Revue Histoire de l’art, n° 82. Jean-Baptiste Clais : « Du Népal au Sardanapale. Un itinéraire indien dans l’œuvre de Delacroix »

Jean-Baptiste Clais

Du Népal au Sardanapale
Un itinéraire indien dans l’œuvre de Delacroix

Histoire de l’art, numéro 82 (2018/1)

ÉTUDE

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Fig. 1. Le Kukri du musée Delacroix.

Le musée national Eugène Delacroix conserve un kukri, un couteau népalais traditionnel provenant de la collection personnelle du peintre (fig. 1)[1]. Le kukri est à la fois l’arme de guerre des montagnards népalais et leur outil de tous les jours servant par exemple à couper du bois, à défricher, etc. Différents écrits ethnographiques le décrivent comme un attribut viril essentiel dans la société népalaise. Le kukri du musée Delacroix est tout à fait typique de son époque[2]. Les traces d’usage sur sa lame signalent qu’il s’agissait d’un objet usuel.

La présence de ce kukri dans la collection du peintre pose de nombreuses questions. Ce type d’objet est peu courant en France, pays sans lien colonial avec le Népal. Aucun élément dans les écrits de l’artiste ne nous renseigne sur ce couteau. Il est parvenu au musée à travers un legs de 1952 par les héritiers de Charles Cournault, orientaliste, premier conservateur du musée de Nancy qui avait lui-même hérité de la collection orientale du peintre. Celui-ci l’a décrit dans un document « catalogue des objets que Mr Eugène Delacroix m’a légué[s] par testament » par la mention « poignard de koor (koukri) et deux couteaux du Kourga réunis dans une gaine de cuir noir brodée d’arabesques blanches. Les Kourga habitent les montagnes du district de Maïssoura »[3]. Kourga est une inversion évidente de goorkha, le nom donné à l’époque aux Népalais[4].

Fig. 2. Eugène Delacroix, Un Indien armé du Gourka-kree, 1831, Zurich, Kunsthaus.

Cette arme a été représentée dans une peinture de Delacroix, présentée au Salon de 1831 : Un Indien armé du Gourka-kree (fig. 2)[5]. Le livret du salon précise « les Indiens se servaient de cette arme pour couper les jarrets des chevaux, ou égorger les sentinelles avancées, en se traînant avec précaution près des camps anglais ». Cette peinture n’est pas l’une des plus connues de l’artiste et pour cause, elle a été présentée la même année que La Liberté guidant le Peuple[6].

Le texte du livret fait référence à la guerre anglo-népalaise de 1814-1816 qui oppose la Compagnie britannique des Indes orientales et le royaume du Népal. Delacroix représente son Indien dans un paysage montagneux que l’on distingue clairement au fond à droite du tableau. Il connaît donc le contexte de cette guerre au moins sommairement.

Les soldats népalais opposèrent durant le conflit une résistance farouche aux troupes anglaises, suscitant un véritable mythe sur leurs qualités martiales supérieures dont l’écho de fit sentir jusqu’en France[7]. Les moindres manuels de géographie de l’époque en font mention. Lorsque ce kukri, objet ordinaire, parvient en Europe, c’est chargé de cette aura. Le tableau de Zurich doit donc être compris comme une allégorie du courage. Il s’inscrit ainsi dans la continuité de la production de Delacroix de sujets orientaux à thématique contemporaine dans les années 1820 avec La Grèce sur les ruines de Missolonghi et Les Massacres de Scio.

Son petit format (40 x 32 cm) témoigne néanmoins d’une ambition bien moindre du peintre pour ce tableau que pour les deux précédents. Par ailleurs c’est le seul sujet népalais dans l’œuvre peint de Delacroix. On trouve un croquis approximatif figurant un kukri dans un album des arts graphiques du Louvre[8].

La question qui se pose désormais est de savoir comment le projet de cette peinture s’est construit, où, quand et par qui Delacroix a reçu ces informations sur le Népal et ce kukri et comment cela éclaire, de manière plus générale, la production orientale du peintre.

L’anecdote sur le Népal

Le texte du livret du salon de 1831 nous livre des indices précieux pour comprendre comment Delacroix a pu entrer en possession du kukri et son statut pour l’artiste.

Nous avons essayé d’identifier la source de l’anecdote de Delacroix. Intuitivement elle sonne plutôt comme le propos d’un antiquaire vendant un objet ou celui d’un témoin de la guerre cédant l’objet au peintre après un récit de ses aventures. Une vérification des sources contemporaines sur le Népal a été infructueuse[9]. En outre les spécialistes de kukri, collectionneurs, scientifiques, ont dépouillé tous ces écrits depuis deux siècles sans jamais signaler l’anecdote de Delacroix ou même des éléments de cette anecdote alors même que les ouvrages recyclent continuellement les mêmes descriptions[10]. On peut donc supposer qu’elle lui a été transmise oralement[11].

Il reste à déterminer quand Delacroix a pu acquérir ce kukri et où cette anecdote a pu lui être narrée. On peut imaginer qu’il y a eu accès par les marchands parisiens d’objets orientaux. L’objet a aussi pu lui parvenir par son maître et ami Jules Robert Auguste, le  « Monsieur Auguste » de son Journal, dont la correspondance nous révèle que Delacroix a fréquemment emprunté des objets orientaux[12]. Or nous savons qu’Auguste a visité l’Angleterre dans les années 1820. Il aurait pu s’y procurer un kukri. Delacroix aurait aussi pu se le procurer via des voyageurs anglais de passage à Paris. On peut enfin imaginer et c’est à notre sens le plus probable qu’il y ait eu accès lui-même en Angleterre lors de son voyage en 1825.

Le peintre y a en effet visité en compagnie de Thales Fielding la collection Meyrick, la plus importante collection d’armes exposée à Londres à l’époque[13]. Delacroix y passe en juillet 1825[14]. Il y a été précédé par Géricault entre avril et juin 1820 et par Monsieur Auguste. Le don à la Wallace collection en 2003 du registre de visite de Meyrick pour les années 1820-1830 a apporté une foule de détails sur ses visiteurs parmi lesquels se trouvent de très nombreux artistes, entre autres romantiques[15].

Or, loin de se cantonner aux armes médiévales, la collection compte un ensemble d’armes extra-européennes parfaitement classé. La publication illustrée de cette collection parue en 1830 est très éclairante à cet égard[16]. Cet ouvrage a été préparé dès les années 1820 par Meyrick avec le graveur Skelton, et montre des ensembles présentés sous forme de trophées d’armes région par région. La planche relative à l’Asie comprend un kukri accompagné de la mention suivante : « Fig. 14. a Goorka cookree with its sheath to contain two knives and a little pouch in which was placed the tinder, and generally a portion of the Koran written out as a charm presented by J.B. Fraser, Esq. ». Il ne peut s’agir que de James Baillie Fraser, un acteur essentiel de la guerre du Népal qui en a publié un récit détaillé[17]. Il apparaît dans le livre de visite par la mention « Mr James: B: Fraser 12 Somerset street Portman square ». Le nom de Fraser se situe dans le livre plusieurs pages après celui de Géricault et plusieurs pages avant celui d’Auguste. James Baillie Fraser ne revient à Londres que fin janvier 1823. Son nom ne réapparaît pas dans la liste par la suite[18]. Il semble donc établi que le kukri était présent avant le passage de Delacroix[19].

La légende de l’ouvrage de Meyrick « goorka cookree » doit être rapprochée de la notice du tableau de Delacroix au salon de 1831. Le peintre évoque un « indien armé du gourka kree ». Il n’emploie pas un des termes couramment employé à l’époque en France pour désigner les Népalais, « nepali », « nepauli » ou « ghorkali » ou « goorkha ». En outre placer le terme gourkha avant le mot « cookree », fut-il réduit à « kree » correspond à l’usage anglais d’un adjectif. Delacroix parle en outre « du » « gourka kree », un usage fréquent quand on désigne un objet caractéristique d’une population[20]. Il est donc probable qu’il ait eu accès au kukri et à l’anecdote auprès d’un anglophone et qu’il ait compris « gourkha cookree » comme le nom générique de l’arme qu’il aura alors mal retranscrit. Ce n’est pas improbable considérant l’anglais approximatif de Delacroix dans les années 1820-1830[21].

Delacroix est passé chez Meyrick les 8 et 9 juillet 1825, soit un vendredi et un samedi. Nous ne pouvons savoir si ces informations proviennent de Meyrick lui-même (qui faisait visiter les dimanches), de cartels ou d’autres guides qui faisaient visiter la collection. Il est certain néanmoins que l’artiste a eu un intérêt pour les armes indiennes présentes dans la galerie dans la mesure où sur l’une des cinq pages dessinées lors de la visite publiées à ce jour, on trouve un talwar, sabre traditionnel indien dont la poignée est parfaitement identifiable et un bouclier lui aussi tout à fait caractéristique[22].

Les éléments relatifs au kukri présents dans l’ouvrage de Meyrick et Skelton que nous avons cité plus haut ne correspondent pas au texte du livret du salon de 1831. Toutefois, si l’on considère que le kukri a été offert par Fraser, il ne semble pas incongru d’imaginer que celui-ci ait pris du temps pour discuter avec Meyrick ou avec les personnes chargées d’accueillir les visiteurs. Il nous semble donc très possible que Delacroix ait reçu son anecdote chez Meyrick et que les détails viennent de Fraser.

Concernant l’acquisition du kukri lui-même, la correspondance ouvre une piste car Delacroix y écrit : « Comme je me propose de rapporter à Leblond différentes curiosités que je pourrais rencontrer […] je prendrais le parti de faire une caisse des objets de ce genre[23] ». Ayant l’habitude de fréquenter les magasins de curiosités à Paris, il l’a sans doute aussi fait à Londres. Il nous semble donc assez probable que Delacroix ait découvert ce qu’était un kukri chez Meyrick et soit allé en acheter un chez un marchand de curiosités après sa visite.

Le costume indien

L’analyse du costume du tableau de 1831 nous offre des éléments pour éclairer la création de cette œuvre. Les spécialistes de l’artiste ont remarqué depuis longtemps que le costume de l’« Indien armé du gourka kree » présente de très fortes similitudes avec celui d’un Indien représenté par Delacroix dans une série de cinq études généralement rattachées à la décennie 1820-1830. Quatre de ces œuvres sont listées dans le catalogue de la vente après de décès du peintre en 1864[24]. L’ensemble est discuté par Lee Johnson dans son catalogue. Ce dernier a ajouté au groupe une autre étude conservée dans une collection particulière en Allemagne, qui a appartenu au Baron Schwiter. Elle est plus petite que les quatre autres et plus sommaire, et ne figure pas dans la vente après décès. Un dessin passé récemment en vente (chez Millon & associés le 20 mars 2017, lot 157) figure le même personnage, vu sous un angle différent, avec les mêmes éléments de costume.

Lee Johnson attribue les quatre premières peintures aux années 1823-1824 sur la base de rapprochements avec une feuille d’un carnet du département des arts graphiques du Louvre où un personnage oriental adopte la même position que l’Indien représenté sur le premier tableau de Washington[25]. L’examen du costume du personnage en question révèle qu’il est issu de la sphère ottomane et la base de données du département des arts graphiques précise « Études d’après l’ouvrage intitulé Voyage pittoresque de la Syrie, de la Phénicie, de la Palestine et de la Basse Égypte, dessiné par L.F. Cassas ».

Si la pose est la même, le costume diffère. L’indien présent sur les cinq toiles porte un costume courant au Bengale, ce que confirme la légende du tableau dans la vente après décès de Delacroix où il est intitulé Un Indien de Calcutta. L’abondante production de peintures indiennes dites de « company school », œuvres d’artistes indiens formés par des occidentaux, qui donne des témoignages précieux sur les costumes en Inde à l’époque confirme cette identification[26]. Aussi le rapprochement proposé par Lee Johnson et la datation qu’il propose nous semblent-ils à écarter.

Fig. 3. Eugène Delacroix, Etude d’un Indien de Calcutta, Washington, Washington National Gallery of art.

La consultation des sources contemporaines sur le Népal confirme en outre que les habits népalais de l’époque sont tout à fait différents de celui de notre Indien de Calcutta et de celui du tableau de 1831. Sur ce sujet, un ensemble extraordinaire d’œuvres réalisées par des artistes indiens à Delhi dans les années 1815-1820 nous renseigne particulièrement. Ces dessins proviennent de l’album dit « Fraser » aujourd’hui dispersé et de l’album Skinner aujourd’hui conservé à la British Library qui vient de le numériser.

Cet album a été commandé à un artiste local par James Baillie Fraser à son retour à Delhi en 1816. James travaillant sur le projet d’édition de son journal et se sachant assez peu doué pour le rendu de la figure humaine, préfère déléguer cette tâche. Il fait réaliser un ensemble de portraits représentant principalement des soldats des différents corps qu’il a côtoyés pendant la guerre. On y trouve donc de nombreux gurkhas. Sur ces portraits on observe la différence majeure entre leurs costumes et celui du tableau de 1831 ou de L’Indien de Calcutta. On observe aussi les proportions des kukri aux ceintures des soldats qui confirment ce que nous avions observé au sujet des proportions de ces objets à partir de ceux conservés dans les collections européennes.

Nous voyons aussi à la manière dont les personnages portent leur kukri que Delacroix ne connaît pas l’usage de glisser le fourreau dans la ceinture textile. Sur son tableau en effet celui-ci repose sur la cuisse du personnage comme s’il était fixé en un point sur la hanche. La disposition même du fourreau ne permettrait pas au personnage, droitier, de le tirer facilement. Delacroix n’a donc manifestement pas eu accès à une documentation visuelle sur le Népal.

On comprend donc que faute de documents sur les costumes des gurkhas, il a choisi dans le répertoire de formes et costumes que constitue son fonds de dessins et d’études ce qu’il avait de plus proche à savoir le costume de cet Indien.

Ces éléments confirment que le tableau de 1831 relève d’un phénomène bien connu dans les œuvres du premier orientalisme de Delacroix : un mélange d’objets réels avec des éléments repris d’autres sources. Le processus ne relève toutefois pas de la pure fantaisie. Delacroix choisit un costume indien, et non pas turc, arabe ou grec. Il cherche ce qu’il y a de plus proche dans ses sources.

L’Indien de Calcutta

La série d’esquisses représentant l’Indien de Calcutta offre des clés essentielles à ce sujet. Nous avons voulu préciser la période à laquelle Delacroix a pu le peindre et le contexte. Pour remonter jusqu’à lui, il faut consulter un ouvrage gravé relatif à l’Inde paru en France à cette période[27], L’Inde française, ou collection de dessins lithographiés représentant les divinités, temples, etc., des peuples hindous qui habitent les possessions françaises de l’Inde etc. par Géringer et Chabrelié avec un texte explicatif de M.E. Burnouf[28].

L’ouvrage est publié à partir de 1827 sous forme de fascicules mensuels a priori à partir de janvier[29]. Burnouf n’est pas un inconnu, c’est le père de l’indianisme français. Il signe avec les notices de cet ouvrage une de ses premières publications marquant le début d’une carrière brillante[30]. Mais pour notre recherche, c’est la figure de Géringer qui est importante. Georges Augustin Géringer (env. 1762 – 1833)[31] était commerçant, marchand de couleur et peintre amateur. Il tenait ses activités commerciales au 15 rue du Roule et apparaît dans différents almanachs du commerce à Paris à la fin des années 1820 et au tout début des années 1830. Ses affaires l’amenaient souvent à voyager en Inde avec son fils Achille Auguste Géringer. Géringer père était aussi artiste comme nous l’apprend le texte rédigé par Chabrelié pour l’introduction de L’Inde française. En Inde il peignait dès que ses activités commerciales lui laissaient du temps libre. Il dressa ainsi des portraits d’Indiens qui furent la base de l’ouvrage. Chaque feuillet publié comprenait un portrait gravé d’après une aquarelle de Géringer et plusieurs gravures tirées de dessins réalisés par des artistes locaux. Il existait en Inde à l’époque un commerce florissant de peintures ou gravures sur les us et coutumes des Indiens, réalisés par des artistes locaux formés au style européen.

Fig. 4. Georges Augustin Geringer, Portrait de Mittou, d’après Geringer, 1827.

Géringer, visiblement fier de son œuvre, proposa vingt-deux dessins au Salon de 1827, dont deux seulement furent exposés[32]. D’après les dates du Salon et celles de la parution de L’Inde française, il est assez probable que l’exposition de ces œuvres ait aussi tenu lieu de publicité pour l’ouvrage[33]. On trouve dans le tome II, planche 5, de L’Inde française un portrait de « Mittou » par Géringer (fig. 4) dont la ressemblance avec l’Indien de Delacroix est évidente. C’est le même personnage et il porte le même chapeau et un costume de coupe analogue[34].

Le texte nous apprend que Mittou était originaire de Calcutta, qu’il était le domestique et l’interprète de Géringer et qu’il est entré à son service en Inde en 1822. Il est indiqué qu’« il accompagna M. Géringer à son retour en Europe, et excita quelque temps à Paris une curiosité assez empressée[35] ». Ce dernier élément ainsi que la ressemblance physique frappante et la mention de Calcutta dans la vente Delacroix de 1864 permettent d’identifier de manière ferme Mittou comme le modèle des cinq études de Delacroix. Le registre des passagers au départ de l’île Bourbon conservé aux archives d’Outre-Mer[36] comporte une mention « GERINGER Commerçant », qui embarque sur La Bonne Nanette partant le « 08/05/1826 de St Denis à Bordeaux ». Elle est accompagnée d’une note : « accompagné de sa Dame et un nommé Milou, domestique ». Géringer part donc de la Réunion en mai 1826. Le voyage de la Réunion dure quatre à cinq mois selon les vents. Nous savons donc que Mittou a été peint au plus tôt en septembre 1826.

Le texte de L’Inde française nous apprend que Mittou a été renvoyé en Inde en 1827. Delacroix a donc eu l’occasion de le peindre entre septembre 1826 au plus tôt et 1827 au plus tard.

Quant à la présence d’un second Indien sur l’étude conservée à la National Gallery of Art de Washington, une feuille de Delacroix conservée à Besançon présente des études de tête pour ce personnage sous différents angles et prouve qu’il s’agit d’un personnage réel différent de Mittou[37]. Le registre des passagers au départ de l’île Bourbon nous montre qu’Achille Géringer voyageait comme son père avec un domestique[38]. On peut supposer que le second modèle de Delacroix serait un domestique arrivé en France avec celui-ci.

Fig. 5. Eugène Delacroix, La Mort de Sardanapale, Paris, musée du Louvre, détail.

Un autre élément éclaire le rapport entre Delacroix et Géringer. Un des personnages du Sardanapale tient un katar (fig. 5). C’est un poignard d’un type tout à fait courant en Inde qui se tient par les branches transversales et dont la fonction est l’attaque de pointe visant à briser les anneaux d’une cote de maille (protection en usage en Inde jusqu’au XIXe siècle).

Les katars standard ont des branches latérales rectilignes. Celui que Delacroix dépeint correspond à un modèle extrêmement rare produit en Inde du Sud dont les branches s’évasent de manière continue[39]. Les exemplaires et les représentations de cette variante de katar sont très rares, nous n’en avons pas trouvé dans les ouvrages illustrés sur l’Inde ou l’orient disponibles à l’époque, mais l’un d’entre eux apparaît dans l’ouvrage de Géringer sur la planche n° 3 de la 7e livraison, celle de juillet ou août 1827 (fig. 6) ainsi que sous une forme moins reconnaissable sur la planche 5 de la livraison n° 5.

Fig. 6. « La fête du feu », pl. 3, 7e livraison de L’Inde française.

Delacroix a commencé à travailler au Sardanapale à l’été 1827 et réalisé des dessins et croquis préparatoires avant l’été 1827. La toile a été terminée avant la mi-janvier 1828. Delacroix a donc vu un katar de ce type avant cette date. Vu la rareté de cette variante de l’arme, il l’a très probablement vue dans une des planches de Géringer listées ci-dessus. Nous pouvons donc supposer que Delacroix a non seulement rencontré les domestiques des Géringer mais qu’il a aussi eu accès à L’Inde française ou aux peintures indiennes ramenées par George Augustin Géringer dès 1827.

Une hypothèse sur le modèle de 1831

Fig. 7. Eugène Delacroix, Etude d’un Gurkha de l’armée indienne, coll. particulière.

Ayant identifié Mittou, nous avons naturellement cherché à identifier le modèle du visage de l’Indien de 1831. Il apparaît sur deux dessins préparatoires. Le premier, pour le haut du tableau, est conservé en main privée (fig. 7). On note que Delacroix a hésité sur la courbure du visage au niveau de la joue et que sur cet essai, la tête est plus imposante. Le turban esquissé sur ce dessin est approximatif et ne correspond pas à une manière classique de nouer le turban en Inde contrairement à ce que l’on observe sur le tableau final où le nœud est assez proche d’un type courant. L’arête du nez sur le dessin présente un bec d’aigle assez marqué alors qu’il l’est nettement moins sur le tableau.

Ce visage apparaît aussi sur une feuille d’étude de têtes conservée au département des arts graphiques du Louvre qui a servi pour un autre tableau présenté par Delacroix au salon de 1831[40]. Il est caché dans l’épaule du personnage en bas de la feuille. La courbure du nez présente aussi un bec d’aigle plus prononcé que sur le tableau et la forme de la moustache est différente : au lieu de s’allonger, elle remonte vers le haut[41]. La forme du turban est différente de celle choisie par Delacroix pour le tableau qui est une version déformée par le peintre d’un type très caractéristique en Inde avec un bourrelet couvrant le front, séparé d’un cône aplati à l’arrière par une bande qui l’écrase.

Le choix d’un turban n’est pas anodin chez Delacroix. Il a produit de nombreuses feuilles d’études de turbans d’après des miniatures ou des ouvrages gravés où les formes sont très précisément reproduites. Il en a produit pour tous les domaines du monde islamique, monde ottoman, monde iranien, monde indien[42].

De fait dans les sources connues de Delacroix ou ses dessins, nous n’avons trouvé aucun moustachu, le menton saillant, de profil et portant un turban de ce type, hormis les deux premiers dessins évoqués ci-dessus. On note par contre dans l’ouvrage de Géringer le portrait de « Vardapa, chef de la caste de Moutchis de Pondichery », sur la planche 2 de la 9e livraison (fig. 26). Le texte de L’Inde française nous apprend que Vardapa exerce la profession de peintre sur toile et qu’il est l’auteur des dessins présentant les divinités et les professions de l’Inde présents dans l’ouvrage de Géringer. Son visage nous semble correspondre aux différents éléments. Il est de profil, avec une longue moustache ondulante, menton saillant et une lèvre inférieure saillante sous la moustache.

Fig. 8. Georges Augustin Géringer, Portrait de Vardapa,
d’après Geringer, 1827.

Si l’on admet cette identification, une théorie assez séduisante peut émerger concernant le tableau. Elle repose au départ sur cette identification et doit donc être considérée avec prudence. Elle devra être confortée ou infirmée par de futures découvertes dans les écrits ou dessins de Delacroix.

Nous avons suggéré plus haut que Delacroix avait eu accès à L’Inde française dès 1827 et qu’il en avait tiré un accessoire du Sardanapale, le katar. Il était prévu que L’Inde française paraisse en fascicules en 24 livraisons mensuelles. La table de l’ouvrage nous indique que Vardapa a été publié dans la 9e livraison. L’annonce la plus ancienne de la publication que nous avons relevée est dans le Journal des artistes daté du premier juillet 1827, où les livraisons 1 à 8 sont indiquées comme parues. Delacroix a donc pu avoir accès au feuillet figurant Vardapa dès le mois d’août 1827. Le visage apparaissant sur un dessin de 1831, si l’on retient cette identification on peut supposer que Delacroix disposait de l’ouvrage en 1831.

Delacroix s’en serait donc nourri en 1831 quand il a formé le projet de l’Indien armé du gourka kree. On peut se demander pourquoi Delacroix peint un sujet indien en 1831. Il a connu un échec cuisant en 1827 avec le Sardanapale, pour lequel il a puisé dans plusieurs ouvrages illustrés sur l’Inde. L’Inde elle-même n’est pas un sujet majeur dans sa production orientaliste. Les Grecs et les Turcs y tiennent une place bien plus importante. Pourquoi y revenir en 1831 ? On peut imaginer qu’il ait associé émotionnellement l’Inde, ses sources sur le sujet comme L’Inde française de Géringer à son échec. Et surtout pourquoi le kukri ?

Le tableau de 1831 évoque la bravoure des Népalais. Le texte de Delacroix pour le livret du salon est explicite sur ce point. L’analyse de la presse et des écrits sur la guerre anglo-népalaise ne laisse pas de doute sur le fait que les Népalais sont de manière générale considérés comme un modèle de vaillance à l’époque. Nous l’avons dit précédemment, le tableau doit être lu comme une allégorie du courage. Pourquoi choisir Vardapa pour incarner ce guerrier ? Delacroix avait plusieurs choix, L’Inde française compte vingt-quatre portraits détaillés dont un portrait de cipaye (soldat de la compagnie des Indes) et plusieurs portraits d’Indiens de castes militaires[43]. Delacroix choisit sciemment le visage d’un peintre pour incarner une allégorie du courage.

Cela pourrait avoir du sens dans le contexte du salon de 1831. Delacroix prépare La Liberté guidant le peuple. Il espère avec cette œuvre se relever de l’échec cuisant du Sardanapale en 1827 qui l’a beaucoup affecté. L’Indien en embuscade s’apprêtant à attaquer un camp anglais serait alors une métaphore de Delacroix lui-même s’apprêtant à affronter à nouveau la critique au Salon[44].

 

Les spécialistes de Delacroix ont depuis longtemps mis en lumière les rapports entre l’œuvre de Delacroix, grand lecteur, et l’orientalisme littéraire[45]. Le seul article à ce jour sur son rapport à l’Inde insiste beaucoup sur cet aspect, son titre lui-même est assez évocateur : « Delacroix et l’Inde rêvée[46] ». Ils ont aussi insisté sur le travail de copie d’après les ouvrages illustrés et les manuscrits de la Bibliothèque nationale[47].

Le processus de production du tableau de 1831 centré autour du kukri tel que nous avons pu l’analyser est une invitation à compléter cette approche par une autre centrée sur la matérialité des sources de l’œuvre orientaliste de Delacroix particulièrement pour les années 1820-1830, avant le voyage au Maroc[48]. Son orientalisme se nourrit certes de lectures poétiques ou littéraires, d’imagination, mais aussi d’une démarche de documentation que le peintre partage avec son cercle d’amis et qui consiste à profiter de la présence à Paris d’Orientaux pour accumuler dessins et esquisses pris sur des modèles vivants. Il cherche d’abord à trouver le juste costume avant de laisser libre cours à sa créativité dans la manière de le figurer.

Ainsi Delacroix et plusieurs de ses amis soutiens de la cause grecque vont-ils dessiner ou peindre le comte de Palatiano, aristocrate grec de passage à Paris. Delacroix et son ami Nicolas Toussaint Charlet vont tous deux faire une séance de pose avec un même oriental donnant naissance pour l’un au personnage en costume oriental dit Barroilhet, pour l’autre à une série de dessins aujourd’hui conservée au département des arts graphiques du Louvre[49]. Delacroix et plusieurs peintres parisiens représenteront aussi un même personnage que l’on suppose être le gardien de la girafe de Charles X, Hassan[50]. On retrouve un autre modèle partagé par Delacroix et Cogniet[51].

La collection orientale du peintre dont provient le kukri est un autre témoignage de ce souci d’exactitude des costumes chez le peintre. Les vêtements qu’il accumule pour peupler ses œuvres avant le Maroc correspondent bien à ceux de l’Empire ottoman ou de la Grèce dont il tire de nombreux sujets[52]. Bien que parfois fautif, l’usage que fait Delacroix des objets orientaux témoigne de l’intensité de ses recherches documentaires[53].

L’étude de ce kukri et du tableau qui le figure sont donc l’occasion de souligner le fait que dans les années 1820-1830 Delacroix manifeste déjà un souci de documentation sur l’Orient, à travers le dessin d’après les modèles vivants et la collecte d’objets, souci qui a été largement commenté par les spécialistes du peintre au sujet des souvenirs et des œuvres liés au Maroc[54].

Jean-Baptiste Clais travaille actuellement au sein du département des Objets d’art du musée du Louvre. Il est en charge de la collection asiatique et de la porcelaine européenne du XVIIIe siècle. Il a travaillé au cours de sa carrière sur les arts décoratifs indiens, chinois, les armes islamiques et l’innovation technologique. Ses activités d’ethnologue portent sur les cultures numériques et populaires contemporaines.

 

notes

[1] Inv. MD 2002-227A, MD 2002-227 B1 et MD 2002-227 B2. Les œuvres citées dans cet article dont le numéro d’inventaire commence par RF appartiennent toutes à la collection du département des arts graphiques du Louvre.

[2] La majorité des kukri conservés dans les musées ont été collectés à partir de la fin du XIXe siècle. Ce kukri est donc l’un des plus anciens, mais les quelques exemplaires de la même période ou plus anciens conservés présentent le même aspect. Les kukris plus récents tendent à être plus courts et plus épais.

[3] Voir Delacroix : objets dans la peinture souvenir du Maroc, Paris, Louvre éditions, 2014.

[4] Goorkha est en fait le nom de la famille régnante du Népal à l’époque. Le terme est synonyme de « népalais » dans les textes de l’époque. Il est aujourd’hui utilisé uniquement pour désigner les soldats d’origine népalaise des armées indienne et anglaise avec l’orthographe gurkha. Le terme Maïssoura est une déformation du nom Maïssour qui désigne dans le français du début du XIXe siècle le royaume de Mysore au sud de l’Inde, grand adversaire des Anglais abattu en 1799 et resté célèbre tout au long du siècle notamment par la figure charismatique de son souverain Tipu Sultan.

[5] Voir Musée royal, Explication des ouvrages de peinture, sculpture, gravure, lithographie, et architecture des artistes vivans, exposés au Musée royal le 1er mai 1831, Paris, Vinchon, fils et successeur de Mme Veuve Ballard, imprimeur du Musée royal, J.-J.-Rousseau, n° 8, 1831. Le tableau est aujourd’hui conservé à la Kunsthaus de Zurich, inv. NR. 2476. Voir L. Johnson, The Paintings of Eugène Delacroix: A Critical Catalogue, vols. 1-2, Oxford, Clarendon Press, 1981, n° 513, p. 29.

[6] Notons que le livret du salon est un des rares documents que nous ayons trouvé qui fasse référence à l’exposition de ce tableau, les différents comptes rendus de ce salon se focalisent sur la Liberté.

[7] Voir L. Caplan, « ‘Bravest of the Brave’: Representations of ‘The Gurkha’ in British Military Writings », Modern Asian Studies, 1991, 25, no. 3, 571-597. On en retrouve même trace dans des publications françaises de l’époque, voir par exemple Cte de Beaumont de Brivazac, L’Europe et ses colonies. Tome 1 par le comte de B…, Seconde édition, Paris, chez Chasseriau, libraire, rue Neuve-des-petits-champs, n° 5, 1822, p. 15. « Ces Gourkas, naturellement braves et guerriers […] »

[8] RF 10392 recto, fonds des dessins et miniatures, réserve des grands albums, Album Delacroix Eugène – 28 – Folio 26. Maurice Sérullaz a suggéré qu’il s’agisse du kukri. Nous pouvons le confirmer. Le seul type d’arme connu disposant d’une lame analogue est le couteau traditionnel des pasteurs nomades somalis et la poignée de leur arme est d’une forme différente. Ce dessin est donc bien celui d’un kukri quoiqu’un peu déformé.

[9] Notamment dans W. Kirkpatrick, An Account of the Kingdom of Nepaul in the Year 1793, Londres, Miller, 181 ; F. Hamilton, An Account of the Kingdom of Nepal and of the Territories Annexed to This Dominion by the House of Gorkka: Ill. with Engravings, 1819 ; W. Hamilton, A Geographical, Statistical, and Historical Description of Hindostan, and the Adjacent Countries: In Two Volumes. 1 1, Londres, Murray, 1820, J.-B. Fraser, Journal of a tour through part of the snowy range of the Himala Mountains, and to the sources of the rivers Jumna and Ganges, Londres, Rodwell and Martin, 1820 ; H.T. Prinsep, History of the Political and Military Transactions in India During the Administration of the Marquess of Hastings, 1813-1823, Londres, Kingsbury, Parbury & Allen, 1825 ; ‘Carnaticus’ (pseud.), « General View of our Indian Army », The Asiatic Journal and Monthly Register, 1821, XI, 6 ; anonyme, Military Sketches of the Goorka War, in India: In the Years 1814, 1815, 1816, Woodbridge, Printed by J. Loder. for R. Hunter London, 1822 ; J. Shipp, Memoirs of the Extraordinary Military Career of John Shipp: Late a Lieutenant in His Majesty’s 87th Regiment, Londres, Hurst, Chance, and Co, 1832.

[10] Caplan, Bravest of the Brave.

[11] Outre les recherches dans les textes biens connus sur la guerre du Népal, nous avons mené des recherches poussées dans différentes bases de données de livres numérisés sur un ensemble de mots clés comprenant les différentes orthographes de Népal, kukri, gurka et via les noms propres des acteurs du conflit pour faire émerger autant de sources que possible. Si cela a permis de trouver des articles de presses et des biographies de soldats, aucun ne contenait tout ou partie de l’anecdote de Delacroix.

[12] M. Hannoosh, Eugène Delacroix. Journal, Paris, José Corti, 2009, p. 173.

[13] Sur la collection Meyrick, voir l’article très complet de Stephen Duffy, « French Artists and the Meyrick Armoury », The Burlington Magazine Ed. Benedict Nicolson, 2009, p. 284-292, R.  Lowe, Sir Samuel Meyrick and Goodrich Court, Herefordshire, Logaston Press, 2003 et S.W. Pyhrr, De la Révolution au romantisme : les origines des collections modernes d’armes et d’armures, Paris, musée du Louvre, 2001.

[14] Voir aussi A. Joubin, Correspondance générale d’Eugène Delacroix, Paris, Plon, 1936, IV, p. 287, cité par Duffy.

[15] À l’origine, le livre de visite de Meyrick ne comportait pas de date en face de la liste des visites. Des dates aujourd’hui considérées comme non fiables ont été ajoutées ultérieurement.

[16] Voir S.R Meyrick and J. Skelton, Engraved Illustrations of Antient Arms and Armour, from the Collection of Goodrich Court. From the Drawings, and with the Descriptions of Dr. Meyrick, by J. Skelton, 1830.

[17] Voir Fraser, Journal of a tour… ; M. Archer and T. Falk, India Revealed: The Art and Adventures of James and William Fraser, 1801-35, Londres, Cassell, 1989 et D. Wright, 1994, « James Baillie Fraser: Traveller, Writer and Artist 1783-1856 », Iran, 32, p. 125-134.

[18] Duffy nous apprend que Meyrick aurait eu pour règle de n’accorder qu’une seule visite. Duffy, French Artists and the Meyrick Armoury.

[19] On peut aussi en déduire que la date du passage d’Auguste est fausse et correspond à l’une des dates ajoutées ultérieurement dans le cahier.

[20] L’examen du cahier d’entrée du salon de 1831 montre que Delacroix avait bien dit « du gourka kree » quand il a déposé son tableau, ce n’est donc pas une erreur de transcription opérée lors de la rédaction du livret.

[21] Joubin, Correspondance Générale, t. I, p.177-179, Lettre à Soulier le 21 avril 1826 et t. I, p.171, Lettre à Pierret et Guillemardet datée du 12 août 1825 : « je suis si horriblement paresseux que je n’ai aucunement travaillé l’anglais et que je n’ai pas fait tous les progrès que je devais raisonnablement espérer, après trois mois environs de séjour ».

[22] Voir RF 9830 Recto au département des arts graphiques du Louvre. Le sabre est très probablement celui en fig. 9. de la planche CXLI de l’ouvrage de 1830 de Meyrick, dont la forme pour être encore plus précis correspond au type panjabi identifié par Philipp S. Rawson dans son ouvrage de référence sur ces armes (The Indian Sword, New York, Arco Pub. Co, 1969).

[23] Joubin, Correspondance Générale, t. I, p. 167, lettre à Pierret du 1er août 1825.

[24] Il s’agit d’Un Indien assis, Otterlo, musée Kröller-Müller, Étude d’un Indien de Calcutta, Richmond, Virginia Museum of Fine Arts, Deux Études d’un indien de Calcutta, assis et debout, 1826, Washington, National Gallery of Art. Voir A. Robaut, Eugène Delacroix : fac-simile de dessins et croquis originaux, Paris, Dusacq, Moureau, Cadart et Luquet, 1864, n° 183-186, p. 25-26 et Johnson, The Paintings of Eugène Delacroix…, t. I, n° 23 à 25, p.19-22, t. II, planche 20-21. Une note de Delacroix relevée par Lee Johnson sur le carnet RF 9144 fol. 22 nous indique que Delacroix a prêté « à Mr Rue. Une toile l’indie[…] les deux études de l’indien en habit brun sur la même toile ». Ce carnet est utilisé en 1825 et 1830.

[25] R 23355. 27V. Notre recherche a aussi permis de remarquer la localisation nouvelle du troisième tableau de la série qui est aujourd’hui au Virginia Museum of Fine Arts.

[26] Voir par exemple à la British Library inv. D40087-35, inv. G70067-09 ou au Metropolitan Museum of Arts inv.1994.80

[27] A. Géringer, J.-J. Chabrelie et E. Burnouf, L’Inde française, ou, Collection de dessins lithographiés représentant les divinités, temples, costumes, physionomies, meubles, armes et ustensiles des peuples hindous qui habitent les possessions françaises de l’Inde, et en général la cote de Coromandel et le Malabar, Paris, Chabrelie, 1827.

[28] Lee Johnson a signalé une feuille d’étude de personnages de type oriental (arts graphiques, RF 9980) qui comporte l’annotation « voir l’ouvrage de Géringer [?] ». Elle est datée par Maurice Sérullaz des environs de 1840, voir L. Johnson, « Book review: musée du Louvre, Cabinet des dessins. Inventaire général des dessins, École française. Dessins d’Eugène Delacroix, 1798-1863 », The Burlington Magazine, 1985, 127, n° 984, p. 170-171.

[29] Les annonces relatives à cette publication commencent par celle du Journal des artistes du premier juillet 1827 et les livraisons 1 à 8 sont indiquées comme parues.

[30] Voir J. Barthélemy-Saint-Hilaire, Eugène Burnouf ses travaux et sa correspondence, Paris, 1891.

[31] Sur Géringer voir aux Archives nationales : Inventaire après décès de Georges Augustin Geringer, arrivé à Paris, rue du Bac, n° 26, le 21 novembre 1832, 28 novembre 1832 et Notoriété après décès de Marie Anne Jacobée Dornier veuve de Georges Augustin Géringer, arrivé à Paris, rue de Verneuil, n° 37, le 29 avril 1837 (répertoires et minutes de Me Charles Édouard Patinot, étude XXIV : MC/RE/XXIV/22 MC/RE/XXIV/25, MC/ET/XXIV/1248 MC/ET/XXIV/1310).

[32] Ces dessins sont signalés dans la Base « salons » alimentée par le musée d’Orsay et l’INHA.

[33] Incidemment en cherchant des relations autour de Géringer dans les bases du salon nous avons remarqué un certain Edme Théodore résidant 15 rue du Roule, présentant une aquarelle, n° 629 au salon de 1824. Il s’agit peut-être d’Edme Théodore Vivet, l’associé de Géringer chez Vivet & compagnie à la même adresse.

[34] Chaque région de l’Inde a ses propres coupes de vêtements, formes de chapeaux, bijoux, armes. Même si pour un œil occidental ils semblent analogues, il n’en est rien pour les indianistes. Dans le cas présent, le costume s’identifie à la coupe de l’ouverture au niveau du buste.

[35] Voir Geringer, L’Inde française, texte accompagnant la planche 5 figurant Mittou.

[36] Registre F5B 35 conservé au CAOM, Aix-en-Provence. Nous devons ici rendre hommage à Monsieur Henri Philippe Louis Maurel, généalogiste qui a recopié le contenu de ce registre et l’a mis en ligne sur son site personnel.

[37] Voir M. Serullaz, « A Comment on the Delacroix Exhibition organized in England », Burlington Magazine, 1965, vol. 107, p. 366.

[38] « GERINGER Achille – Peintre – Navire : l’Antonin Départ/Arrivée 20/06/1821 de St Denis à Pondichéry Note: ‘et un domestique’. GERINGER – Peintre – Navire : Latchimy Départ/Arrivée 21/03/1823 de St Denis à Côte Coromandel. » et sous une autre orthographe « GUERENGERS Achille – Peintre – Navire : La Favorite Départ/Arrivée 13/03/1820 de St Denis au Havre ».

[39] Pour donner un ordre d’idée, notre importante documentation personnelle sur les armes indiennes qui compte 300 katars n’en compte qu’un seul de ce type.

[40] RF 9640 recto « Le jeune Raphaël méditant dans son atelier » voir M. Sérullaz et al., Dessins d’Eugène Delacroix, 1798-1863, t. I, Paris, Ministère de la Culture, 1984, p. 116.

[41] Une autre feuille présentant un visage proche mais légèrement différent a été identifiée comme représentant le même personnage, RF 10296 recto « Études de têtes, et de personnages certains de type oriental », Paris, musée du Louvre. Montée dans un album factice, elle n’est pas datée. Nous ne souscrivons pas à cette identification. Le visage représenté est certes proche dans sa structure globale, avec notamment le menton saillant. Toutefois la forme de la moustache longue, droite, sans ondulation, associée à la manière de nouer le turban de manière lâche le laissant retomber derrière la nuque évoquent nettement un contexte plus ottoman.

[42] Pour la seule collection du département des arts graphiques du Louvre, voir RF 10043 recto, RF 23355.32, RF 9145.37, RF 9142.36, RF 9145.40, RF 9145.39, RF 9145.38, RF 9145.36, RF 9145.35, RF 9145.34, RF 9145.33, RF 9144.24.

[43] Voir les pages « Cipaye », « Namboussy peon » par exemple.

[44] Delacroix est coutumier de la représentation de lui-même dans ses tableaux, il pose par exemple en Ravenswood sur un tableau présent au musée national Eugène Delacroix (RF 1953-38).

[45] Voir par exemple V. Pomarede, Eugène Delacroix, La Mort de Sardanapale, Éditions de la Réunion des musées nationaux, Service culturel musée du Louvre, Collection Solo, Paris, 1998 ou F. Garber, « Beckford, Delacroix and Byronic Orientalism », Comparative Literature Studies, sept. 1981, vol. 18, n° 3, Papers of the Seventh Triennial Meeting of the American Comparative Literature Association, p. 321-332.

[46] B. Méra et S. Smith, « Delacroix et l’Inde rêvée », Bulletin de la société des amis du musée Delacroix, 2013, n° 1, 2013, p. 79-85.

[47] L. Johnson, « Towards Delacroix’s Oriental Sources », The Burlington Magazine, 1978, vol. 120, n° 900, 75th Anniversary Issue, p. 144, 146-151, N. Athanassoglou, « More on Delacroix’s Oriental Sources », The Burlington Magazine, sept. 1979, vol. 121, n° 918, p. 587, 591, D.A. Rosenthal, « A Mughal Portrait copied by Delacroix », The Burlington Magazine, juillet 1977, vol. 119, n° 892, p. 502, 505-506.

[48] Sur l’œuvre de Delacroix en général durant cette période, voir S. Allard et C. Fabre (éd.), Delacroix (1798-1863) (cat. exposition : Paris, 2018), Paris, Hazan, 2018, p. 21-134.

[49] RF 1953-37 et INV 25210 à 17. Sur ce sujet voir J.-B. Clais, Quand Charlet et Delacroix partagent un modèle, retour sur le portrait présumé du chanteur Barroilhet, à paraître.

[50] Voir par Delacroix RF 10346 verso, RF 10345 recto, RF 9654 recto, RF 4616 recto, attribué à Delacroix, 1923.8.5 au Smithsonian museum, par Cogniet, RF 15421 Verso, par Riesener, Portrait d’homme arabe avec un turban, musée de Lisieux, vente Sotheby’s 26 janvier 2017, New-York n° 270.

[51] Voir par Delacroix RF 10477 recto, RF 10028 recto et par Cogniet, Étude de têtes d’homme oriental passée en vente chez Piasa le 12 décembre 2007.

[52] Sur le remploi par Delacroix de ses objets orientaux dans plusieurs œuvres voir C. Bernard, « Some Aspects of Delacroix’s Orientalism », The Bulletin of the Cleveland Museum of Art, avril 1971, vol. 58, n° 4, p. 123-127 et dans la collection du musée Delacroix, MD 2002-233 utilisé pour la Grèce sur les ruines de Missolonghi ou MD 2002-235 utilisé dans différentes représentations de Turcs.

[53] Le peintre utilise ainsi dans une gravure, La Juive algérienne et sa servante, datant de 1833 (voir L. Johnson, « Delacroix’s ‘Jewish Bride’ », The Burlington Magazine, nov. 1997, vol. 139, n° 1136, p. 755-759), une petite bourse en en velours brodée d’argent de sa collection, jusqu’à aujourd’hui supposée ottomane (MD 2002-248). Il s’agit en fait d’une bourse à jetons française d’un type très courant à la cour de France au XVIIIe siècle. Ce type de bourse porte généralement des armoiries brodées sur le fond. Celle de Delacroix ayant perdu cette partie, il la croit ottomane. Cette erreur nous informe paradoxalement du bon niveau de connaissance de Delacroix des objets orientaux, le velours brodé d’argent étant très courant dans le monde ottoman et en Algérie.

[54] Voir Delacroix : objets dans la peinture souvenir du Maroc.

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