Dans son article « ARTIFICE », Etienne Souriau (Vocabulaire d’esthétique, 1990) organise sa définition en proposant un sens général (« moyen ingénieux de produire ce qui n’arriverait pas naturellement ») puis en suivant une gradation en quatre étapes, de la connotation péjorative à la laudative, des « habiletés techniques qui pallient un défaut », à « une intervention beaucoup plus grande de l’art que de la nature ». A l’entrée « ARTIFICIEL », il centre son propos sur l’esthétique et y distingue deux volets. D’une part, il reprend une approche globale : ajoutant la notion de convention au balancement laudatif / péjoratif, il distingue trois attitudes transhistoriques : 1/ l’acceptation des conventions « au point qu’on ne les aperçoive même pas » ; 2/ la valorisation du naturel et la condamnation de l’artificiel conduisant à établir de nouvelles conventions ; 3/ l’éloge de l’artificiel, consécutive aux « dommages infligés » à la nature. D’autre part, le philosophe réserve un sort particulier à deux « sens techniques » : aux « matériaux artificiels » qui, dans le passé, imitaient mal les « matières naturelles », il oppose des « matériaux artificiels inventés » offrant des « ressources neuves » ; à la « lumière artificielle » du passé très différente de la naturelle, s’est substitué un « éclairage artificiel imitant assez bien la lumière du jour ». En quelques paragraphes, E. Souriau établit les grandes lignes d’une problématique : la bipolarité péjoratif / laudatif du terme, et les partis pris artistiques qu’elle implique ; l’association de l’artifice à la convention, et son opposition à la nature et au naturel ; la trans-sécularité et la dimension trans-artistique des positions. Alors qu’il montre que la critique de l’artifice débouche sur des conventions nouvelles qui seront à leur tour dénoncées, il semble reprendre à son compte cette idée pour la période contemporaine, dont les artifices seraient moins sensibles comme tels.
Peut-on aujourd’hui reposer la question de l’artifice non en prétendant la refonder, mais pour en faire jouer certains rouages ? Une telle entreprise est possible à trois conditions majeures : qu’elle soit transdisciplinaire et trans-séculaire, qu’elle fasse alterner tant des études d’œuvres faisant émerger des spécificités que des approches plus générales orientées vers une périodisation, et qu’elle s’intéresse non seulement aux différents arts et à la littérature, mais encore à tous les champs (savoirs, sciences, techniques, etc.) ; car l’emploi de l’artifice qui y est fait et les discours qui y sont tenus à son propos peuvent avoir une incidence sur les précédents ou en subir l’influence. Outre les techniques d’imitation, qui sont parfois assimilées à des moyens de tromper, la notion d’artifice couvre, de façon plus large mais plus discrète, l’idée de « savoir-faire », voire de « métier », d’ « instrument » et de « machine ». La bipolarité nature / artifice a-t-elle été dépassée dans l’histoire ? Y a-t-elle été renforcée ? Peut-on passer outre ou faut-il la reconfigurer ? Des réponses peuvent être aujourd’hui apportées à ces questions.
Le CELLAM (Centre d’Études des Littératures et Langues anciennes et modernes EA 3206, Université Rennes 2) a commencé à entreprendre ce travail : à l’occasion de deux journées d’études (20 octobre et 17 novembre 2011), des collègues, tous littéraires, ont étudié cette notion dans divers genres de la littérature (poésie, roman, littérature d’art etc.) et à différentes époques (Antiquité, Moyen-Age, Renaissance, etc.).
Afin de prolonger et d’approfondir cette première exploration, nous aimerions que des chercheurs apportent leur contribution à cette étude, en fonction de leur spécialité. Nous jugeons en effet nécessaire d’ouvrir la question à d’autres disciplines et d’autres approches.
Nous proposons ci-dessous quelques pistes à titre indicatif ; elles n’ont rien de restrictif. Nous accueillerons toute proposition qui ne fasse pas doublon avec les études déjà existantes. N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez des précisions.
Axe transversal littérature et arts
CELLAM — Université de Rennes 2
Elisabeth Lavezzi (Rennes 2) et Timothée Picard (IUF, Rennes 2)
* Une approche transhistorique
1/ Patristique : l’artifice chez les Pères de l’Eglise ;
2/ Philosophie : l’artifice en éthique ;
3/ Philosophie : l’artifice en épistémologie ;
4/ Histoire des mathématiques : le calcul artificiel ;
5/ Sémantique historique ou en linguistique générale : l’artifice historique ;
* Champs et méthodes
6/ Histoire de l’art, théorie de l’art : l’artifice en architecture ;
7/ Histoire : l’artifice en stratégie militaire ou dans les traités de chasse ;
8/ Histoire : l’artifice dans la mode ;
9/ Histoire culturelle : artifice et postmodernité ;
10/ Cinéma : les effets spéciaux, une étude sur Méliès, etc. ;
11/ Queer et gender studies : artifice et représentations du masculin, du féminin, de l’homosexualité, du transgenre, etc. ;
12 / « Imagologie » : par exemple, le topos de l’artificialité française ?
13/ Arts du spectacle : les machineries ;
14/ Sociologie des techniques : « artifice et nouvelles technologies » (internet) ;
* Auteur
15/ Littérature : l’éloge de l’artifice chez Wilde, etc.
Calendrier :
– envoi d’une proposition d’une dizaine de lignes avant le 15 mars 2012. Elle sera soumise au comité scientifique, formé de membres de l’axe transversal « littérature et arts » du CELLAM avant le 15 mars 2012 :
(elisabeth.lavezzi@uhb.fr et timothee.picard@gmail.com) ;
– envoi du texte définitif avant le 1er juin 2102.
L’ensemble des travaux seront rassemblés dans un collectif que nous souhaitons faire paraître au plus vite.
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