Appel pour un numéro thématique de la revue Culture & Musées sous la direction de Dominique Poulot
Le musée et le politique
Tout au long du XIXème siècle et du premier XXème siècle, le musée s’est inscrit dans un ensemble de pratiques de contrôle, social et moralisateur : il devait consolider les vertus publiques et travailler à la prospérité industrieuse. Le musée s’inscrivait aussi dans le jeu des rivalités internationales, autant dans la crainte de déperditions patrimoniales que dans la compétition autour de nouvelles collections à former. Mais à partir des années 1960 et 1970 cet idéal a été de plus en plus vivement contesté. On a voulu mettre au jour les agendas politiques cachés de l’institution en montrant ses liens avec les pouvoirs, politiques, industriels, financiers, et en cultivant au contraire les utopies d’un musée forum. La muséologie nouvelle entretient alors des liens étroits avec la réflexion politique et les théories sociales, le développement de nouveaux savoirs – l’écologie, les études matérielles, l’anthropologie – aussi bien qu’avec le post-colonialisme et le multiculturalisme. Des acteurs des politiques identitaires
La « politique du musée » est, au sein des démocraties, une catégorie, ou un sous-ensemble, de politiques culturelles plus générales. Cette politique tient d’abord à la gestion du patrimoine muséal. Le cas est particulièrement net en cas de fondations de nouveaux musées – musées nationaux, musées de mémoire, ou plus généralement musées thématiques liés à un agenda politique, comme ceux des migrations. De nouveaux musées nationaux – en Allemagne, en Ecosse, en Catalogne, en Hongrie…- témoignent de la réécriture des thèmes traditionnels de l’Etat, de la Nation, et des identités, tandis qu’à l’inverse des musées « de l’Europe » ou du monde et de l’histoire globale tentent de proposer un récit alternatif – à Bruxelles, Paris, Berlin ou Göteborg. Ces musées assument clairement un agenda politique, et sont susceptibles d’apparaître et de disparaître au rythme des élections. Le politique doit-il forcément s’identifier à des types nouveaux de musées ou à des musées refondés, répondant sinon à une propagande au moins à un story-telling, et exigeant une nouvelle biographie des objets de leurs collections au prix de déménagements ou de recompositions ? Des autorités en matière d’expertise savante
Les collections fournissent des ressources pécuniaires, des instruments diplomatiques, des moyens d’échange aux politiques, grâce aux circulations d’objets – des prêts pour expositions temporaires aux déménagements de collections, ou aux fusions dans d’autres établissements, enfin aux éventuelles restitutions.
Les mises en scène et les choix des expôts au service d’un propos jugé non scientifique, incorrect, ou seulement contestable, couvert à tort par l’autorité du musée, ont pu susciter le cas échéant de vives polémiques, locales et nationales, capables de conduire à l’annulation de telle manifestation, voire à la fermeture de l’institution elle-même, ou à l’échec de sa fondation. Les « guerres de culture » aux États-Unis dans les années 1980 ont fait naître une série d’engagements et d’intérêts à la fois académiques et activistes qui sont désormais déterminants pour toute politique d’établissement, et ont dû faire engager des négociations multiples. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Les processus de collectionnisme et d’interprétation peuvent faire l’objet de propositions participatives – mécénat collectif, modes d’adresse aux publics, appels collaboratifs – à l’occasion de telle ou telle (re)disposition d’un fonds, d’exposition, de mise en réseau d’établissements. Celles-ci peuvent se légitimer d’options communautaires, ou/et d’options savantes exclusives d’autres expertises. La mise en valeur des contextes d’origine, parfois la mise en scène des restitutions, ou, à l’inverse, la célébration du musée hérité, issu de prises de guerre ou d’achats, enrichi par l’actualité, font un propos politique du musée. Le culte maintenu du chef-d’oeuvre universel est un choix récompensé par des fréquentations de plus en plus élevées, en vertu de lois apparentes de l’économie muséale. Les débats font rage entre professionnels et entre politiques à propos de ces usages et de leurs légitimités respectives, marqués par la polémique d’Abu Dhabi et d’autres à propos de marchandisation des prêts ou des labels. Sommes-nous condamnés à opposer logiques gestionnaires et logiques politiques ou éthiques ? Sommes-nous condamnés à un respect exclusif de l’expert, ou à sa contestation au nom des attachements particuliers, ou encore à une vue cynique et instrumentale ? Les politiques de la jouissance
Les politiques d’accessibilité, d’inclusion, de participation – qui répondent aux impératifs plus larges des pouvoirs publics, ou de leurs financeurs philanthropes – varient en fonction des changements de majorité partisane, ou des logiques de mobilisation associative et syndicale, ou encore des modes intellectuelles et des stratégies de communication. Y-a-t-il une obligation de la participation et de la transparence dans le nouveau musée ? Mais à quel prix ? Car d’une manière générale on a vu se renforcer le poids du directeur des musées, parfois en faveur de sujets naguère scandaleux ou impossibles – imagine-t-on une exposition Sade dans un musée national français il y a une génération ou l’équivalent encore aujourd’hui dans beaucoup de musées à travers le monde ? Ce qui n’empêche pas que s’exercent par ailleurs des pressions, liées à des populismes ou à des lobbyings de diverses natures, sur la disposition convenable des collections – d’anciens objets de culte, de pièces tenues pour sacrées, d’images tenues sexuellement ou moralement pour scandaleuses, discutables ou marginales – toutes dispositions qui paraissaient réglées naguère par un consensus sur les compétences professionnelles de la conservation. Le politique ici se traduit par la recherche d’un musée « décent » dont les définitions ne cessent de changer, en fonction de l’importance accordée à l’attention publique, à la visualité et aux dispositifs de reproduction sur les réseaux virtuels, selon l’état des dissensus de l’espace public.
Références
– Roland Arpin, La fonction politique des musées. Les Éditions Fides, 1999.
– Jean-Yves Boursier ed. Musées de guerre et mémoriaux: politiques de la mémoire, Éditions de la MSH, 2005.
– Jonathan Crary, L’Art de l’observateur. Vision et modernité au XIXe siècle, Jacqueline Chambon, 1998
– Camille Mazé, Frédéric Poulard et Christelle Ventura (dir.), Les Musées d’ethnologie.
– Culture, politique et changement institutionnel, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2013
Merci d’adresser votre proposition d’article de 5000 signes maximum par courriel avant le 5 juillet 2015 à dominique.poulot@univ-paris1.fr
Les articles sollicités, après sélection des propositions, seront d’une longueur de 35 000 à 40 000 signes, espaces et bibliographie compris. Calendrier
31 mai 2015 : diffusion de l’appel à contributions
5 juillet 2015 : réception des propositions (résumés)
15 juillet 2015 : réponse aux auteurs et commande des textes aux auteurs retenus
Fin octobre 2015 : réception des textes
Janvier 2016 : réponses définitives aux auteurs et propositions éventuelles de modifications
Avril 2016 : réception des textes modifiés
Décembre 2016 : publication
Mots-clés : Culture – musée – politique – publics – art – médiation – institutions– critique Contact : Dominique Poulot
Université Paris 1
INHA
2, rue Vivienne
75002 Paris
dominique.poulot@univ-paris1.fr
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