Proposé par Olivier Dard, Camille Dupuy, Michel Kail, Florent Le Bot & Cédric Perrin
Le thème de la machine, de l’automation/automatisation, du robot, voire de l’homme augmenté et du transhumanisme nous semble devoir être repris à l’aube du XXIe siècle, à l’heure où ces problématiques, et singulièrement le transhumanisme, sont présentées par certains comme de nouveaux enjeux. Alors que l’on a décrit ces processus comme déshumanisants (source d’un « travail en miettes » par exemple), ils constitueraient au contraire aujourd’hui une panacée et sont pensés sous un jour positif. Nous proposons de discuter de ces thématiques et d’en réexplorer les enjeux et les effets sur l’Homme.
Nous souhaitons plus particulièrement voir aborder quelques lignes directrices dans les articles du dossier. Celui-ci s’inscrivant dans la suite d’un dossier intitulé « Les mille peaux du capitalisme » (L’Homme et la société, 193-196, 2 vol.), postulant quele profit, la justification, le contrôle et la perpétuation constituaient le moteur du capitalisme, nous souhaiterions que les auteurs intègrent ce postulat dans leurs analyses et le fassent fructifier. Il s’agit bien en effet de réfléchir aux prolongements de l’Homme en la machine dans le cadre du capitalisme.. Trois axes peuvent être privilégiés :
Les dimensions socioéconomique et technique de l’Homme-machine
Les dimensions sécuritaire et militaire de l’Homme-machine
Les dimensions culturelle et de représentation de l’Homme-machine
NB : Ce que la machine fait au corps (dimension alternative du sujet) ne sera pas abordée prioritairement.
Les dimensions socioéconomique et technique de l’Homme-machine
L’introduction de la machine, de l’automation, de l’automatisation, de l’ordinateur, etc. (selon les contextes et donc le vocabulaire utilisé) met en jeu des questions d’organisation de l’économie et de la société, de la production et du travail. De ce point de vue, les expériences d’économie cybernétique en URSS ou encore le système de planification décentralisé Cybersyn réalisé sous la présidence de Salvador Allende (au Chili) notamment peuvent retenir l’attention.
Ces processus s’accompagnent de débats souvent présentés comme binaires sur le mode de l’acceptation ou du rejet (« les bris de machine » étudiés notamment par E. P. Thompson ou F. Jarrige), de l’idée de prospérité et d’abondance ou de paupérisation, de la libération du temps (et donc de l’Homme), de la croissance économique sans fin ou au contraire de l’aliénation du travailleur ; de l’optimisme ou du pessimisme. La presse se fait régulièrement l’écho d’études sur le rôle présumé des machines dans la destruction ou la création d’emploi. Les problématiques des conditions de travail, d’organisation du travail, du temps de travail, de la santé au travail entrent immédiatement en résonance avec le sujet. Mais il s’agit aussi de s’interroger sur les effets économiques et sociaux de telles évolutions. Ainsi, lors de l’industrialisation des sociétés occidentales au XIXe siècle, l’absolu du machinisme a pu apparaître comme l’avenir de l’Homme, reléguant le travail manuel, et singulièrement l’artisanat censé devoir disparaître, dans le passé. À la fin du XXe siècle, la « révolution numérique » a vu foisonner des utopies spatiales autour du télétravail, les nouveaux outils de communication devant abolir les distance et l’espace pour faire du monde un vaste « village planétaire » (Mc Luhan). Aucune de ces reconfigurations de l’Homme au travail par la machine n’est pleinement advenue. Au contraire, on assiste aujourd’hui à une intensification du travail et à une dégradation de ses conditions imputables à ces processus et à l’introduction de nouveaux outils de gestion rationalisateurs. Il importe d’en éclairer les prophéties, les déploiements et les impasses.
En perspective historique, la place de la machine dans le construit social (visible dans les sphères économique, politique mais aussi du loisir en tant que prétexte àre-création des forces de production) peut constituer un marqueur de changement de civilisation : de la « révolution industrielle » à la « révolution numérique ». Pour autant, ces ruptures sont-elles aussi évidentes qu’il y paraît. Ainsi, ne pourrait-on, malgré des différences de contexte marquées, identifier des permanences mettant en évidence les manières comparables dont nombre de problèmes d’ordre économique et social peuvent être envisagés, débattus et résolus ?
Par ailleurs, « l’humain augmenté tant adulé par les transhumanistes [n’est-il pas] avant tout un humain parfaitement adapté aux normes de compétition contemporaine et aux valeurs centrales de performance de croissance, de productivité et de compétitivité qu’il naturalise entièrement » ? (Nicolas Le Dévédec, « Retour vers le futur transhumaniste », 2015). Il y a là matière à s’interroger sur l’esprit (pas si nouveau) du biocapitalisme.
2. Les dimensions sécuritaire et militaire de l’Homme-machine
La question du contrôle de l’homme par la machine se pose également dans le domaine socioéconomico-politique. Tous badgés, tous tracés, tous géolocalisés, tous googelisés, tous « bagués », etc. Les occasions ne manquent pas d’inscrire les individus dans un filet de contrôle social de plus en plus étendu. Ce que l’on a tendance à considérer comme un marqueur des totalitarismes ne concerne-t-il pas aussi les démocraties… (Bertrand de Jouvenel, Du Pouvoir, 1945). Une réflexion sur la formation professionnelle dans sa dimension de « dressage » à l’ordre socioéconomique peut ainsi être envisagée. Dans l’économie troyenne de la bonneterie du premier XXe siècle, par exemple, le patronat considère que toute formation professionnelle est inutile pour les femmes qu’ils emploient car selon eux « huit semaines de dressage à la machine suffisent » …
Une problématique corrélée est celle du maintien de l’ordre à l’échelle nationale et internationale à l’aide de nouveaux moyens techniques, policiers et militaires. L’introduction des drones, des robots tueurs, de la guerre numérique, etc. marquent-ils une rupture dans « l’art de la guerre » (ce que les scientifiques qui en appellent à l’interdiction des robots tueurs semblent penser) ou ne s’agit-il pas du prolongement et de l’intensification d’une mise en coupe réglée des sociétés au service d’une optimisation rationalisatrice ? Derrière le prisme de la santé, par exemple, les objets connectés (montres, smartphones, etc.) permettent à l’individu d’accéder à une connaissance de soi, certes, mais donne accès à ces métadonnées, sources prolifiques, pour le marché.
Les algorithmes qui rendent possibles l’autonomisation des machines sont-ils mis en question ou sont-ils présentés comme « faits de nature » ? Quelle citoyenneté face à la construction algorithmique ? L’usage de ces algorithmes par exemple dans le cadre de la presse (« les robots-journalistes) pose à l’évidence des questions économiques, sociales et politiques.
3. Les dimensions culturelle et de représentation de l’Homme-machine
Ces questions ne peuvent faire l’économie d’une approche par les représentations, par la littérature (anticipation, SF), la peinture, ou autre formes artistiques (cinéma – de Métropolis de Fritz Lang à A.I. Intelligence Artificielle, théâtre, séries télévisées –Real Humans et ses hubots (human robots), etc.) qui se sont confrontées à ces questions, les inscrivant par exemple dans des perspectives de déclin civilisationnel (René Barjavel, Ravages ; Georges Bernanos, La France contre les robots) ou au contraire paradisiaque (Jean Fourastié, Le grand espoir du 20e siècle ou La civilisation de 1960). Sans viser à l’exhaustivité, les œuvres de Georges Orwell (1984), Aldous Huxley (Le meilleur des mondes) et de manière plus large de Philip K. Dick (Ubik, Blade Runner, Minority report, etc.), ou encore La Caste des Méta-Barons(bande dessinée), etc., sont évidemment à mobiliser.
Sans doute, une réflexion concernant l’Homme-machine et le sport serait également à envisager dans cet axe (le sport spectacle) ou dans l’axe 1 (l’économie du sport) dans la poursuite des travaux initiés par Jean-Marie Brohm. Dans la science-fiction, la notion de cyborg (Cybernetic Organism) définit un être vivant sur lequel sont greffés des appareils technologiques. Le sportif « augmenté » par prothèse ou implant sous-cutané ne relève-t-il vraiment que de la science-fiction ? Les techniques de dopage, plus ou moins licites, ne préfigurent-elles pas cet avenir du sportif ? Le dopage technologique est-il l’accomplissement des valeurs du sport et de l’essence de l’Homme, ou s’agit-il d’un nouvel avatar de l’esprit du capitalisme ?
La manière dont les hommes et les sociétés se sont confrontées au développement du machinisme peut nous permettre d’éclairer la manière dont les problèmes ont être envisagés, voire réglés. Les œuvres, de différentes portées, de philosophes tels que Karl Marx, Jacques Lafitte et sa « mécanologie », Gilbert Simondon, etc., seront à envisager dans cette perspective.
À l’ère où chacun de nous est sommé d’être « entrepreneur de sa vie », ne s’agit-il pas également, à travers le transhumanisme « d’investir dans son capital biologique » ? Ne s’agit-il pas qui plus est d’une manière renouvelée d’écarter les questions de justice sociale, d’inégalités et d’exclusions, en les faisant passer pour non pertinentes ? (Cécile Lafontaine, Le corps marché, 2014).
Une seule, deux ou trois des dimensions du projet peuvent se retrouver dans les contributions proposées. Une mise en relation ou une mise en perspective avec le capitalisme sera présente. Le dossier présentera une dimension résolument internationale et pluridisciplinaire. Privilégiant les XIXe, XXe et XXIe siècles, il pourra accueillir des textes sur des périodes plus anciennes qui s’avéreraient éclairants pour le propos.
Les propositions d’article sur une page maximum (résumé + bibliographie et/ou sources succinctes + bref CV et liste de publications succincte) sont à adresser à flebot[at]ens-cachan.fr pour le 15 septembre 2016 au plus tard, une réponse sera envoyée vers le 30 septembre 2016, les articles d’un maximum de 50 000 signes (espaces compris) seront à adresser au plus tard le 30 janvier 2017 afin d’être évalué durant l’année 2017 et publié dans L’Homme et la société en 2018.
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=revue&no=20
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