Appel à communication : Quand l’objet archéologique est sujet historique (Lyon, 14-15 nov. 2024)

Appel à communications
Quand l’objet archéologique est sujet historique. Perception, fonction et réception des artefacts


Le laboratoire junior ArchéOrigines, fondé avec le soutien de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée de Lyon il y a bientôt deux ans, a consacré toutes ses activités à l’histoire de l’archéologie. En 2023, une table ronde sur « Les mots de l’archéologie »[1], puis une journée d’étude sur la naissance des musées d’archéologie ont été organisées[2]. La diversité des « Histoires d’archéologies » a été présentée à Dijon[3] et, plus récemment, un séminaire sur les liens unissant archéologie et nationalisme a été proposé à Lyon[4]. L’apport des études de genre à l’histoire de l’archéologie a été mis en perspective lors de la journée du 18 avril 2024[5]. Le colloque choisi pour clore le programme de ce laboratoire junior portera sur l’objet archéologique et sa fortune dans l’histoire de cette discipline.

Depuis la fin du XXe siècle, ce que l’on nomme désormais le material turn a donné lieu à de nouvelles manières d’envisager le cadre d’étude de l’objet, de ne plus le cantonner à un simple cas de recherche, mais bel et bien de le faire entrer de plain-pied dans l’histoire en tant qu’agent. Ce concept s’est avéré particulièrement fécond en archéologie où l’idée de material culture studies suscite de vifs débats au sein des communautés archéologique et anthropologique (Hicks 2010, p. 25-98). De même, le rôle de la culture matérielle a permis de redéfinir certains aspects de l’histoire globale, notamment dans la conceptualisation de l’espace et dans l’application de différentes échelles d’analyse (Riello 2022, p. 193-232).
L’objet archéologique est avant tout un vestige matériel, c’est-à-dire le témoignage de l’activité humaine sur, dans un premier temps, des matières naturelles (Djindjian 2011, p. 167-177). Si son acception est de plus en plus large, l’objet archéologique doit être inévitablement identifié par un archéologue qui fait de cet objet particulier une source matérielle exploitable pour penser les sociétés du passé, tandis que la place accordée à l’objet lui-même en histoire est souvent interrogée (Gauvard et Sirinelli 2015, p. 660-662). Aussi, l’objet est la principale source de l’archéologue qui fixe plusieurs règles théoriques pour son étude. Un artefact isolé perd l’essentiel de sa valeur scientifique en dehors de son contexte de découverte, c’est la raison pour laquelle des fouilles méthodiques permettent d’exhumer des ensembles clos indispensables aux archéologues. De même, l’établissement d’un corpus et la mise en série de types sont des étapes fondamentales et, aujourd’hui, de nombreux procédés physico-chimiques permettent d’approfondir la connaissance matérielle d’un objet.
L’objet isolé, le « bel objet » ou l’objet d’art – les frontières entre ces différentes catégories sont mouvantes – est très présent dans l’histoire de l’archéologie. Collectionneurs, marchands, historiens de l’art et archéologues perçoivent l’objet différemment, c’est pourquoi l’objet en tant que tel n’est pas un élément de définition disciplinaire. Les représentations construites à partir d’un objet seul et/ou isolé de son contexte ont été nombreuses (fouilles illégales, découvertes faites par des détectoristes, achats sur le marché de l’art, etc.). Malgré la perte de son intérêt scientifique, l’objet isolé suscite pourtant encore largement l’intérêt des contemporains, puisqu’un seul artefact, parfois même un unicum, peut être un « objet phare » et ainsi devenir un élément constitutif de l’image que l’on porte sur une société ancienne.

L’histoire des objets archéologiques est sans cesse transformée par les sens nouveaux que nous attribuons à ceux-ci. Krzysztof Pomian qualifie l’artefact de « sémiophore » (Pomian 1987, p. 42) et, présenté dans un espace muséal, il peut être appelé « expôt » (Desvallées et Mairesse 2011, p. 599). Les liens entre muséologie et objets de l’archéologie appellent à de nouvelles discussions (Kaeser 2015, p. 37-44), car l’objet change plusieurs fois de fonction et de statut au cours de sa vie. L’objet archéologique n’a plus sa fonction première, celle pour laquelle il avait été conçu et, pour les archéologues, il naît en quelque sorte à l’instant même où il est sorti de terre. Recueilli, acheté à un marchand, issu de fouilles encadrées ou sauvages, l’objet archéologique s’inscrit dans un processus de découverte, d’étude, d’échange, d’acquisition, d’exposition, sans toutefois que ces différentes phases soient nécessairement réunies.
De grandes expéditions des XIXe et XXe siècles ont notamment permis de découvrir des objets archéologiques qui ont largement bénéficié aux musées européens (Amkreutz 2020 ; Leblan et Juhé-Beaulaton 2018). Les perceptions de ces objets sont fort diverses : curiosités, souvenirs de voyage, objets scientifiques ou destinés à un musée. Les contextes de collecte sont souvent mal connus, mal étayés par une documentation rare ou peu accessible, si bien que les carnets de fouilles, entre autres sources, sont une aubaine pour le chercheur lorsqu’ils sont conservés. À cet égard, les archives, tant institutionnelles que privées, représentent un savoir inestimable pour retracer la constitution des collections scientifiques dans toutes leurs dimensions (Daugeron et Le Goff 2014). Le transport des objets représente un pan essentiel de leur histoire, d’autant plus que le cadre historique et institutionnel des fouilles est parfois très complexe. Les accords entre États, les soutiens effectifs aux explorateurs (autorisations gouvernementales, lettres de recommandation, décrets, etc.), les autorisations de fouilles par les locaux font partie intégrante de ce contexte (Gran-Aymerich 2007). De nombreuses fouilles se sont déroulées dans des territoires annexés ou sous occupation, quelquefois en contexte colonial. Ces situations spécifiques sont désormais profondément inscrites dans les enjeux actuels de restitution qui croisent l’histoire de l’archéologie et du patrimoine (Lehoërff 2023).
Bénédicte Savoy, dans À qui appartient la beauté ? (Savoy 2024), s’est intéressée à toutes les formes d’appropriations d’œuvres d’art et de patrimoine lors de relations déséquilibrées entre deux espaces. Elle qualifie ces pratiques de translocation patrimoniale afin de les distinguer des pillages et des spoliations qui surviennent dans d’autres contextes. En bref, l’artefact est un objet de désir pour l’archéologue, qu’il fouille ou non, et il manque aux régions dépossédées. L’appartenance territoriale des œuvres, l’importance des objets du point de vue scientifique et, enfin, la question de l’appartenance de la beauté renvoient à de multiples interrogations sociales, politiques et militaires, parfois toujours aussi vives. Ce trajet symbolique, matériel et immatériel, comprend une portée émotionnelle qui s’inscrit dans la durée (Fabre 2013).

Une histoire par les objets archéologiques doit aussi être menée. Ces objets, étudiés pour eux-mêmes et dans leur contexte, nous renseignent sur les sociétés du passé et sur notre propre regard. Dans de nombreux cas, l’objet est associé a posteriori avec d’autres mobiliers archéologiques où, organisés d’une certaine manière, ils peuvent servir des discours très divers. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la création des musées et l’organisation d’expositions universelles participent pleinement au développement de l’archéologie. L’Exposition universelle de Paris en 1867 célébrait l’agriculture et l’industrie (Vasseur 2023), la Galerie d’Histoire du travail intégrait la notion d’industrie – déjà employée par Jacques Boucher de Perthes – et présentait des objets « primitifs », donc préhistoriques, tandis que Gabriel de Mortillet se chargeait de l’organisation des collections préhistoriques. Associé à la deuxième session du Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques, ce grand moment combinait réflexions théoriques et exposition d’objets archéologiques, il contribuait à la reconnaissance de l’archéologie en tant que discipline scientifique.
Comment l’objet intervient-il alors dans nos représentations archéologiques ? Dès le XIXe siècle, certains systèmes chronologiques ont été construits à partir des découvertes, c’était une des possibilités épistémologiques pour les chronologies, alors portées par la notion d’industrie. Le système des Trois Âges repose sur la matière même des objets et la réception d’un tel système au milieu du XIXe siècle n’était pas une évidence (Rowley-Conwy 2007). Les conséquences des grandes découvertes ou de l’étude des objets considérés comme remarquables dans la construction de l’archéologie préhistorique et protohistorique, qui peinent à trouver une légitimation institutionnelle, restent en grande partie à interroger.
Les communications pourront concerner toutes les périodes et toutes les aires géographiques. Les propositions traitant d’objets archéologiques méconnus ou d’époques peu étudiées sont appréciées, une archéologie « à parts égales » (Bertrand 2011) étant une de nos ambitions.

Les interventions pourront, sans s’y limiter, s’inscrire dans les axes suivants : Études de cas d’objets archéologiques, de la fouille au musée Artefacts et réseaux savants Le rôle du marché de l’art dans la circulation des objets Transferts culturels et pratiques de collectionScénographie d’exposition des objets archéologiques
Le statut de l’objet et sa réception au sein de la société (Re)présentation du passé à travers les artefacts. L’objet au cœur des conflits : spoliations, restitutions, confrontationsCartographies numériques et bases de données muséales.

Ce colloque international se tiendra à Lyon les 14-15 novembre 2024. Les propositions de communication en français ou en anglais (2500 caractères maximum, espaces comprises), accompagnées d’une présentation biographique, devront être envoyées à l’adresse suivante : archeorigines@gmail.com avant le 15 juillet 2024. Les personnes dont les propositions seront retenues se verront notifiées par courriel avant le 30 juillet 2024. Les présentations dureront 20 minutes et seront suivies après chaque intervention d’un temps d’échange avec la salle.

Bibliographie/References :
Amkreutz Luc (éd.), Collecting Ancient Europe. National Museums and the search for European Antiquities in the 19th-early 20th century, Leiden, Sidestone Press, 2020.
Bertrand Romain, L’histoire à parts égales. Récits d’une rencontre, Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècle), Paris, Seuil, 2011.
Daugeron Bertrand, Le Goff Armelle (dir.), Penser, classer, administrer : pour une histoire croisée des collections scientifiques, Paris, Publications scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, 2014.
Desvallées André, Mairesse François (dir.), Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin, 2011.
Djindjian François, Manuel d’archéologie, Paris, Armand Colin, 2011.
Fabre Daniel, Émotions patrimoniales, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2013.
Gauvard Claude, Sirinelli Jean-François (dir.), Dictionnaire de l’historien, Paris, PUF, 2015.
Kaeser Marc-Antoine, « La muséologie et l’objet de l’archéologie : le rôle des collections face au paradoxe des rebuts du contexte », Nouvelles de l’archéologie, 139, 2015, p. 37-44.
Lehoërff Anne, Mettre au monde le patrimoine. L’archéologie en actes, Paris, Le Pommier, 2023.
Gran-Aymerich Ève, Les chercheurs de passé 1798-1945. Aux sources de l’archéologie, Paris, CNRS Éditions, 2007.
Hicks Dan, « The material-cultural turn: event and effect », in Hicks Dan, Beaudry Mary C. (éd.), The Oxford Handbook of Material Culture Studies, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 25-98.
Leblan Vincent, Juhé-Beaulaton Dominique (éd.), Le spécimen et le collecteur. Savoirs naturalistes, pouvoirs et altérités (XVIIIe-XXe siècles), Paris, Publications scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, 2018.
Pomian Krzysztof, Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris, Venise: XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Gallimard, 1987.
Riello Giorgio, « The “Material Turn” in World and Global History », Journal of World History, vol. 33, n° 2, 2022, p. 193-232.
Rowley-Conwy Peter, From Genesis to Prehistory: The Archaeological Three Age System and Its Contested Reception in Denmark, Britain, and Ireland, Oxford, Oxford University Press, 2007.
Savoy Bénédicte, À qui appartient la beauté ?, Paris, La Découverte, 2024.
Vasseur Édouard, L’Exposition universelle de 1867. L’apogée du Second Empire, Paris, Perrin, 2023.

[1] https://archeorigine.hypotheses.org/1825

[2] https://archeorigine.hypotheses.org/2599

[3] https://archeorigine.hypotheses.org/2832

[4] https://archeorigine.hypotheses.org/2873

[5] https://archeorigine.hypotheses.org/2880

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