ou de la diversité des visions de monde

La pertinence de la conceptualisation des monstres influencée par le christianisme est longtemps dominante. Ce n’est que dans la première moitié du XVIIIe siècle qu’elle est mise en question par la querelle des monstres. Dans ce débat officiel, plusieurs scientifiques essaient de sortir les créatures atypiques du cadre des justifications métaphysiques et de leur donner une explication profane, le plus souvent biologique. Sur ce point, on peut percevoir la dégradation du discours religieux sur les monstres. Le monstrueux cesse également d’être utilisé dans un contexte d’éducation.

Le colloque se propose de déterminer le rôle des monstres dans le discours chrétien des XVIe et XVIIIe siècles. A travers une approche interdisciplinaire, il veut expliquer leur forte présence dans la vie quotidienne tout comme l’existence et l’application d’interprétations divergentes dans le contexte religieux. Il souhaite analyser comment, à travers les monstres, se construisent des significations et valeurs culturelles et quelles fonctions leur reviennent lors des luttes pour le pouvoir. Nous invitons les chercheurs en Histoire, Littérature, Théologie, Histoire de l’art et autres disciplines des sciences humaines à proposer des contributions concernant les aspects suivants :

– Définitions de la monstruosité du XVIe au XVIIe siècle
– Typologie(s) de monstres dans la culture chrétienne en France et en Allemagne
– Contextes thématiques, locaux ou médiatiques d’apparition des monstres dans le christianisme
– Présence et utilisation de symboles religieux dans la représentation de monstres
– Stratégies discursives du « rendre-monstre » dans la culture chrétienne
– Fonctions des monstres pour le christianisme (moteur de l’édification ; fonction disciplinaire etc.)
– Situations et arguments d’une critique du discours sur la monstruosité dans le contexte religieux
– Perspectives comparatistes des attitudes et actions face aux monstres dans le protestantisme et le catholicisme/en Allemagne et en France
– Utilisation de la figure du monstre dans les polémiques religieuses, à l’intérieur du catholicisme ou du protestantisme
Interrelations entre idées chrétiennes et philosophie naturelle/science (tératologie).

Conditions de soumission
Les propositions de communication doivent contenir le titre de la présentation envisagée et un résumé de 15 à 20 lignes.
Elles peuvent être adressées aux deux organisateurs à l’adresse suivante :
teresa.hiergeist@fau.de ou etienne.couriol@gmail.com avant le 15 mai 2016.
Le colloque aura lieu du 14 au 16 décembre 2016 à Lyon.

Comité scientifique
Yves Krumenacker, professeur des universités, Université Lyon 3
Stéphanie Lang, professeur, université d’Heidelberg.
Philippe Martin, professeur des universités, Université Lyon 2.
Nelson Puccio, professeur, université de la Ruhr, Bochum.

Organisateurs
Etienne Couriol, chercheur associé, LARHRA (Lyon)
Teresa Hiergeist, associée de recherche, université d’Erlangen.

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