Diderot – Le Génie des Lumières. Nature, Normes, Transgressions
Colloque international à l’occasion du 300e anniversaire de Denis Diderot
Comité d’organisation: Konstanze Baron, Robert Fajen, Heinz Thoma
A l’élaboration de la notion de génie moderne, Diderot a sans doute apporté une contribution décisive: d’un côté, il semble reconnaître la pluralité et la valeur relative des « génies » dont il cherche à déterminer l’origine physiologique et l’application pratique; d’un autre côté – et la plupart du temps – le génie, chez lui, fait figure d’exception: c’est un « ressort de la nature » qui permet aux individus d’exception de créer des oeuvres hors norme. En soulignant soit la sensibilité, soit le sang-froid de l’esprit observateur, Diderot insiste sur le don de la nature qui met le génie en état de transcender les conventions humaines en créant ses propres lois. En liant le génie à l’enthousiasme et aux « grandes passions », il en fait une force tout à fait ambiguë, non exempte de qualités diaboliques: l’homme (ou bien la femme) de génie est capable d’exceller dans le bien aussi bien que dans le mal.
Ainsi, la réflexion de Diderot sur le génie ne se limite pas au seul domaine esthétique. Elle fait, tout au contraire, partie intégrante de l’oeuvre philosophique et littéraire de Diderot dans la mesure où celle-ci se préoccupe du rapport entre l’art et la nature, l’individu et la norme, la règle et sa transgression. En tant que telle, la notion de génie participe aux ambivalences et aux tournures dialectiques qui donnent à la pensée de Diderot son caractère distinct. Ce qui intéresse, par exemple, Diderot moraliste, c’est le rapport du génie aux règles et aux conventions de la société. Dans Le Neveu de Rameau, Diderot entame une réflexion sur le génie où l’art et la morale, la dimension éthique et artistique de la vie des « grands hommes » entrent en opposition fondamentale. L’ambiguïté morale du génie ne cesse d’ailleurs de hanter Diderot qui se dit fasciné par la « méchanceté sublime ». Dans la philosophie de la nature, par contre, il met l’accent sur les conditions subjectives de l’investigation scientifique et expérimentale. Dans les Pensées sur l’Interprétation de la Nature, la nature (soi-disant objective) trouve son complément théorique dans l’expérience subjective du philosophe. En même temps, Diderot admet l’importance des dispositions objectives (talent, intuition, esprit de divination etc.) du philosophe. Dans Jacques le Fataliste et son maître, cette même dialectique entre la nature et son interprétation est portée à son comble lorsque l’ingéniosité du narrateur (voire des narrateurs) se trouve en compétition directe avec celle – non moins romanesque – de la nature-même.
En mettant en relief la notion de « génie », la conférence se propose d’explorer une notion-clé de l’oeuvre de Diderot qui permettra en même temps de cerner des tendances générales, voire typiques de la pensée de Diderot ainsi que des Lumières. Il s’agira donc
de caractériser la pensée de Diderot : quel est le rapport entre la disposition naturelle, l’héritage physiologique et même génétique d’un côté et la liberté créatrice de l’autre? Comment Diderot conçoit-il le rapport entre l’art et la nature, les facultés innées et la possibilité du changement, voire de l’innovation? Le génie confirme-t-il ou met-il en question le déterminisme matérialiste ? Quel est le rapport entre l’originalité et la norme dans la pensée de Diderot ? de situer cette pensée dans son contexte tant bien historique que contemporain: Quelle est l’influence de la pensée antique et classique dans la pensée de Diderot ? Quel rôle a joué pour Diderot la conception anglaise (Shaftesbury) ou espagnole (Gracián) du génie / de l’ingenium ? Quelle est la réception de la pensée de Diderot en Allemagne, p.ex. auprès des auteurs du Sturm und Drang ? Dans le contexte français et européen, la pensée de Diderot incarne-t-elle la norme ou plutôt l’exception ? Qu’en est-il, en d’autres termes, de la représentativité de Diderot ? Tout ceci s’effectuera en vue d’un troisième objectif, à savoir de tenter une réflexion nouvelle sur la notion des Lumières : la philosophie des Lumières est-elle dominée par la norme, ou admet-elle l’exception ? Quel est le rôle de l’originalité dans la pensée des Lumières? En quoi les théories (esthétiques) du dix-huitième siècle sont-elles vraiment créatrices, en quoi ne font-elles que prolonger des débats plus anciens?Sujets d’investigation possibles:
- Caractère(s) de Diderot : le grand homme, l’homme sans caractère, etc.
- La théorie esthétique des Lumières: entre « imitation » et « inspiration »
- Enthousiasme, énergie, intuition: au-delà du déterminisme mécaniste
- L’exception et la norme : le statut de l’individu / du bizarre / de l’original
- L’art et la nature de l’invention (technique)
- Figures mythiques, interprétations modernes de l’ingenium / du démon
- Morale et esthétique : l’ingénieux n’est pas l’ingénu…
- Etc.
Veuillez envoyer votre proposition de communication (min. 300 mots) jusqu’au 15 juillet 2012 à l’adresse suivante : konstanze.baron@izea.uni-halle.de
http://webdoc2.urz.uni-halle.de/izea/cms/de.html
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.