Ding, ding, ting: Objets médiateurs de culture. Espaces germanophone, néerlandophone et nordique
Appel à communication – Dead-line: 30 juin 2012
Organisation: Université Paris-Sorbonne, EA 3556-REIGENN:
Le colloque propose de croiser les fils de deux traditions théoriques, la théorie des transferts culturels, élaborée par Michel Espagne et Michael Werner [Espagne/ Werner, 1988] dans les années 1980, qui a donné lieu ensuite à divers prolongements (histoire croisée, recherche sur les phénomènes de circulation, de réseau, d’interculturalité, d’hybridation…) [Engel/ Gutjahr/ Braungart, 2003 ; Suppanz, 2003], et celle des Material Culture Studies, courant théorique hétérogène issu du monde anglo-saxon qui se développe à partir des années 1970 et s’inscrit dans les Culture Studies. Si les transferts culturels se détournent volontairement d’une démarche jugée empiriste qui « accumul[erait les] matériaux » [Espagne, 1999 : 7] pour se concentrer sur l’analyse du rôle de la genèse des discours et des concepts empruntés dans la « constitution des traditions culturelles nationales » à partir de sources écrites [6], les ouvrages nés du material turn quant à eux, se concentrant de plus en plus sur l’histoire du quotidien d’une culture donnée, abordent souvent la question de la part de l’autre dans la formation des identités collectives à travers le prisme d’études sur des territoires colonisés [Gustafsson Reinius, 2008], et sont en cela tributaires du lien originaire de ces théories à des disciplines telles que l’ethnologie ou l’anthropologie.
L’intention est de pratiquer ainsi une théorie des transferts culturels « par le bas », à partir de sources dont le caractère matériel est primordial ou dans lesquelles la thématisation d’objets est essentielle, et d’appliquer les théories de la culture matérielle à un champ transnational européen.
Dans quelle mesure les choses matérielles font-elles aussi l’objet d’emprunts qui jouent un rôle dans la constitution de traditions culturelles nationales des aires germanophone, néerlandophone et nordique ? Comment fonctionnent les mécanismes d’appropriation, de décontextualisation, puis de resémantisation propres aux transferts culturels et, plus largement à toute circulation culturelle, sur des objets variés ? Il s’agirait d’esquisser une histoire interculturelle des espaces germanophone, néerlandophone et nordique à partir d’objets concrets, dans l’esprit de ce que proposent les travaux de Bénédicte Savoy sur la confiscation des biens culturels opérée par la France en Allemagne autour de 1800 et leurs conséquences sur la « conscience patrimoniale » des pays [Savoy, 2003 : 392].
Il semble que la culture matérielle se prête bien à l’étude des transferts culturels, « objectivant » pour ainsi dire les identités individuelles et collectives. Le choix ou le refus de s’approprier un objet peut ainsi être considéré comme une affirmation d’identité à travers l’expression d’une appartenance ou d’une différence par rapport à une norme culturelle ou une convention sociale [Thomas, 1991 : 25]. De plus, la stabilité matérielle met précisément en évidence les changements et reconfigurations intervenus lors de la catégorisation de l’objet, des affects et récits qui lui sont associés [125]. Nicholas Thomas souligne ainsi que la circulation des objets constitue plus qu’un simple déplacement physique : elle met en mouvement des conceptions concurrentes des objets [123]. Les objets sont par ailleurs souvent les moteurs des contacts avec l’étranger, la quête de biens matériels suscitant les relations entre différents groupes sociaux et culturels [Bracher/ Hertweck/ Schröder, 2006 : 11], ils sont aussi le reflet de ces relations. Enfin, l’objet, étymologiquement comme symboliquement, incarne l’autre du sujet, l’autre de soi, l’altérité, l’étranger [Thomas, 1991 : 184]. L’objet étranger que l’on s’est approprié est ainsi le paradigme de la constitution d’une identité par l’altérité.
S’il ne saurait être question de donner dans le « mythe de l’antériorité des choses » [Brown, 2001 : 16] qui seraient premières par rapport aux « idées, aux théories, aux mots » [ibid.], et de tenter d’analyser les objets en-dehors de toute pratique discursive, s’il s’agit bien de saisir les discours et récits que cristallisent les objets, le but est aussi de ne pas ensevelir l’aspect matériel des choses sous leur valeur symbolique et sémiotique et de percevoir la résistance que les objets peuvent opposer aux discours et représentations fantasmées qu’on peut vouloir leur faire signifier [Thomas, 1991 : 176] et la manière dont ils « excèdent le sens imparti » [Ecker/ Scholz, 2000 : 11], sapent l’assimilation intégrale, mettant ainsi en évidence la part de l’autre dans une culture.
On s’intéressera aux objets matériels, d’un point de vue historique, culturel, ethnologique, anthropologique, littéraire, linguistique, philosophique ou esthétique, dans leurs manifestations concrètes et leurs représentations discursives, visuelles, plastiques, ou textuelles, dans la mesure où ces objets circulent entre plusieurs cultures, entre deux pays (ou plus) des espaces néerlandophones, nordiques ou germanophones, du Moyen Âge à nos jours.
Observé à partir d’une perspective européenne, cet ensemble spatial peut être perçu comme une entité homogène, porteuse d’une identité du Nord, voire « germanique » ; mais les bouleversements historiques, politiques aussi bien que la diversité linguistique et culturelle invitent à penser les différences au sein de cet espace et à interroger les identités qui s’y expriment. A cet égard, notre attention se porte sur tous les phénomènes induits par la circulation des objets, tels l’acculturation, l’assimilation, les échanges, ou les croisements, qui mettent au jour ces identités et les redéfinissent, mais aussi interrogent la pertinence de l’idée de frontières culturelles.
Cette problématique intéresse toutes les périodes de l’histoire, particulièrement celles propices aux échanges internationaux, comme la période hanséatique, la révolution industrielle, les guerres napoléoniennes, les deux guerres mondiales et l’expérience de l’exil, ou plus récemment encore, la construction européenne. Les centres névralgiques de la circulation matérielle, comme les foires, les villes marchandes ou industrielles, les universités ou les musées constituent un élément de contextualisation souhaité.
L’objet, de diverses natures (artefact ou naturel, mobile ou immeuble), sera examiné dans son rapport au texte et au discours ou encore dans son rapport au sujet humain, en tenant compte des contextes géographiques et historiques dans lesquels il évolue. On prendra en considération les usages auxquels il est soumis – objet sacré, marchand, clandestin, de rebut, exposé, comestible, vestimentaire, d’art, d’apparat, pièce à conviction…
Contact:
Les propositions de 300 mots maximum pour des contributions de 30 minutes sont à envoyer, accompagnées d’une notice bio-bibliographie (10 l. max), d’ici le 30 juin 2012 à l’adresse suivante: colloque.objetsmediateurs@gmail.com . Le comité scientifique procédera à la sélection d’ici fin septembre 2012. Les langues de travail sont le français, l’anglais et toutes les langues des espaces germanophone, néerlandophone et nordique (modalités particulières de présentation précisées ultérieurement). Une participation aux frais de déplacement et d’hébergement des participants est prévue, de même que la publication d’une sélection des contributions du colloque.
Bibliographie
BRACHER, Philip/ HERTWECK, Florian/ SCHRÖDER, Stefan : Materialität auf Reisen : Zur kulturellen Transformation der Dinge. Berlin, Lit-Verlag, 2006.
BROWN, Bill : « Thing Theory », in Critical Inquiry 28 (Autumn 2001) 1 Things, p. 1-22
ECKER, Gisela/ SCHOLZ, Susanne (Hrsg.) : UmOrdnungen der Dinge. Königstein/ Taunus, Ulrike Helmer Verlag, 2000.
ENGEL, Manfred/ GUTJAHR, Ortrud/ BRAUNGART, Wolfgang : Literaturwissenschaft als Kulturwissenschaft : Interkulturalität und Alterität- Interdisziplinarität und Medialität – Konzeptualisierung und Mythographie, Akten des X. Internationalen Germanistenkongresses Wien 2000. Bern, Peter Lang, 2003.
ESPAGNE, Michel/ WERNER, Michael : « Deutsch-Französischer Kulturtransfer als Forschungsgegenstand. Eine Problemskizze », in dies (Hrsg.) Transferts. Les Relations Interculturelles dans l’Espace Franco-Allemand (XVIIIe et XIXe siècle). Paris, Editions Recherches sur les civilisations, 1988.
ESPAGNE, Michel : Les transferts culturels franco-allemands. Paris, PUF, 1999 (« Perspectives Germaniques », collection dirigée par J. Le Rider).
GUSTAFSSON REINIUS, Lotten : « La leçon des choses. Grammaire cachée des collections congolaises dans les musées suédois » traduit de l’anglais par Sylvie Muller, in Ethnologie française XXXVIII (2008) 2, p. 301-313.
SAVOY, Bénédicte : Patrimoine annexé. Les biens culturels saisis par la France en Allemagne autour de 1800. Préface de Pierre Rosenberg. Tomes premier et deuxième. Paris, Édition de la maison des sciences de l’homme, 2003.
SUPPANZ, Werner : « Transfer, Zirkulation, Blockierung Überlegungen zum kulturellen Transfer als Überschreiten signifikatorischer Grenzen », in CELESTINI, Federico/ MITTERBAUER, Helga (Hg.) : Ver-rückte Kulturen. Zur Dynamik kultureller Transfers. Tübingen, Stauffenburg, 2003.
THOMAS, Nicholas : Entangled Objects. Exchange, Material Culture and Colonialism in the Pacific. Cambridge, London, Harvard University Press, 1991.
Organisation:
– Dr. Kim Andringa
– Dr. Frédérique Harry
– Agathe Mareuge, M.A.
– Bénédicte Terrisse, M.A.
Comité scientifique:
– Annie Bourguignon, Prof., University of Nancy
– Petra Broomans, PhD, University of Groningen
– Dorothee Kimmich, Prof., University of Tübingen
– Gérard Laudin, Prof., Paris-Sorbonne University
– Marie-Thérèse Mourey, Prof., Paris-Sorbonne University
– Ton Naaijkens, Prof., University of Utrecht
– Bjarne Rogan, Prof., University of Oslo
– Bénédicte Savoy, Prof., T.U. Berlin
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