Lettre ouverte aux députés pour les prolongements de contrats doctoraux

Montpellier, le 12 mai 2020.
Mesdames, Messieurs les Député.es, Sénateurs et Sénatrices,

Vous allez être amené·es à débattre dans les prochains jours d’un projet de loi portant sur
diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid‑19. Nous
vous contactons pour apporter des précisions sur l’alinéa g de l’article 2 de ce texte, portant plus
spécifiquement sur la prolongation des contrats à durée déterminée au sein des opérateurs de
recherche, organismes et Universités. Si cet alinéa est un premier geste législatif concret vers la
nécessaire prolongation des contrats des jeunes scientifiques, il est dans sa formulation trop
restrictif, et n’apporte pas de précisions sur le financement de ces prolongations, comme expliqué
ci-dessous.
La France délivre tous les ans environ 15000 doctorats de l’Université, au terme d’un travail
de recherche de trois ans au moins. Il y a donc actuellement environ 70000 doctorant.es dans notre
pays, dont 70% bénéficient d’un financement doctoral, sous forme d’un contrat doctoral, ou d’un
contrat industriel, administratif ou associatif dit « CIFRE ». La durée du doctorat en France étant
inférieure à celle de nombreux pays, nos doctorantes et doctorants sont en temps normal sous une
forte pression. La fermeture pour cause de confinement des laboratoires ne travaillant pas sur le
covid-19 va encore raccourcir la période efficace de leur doctorat. Au-delà des doctorant·es, les
laboratoires de recherche publique emploient près de 30000 contractuel·les (équivalent temps
plein). Post-doctorant·es, ingénieur·es, technicien·nes, ces hommes et femmes, aux côtés des
doctorant·es, contribuent largement à la qualité du travail scientifique de nos laboratoires.
Pour la grande majorité de ces jeunes scientifiques de toutes disciplines, la fermeture des
laboratoires, bibliothèques, archives, et l’impossibilité des missions de terrain hypothèquent la
réussite de leurs projets et de ceux de leurs laboratoires. Pour toutes et tous, le confinement
désorganise la vie et conduit à des conditions de travail dégradées. Sans prolongation systématique
de leurs contrats de travail, ces jeunes scientifiques et leurs projets, dont beaucoup sont en lien
avec les crises climatiques, écologiques, sanitaires, sociales ou économiques actuellement éclipsées
par le covid-19, seront des victimes collatérales de l’épidémie. Notre pays peut-il se permettre un
tel gâchis dans un contexte où l’investissement dans la recherche devrait justement être une
priorité nationale?
Le Président de la République a annoncé le 19 mars un plan décennal pour la recherche,
indiquant une prise de conscience de l’importance vitale des scientifiques pour la Nation. La

Ministre de l’ESRI a annoncé le 23 avril qu’elle autorisait la prolongation des contrats par les
établissements, sans préciser néanmoins l’enveloppe financière qui y serait consacrée par le
Ministère. Le projet de loi que vous allez discuter est le premier document législatif traitant de ce
problème. Ce texte se limite actuellement à « autoriser » la prolongation des contrats
permettant de « poursuivre les activités et travaux de recherche en cours pendant la période
d’état d’urgence sanitaire et directement affectés par celle‑ci, de prolonger, dans la limite de
la durée de l’état d’urgence sanitaire » , sans aborder la question du financement de ces
prolongations. Cette formulation si elle permet en théorie la prolongation des contrats de la
majorité des doctorant·es et autres contractuel·les qui ont été pénalisé·es par cette période pose
néanmoins plusieurs problèmes :
1. Du fait du nombre très important de personnes pénalisées, l’identification de
travaux « directement affectés » risque de causer des délais importants et peut être
source de décisions arbitraires.
2. Les projets seront dans de nombreuses disciplines affectés bien au delà de la
période d’urgence sanitaire. Ainsi, les projets basés sur des observations
saisonnières (par exemple la croissance des arbres en fonction du climat ou
l’influence des insectes sur les rendements agricoles), des missions internationales,
ou la nécessité de reconstituer des stocks réduits pendant la période de fermeture
des laboratoires pourront prendre jusqu’à un an de retard.
3. Il ne s’agit que d’une « autorisation » à prolonger qui n’aborde pas le financement de
ces mesures dont le montant, que nous estimons à 300 millions d’euros (voir annexe
1), ne peut pas être couvert par les budgets actuels des opérateurs de recherche,
déjà exsangues. Sans couplage avec une annonce officielle gouvernementale du
montant des financements ministériels supplémentaires accordés, ce texte sera
source de faux espoirs.
Une tribune dans le journal Le Monde du 28 avril, signée de sociétés savantes, d’associations
de jeunes chercheurs et jeunes chercheuses, et d’associations de docteurs, et adossée à une pétition
signée par plus de 6200 personnes, insiste sur la nécessité de prolonger systématiquement les
contrats dans l’ESR d’une durée d’au moins 3 mois. Ce texte demandait également au Président de
lancer un vrai plan d’urgence pour la recherche publique en temps d’épidémie, comme cela est fait
actuellement pour l’économie. Aucun réponse n’a été reçue à ce jour. Vous trouverez ce texte en
annexe 2 à cette lettre.
Mesdames, Messieurs les parlementaires, en raison des conditions restrictives de
prolongation des contrats et de l’absence de financement associé, nous vous demandons de ne pas
voter ce texte dans sa formulation actuelle. A minima , la prolongation doit être autorisée pour tous
les contrats, que leur date d’échéance tombe pendant ou après la période d‘urgence sanitaire, qu’ils
soient de droit public ou de droit privé. Cette autorisation doit être accompagnée d’une annonce
budgétaire par le gouvernement pour permettre sa mise en oeuvre par les opérateurs de recherche.

Nous vous remercions pour l’attention que vous porterez à ce courrier. Votre soutien est
crucial pour que la recherche française puisse se relever de la crise actuelle et pour redonner
confiance aux jeunes scientifiques dans leur choix de servir notre pays.

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Cette lettre a été signée par l’APAHAU.
Pour voir la liste des signataires et les autres documents mentionnés par la lettre, cliquez sur ce lien:  Projet_Loi_covid-Prolongation_Contrats_ESR-Socacad 2(1)

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