Journée d’études : « Jardins, paysages, territoires : une question de limites ? » (Paris, 28 mars 2013)

Le terme « jardin », on le sait, vient du francique « Gart », clôture : la question de la limite apparaît consubstantielle de ce qui constitue une occupation singulière du sol. Le rapport au paysage ne relève pas de la seule logique d’inclusion mais aussi du fait que celui-ci, dès ses premières définitions, est défini par sa limite, en l’occurrence l’horizon (ainsi chez Furetière (1690) : « Aspect d’un pays, le territoire qui s’étend jusqu’où la vue peut porter »). Le troisième terme, celui de « territoire », induit la question de l’unité de l’étendue considérée et notamment celle de l’autorité qui la régit et qui est susceptible, en retour, de s’exercer sur le jardin. C’est à ces relations tripartites qu’est consacrée la journée d’études du 28 mars 2013.

 

Centre de recherche HiCSA, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Responsable scientifique Etienne Jollet, professeur des universités

Jeudi 28 mars 2013
INHA
Galerie Colbert, salle Vasari

Programme

9h30 / ouverture par Etienne Jollet, professeur d’histoire de l’art moderne à l’université de Paris 1Panthéon-Sorbonne, co-responsable du master « Jardins historiques, patrimoine et paysage »

9h45 / Alain Schnapp, professeur des universités, Paysage et nature en Grèce ancienne
Pour les Grecs, la nature au sens latin du terme n’existe pas, pas plus que le paysage. La physis relève de la contingence, le kosmos de l’ordre du monde. C’est pourquoi Alexandre de Humboldt avait choisi ce titre pour sa synthèse  définitive qui exprimait sa philosophie de l’exploration et l’interprétation du globe. En partant de sa réflexion, je voudrais m’interroger sur l’iconographie de la nature dans le monde grec archaïque et classique et explorer le vocabulaire du jardin kêpos et du parc paradeisos. En Grèce ancienne la cité bien ordonnée est celle des hommes qui vivent dans le cadre harmonieux d’une espace domestiqué : maisons, monuments, rues, fontaines  sont les  éléments d’un paysage qui exprime la bonne intelligence des hommes et des dieux. Quelle est la place des plantes et des animaux dans ce dispositif ? «  les arbres, la grève  et les astres » pour reprendre un vers de G. Séféris, sont-ils une composante ou le décor de l’espace?

10h30 / Emmanuel Pernoud, professeur des universités, Des deux côtés de la grille : Edouard Vuillard, Le Square Berlioz (1915-1923)
Dans Le Square Berlioz de Vuillard (1915-1923), le travail jouxte le loisir, le sol retourné la végétation florissante : seule une mince grille sépare deux mondes que tout oppose et qui n’en sont pas moins soudés par un lien structurel, une relation de fonctionnement au même titre que les coulisses et la scène d’un théâtre.

11h15 / Pause

11h30 / Marie-Christine Marinval, enseignant agrégé, Le jardin : un fragment de paysage ? En quoi l’archéologie du paysage et l’archéobiologie peuvent aider à la compréhension de l’histoire de ces espaces limités ?
Le jardin, comme le paysage, est avant tout un lieu de perceptions même s’il est un lieu de productions pour celui à qui il appartient, celui qui s’y promène, qui y est invité (productions sociales de plaisirs, de loisirs, productions alimentaires,…). C’est tout à la fois une vue, de celui qui l’observe mais c’est aussi un paysage olfactif et sonore qui change au cours des saisons et du déroulement des journées, en fonction des plantes qui y sont cultivées, des animaux qui y sont élevés ou qui y vivent, des activités qui y sont menées. Et c’est aussi un lieu du toucher. Ce sens, dont on découvre à peine scientifiquement aujourd’hui la complexité, nous permet par notre peau de percevoir des ambiances chaudes ou froides, des lieux ventés ou abrités, secs ou humides ; par nos pieds de ressentir la nature et l’élasticité du sol (sol meuble ou dur, boueux, caillouteux, recouvert de galets, ….) et par nos mains de toucher les différents éléments vivants ou non présents dans ces jardins. C’est donc avec l’ensemble de nos sens que nous percevons mais aussi créons et limitons le jardin. Dans l’optique des limites du jardin, comment pouvons-nous revisiter les données archéologiques disponibles ? Pour tenter d’y parvenir, nous prendrons quelques exemples en nous appuyant sur les différentes branches disciplinaires de l’archéologie (la fouille archéologique, la géoarchéologie, l’archéobotanique, l’archéozoologie,…).

12h15 / Pause

14h15 / Etienne Jollet, La limite – en profondeur. La grotte artificielle dans le jardin pittoresque en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle
Le développement des grottes artificielles dans les jardins français de la seconde moitié du XVIIIe siècle s’accompagne d’une réflexion sur la limite entre l’espace extérieur et l’espace intérieur : il s’agira de définir une typologie des rapports ainsi analysés.

15h00 / Dominique Poulot, professeur des universités, Les partages de l’histoire et de la nature : le jardin Elysée et le musée des monuments français
Le catalogue du Musée des monuments français de 1810 met en valeur les effets visuels procurés par les jeux de limites et d’ouvertures : « De la salle d’introduction du Musée, donnant sur la rue, on verra le jardin Elysée ; ce qui donnera du mouvement à l’architecture et produira une perspective agréable […]. De la verdure et des arbres feront les fonds du bâtiment et laisseront encore des percées propices à multiplier les points de vue». Mais le jardin n’est pas seulement destiné à fournir  des vues pittoresques aux visiteurs du bâtiment principal : il participe du territoire de mémoire que dessine l’établissement. Car l’Elysée doit fournir, parallèlement au cycle historique illustré par les salles du musée, « un paysage auguste » en rassemblant les  monuments consacrés par «une main timide à des hommes célèbres». Cette alliance de la nature et de l’histoire s’inscrit dans un contexte d’époque marqué par les mutations de la mort autant que par les succès des jardins de la nostalgie ; elle inaugure aussi une articulation du musée et de son jardin dont on connaît bien d’autres exemples depuis.

15h45 / Pause

16h00 / Pierre Wat, professeur des universités, Le jardin dans le paysage : sur deux tableaux de Constable
En 1815, John Constable peint deux œuvres, Golding Constable’s Flower Garden et Golding Constable’s Kitchen Garden, dans lesquelles il livre l’exemple le plus abouti du souci qu’il a eu, durant ses années de travail dans sa région de naissance, de restituer, dans son moindre détail, l’apparence physique d’un lieu. Peintes après plusieurs études dont un dessin qui fut probablement exposé à la Royal Academy en 1815 (View over the Gardens from East Bergholt House, 1814 ?), ces toiles livrent la version la plus aboutie de son projet d’exploration systématique du pays natal. Exploration où le désir de connaissance s’allie à celui de mémorisation, si ce n’est de mémorialisation. En 1815, sa mère vient de mourir, la santé de son père décline, et ces deux tableaux, qui captent la vue que l’on a des fenêtres du dernier étage de la maison familiale, sont comme une tentative de conserver à jamais ce qui ne va pas tarder à disparaître. Cette sorte d’inventaire avant disparition prend néanmoins, ici, une forme singulière, où le peintre d’un paysage immémorial, édénique, comme non marqué par les mutations modernes de la campagne anglaise, travaille soudain la tension entre enclosure et ouverture, entre jardin cultivé et nature. C’est cette question de la limite, physique et générique, entre jardin et paysage, entre lieu et espace, qui nous intéressera.

16h45 / Conclusions

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