Appel à communication : « La lecture-artiste. Que font les artistes de leurs lectures ? » (Paris, 30 novembre 2018)
Vendredi 30 novembre 2018, Salle Vasari, INHA (2 rue Vivienne, Paris)
« La peinture, la sculpture et même la danse d’aujourd’hui n’auraient jamais existé sans la littérature qui les a prédits[1]. » James Salter
Que font les artistes de leurs lectures ? Comment nourrissent-ils leur pratique artistique des livres qu’ils dévorent ou feuillettent ? Quel est le statut de la lecture dans le processus de création et le cheminement de l’artiste ? Pour commencer de répondre à ces questions, nous nous proposons de recourir à la notion de « lecture-artiste ». L’objet de cette journée d’étude sera d’interroger cette notion, en vue de construire une méthodologie d’analyse et de produire une théorie de la lecture-artiste. Son étude se place à la frontière des études de réception littéraire, de l’histoire de l’art dans sa réflexion sur les origines de la création et de l’histoire culturelle dans son étude de la consommation culturelle en tant que « création et production active d’autre chose[2] ».
La lecture est une communication différée qui possède une « dimension intersubjective » : la subjectivité de l’auteur rencontre celle du lecteur, ce qui implique « diversité et imprévisibilité des modes d’appropriation du discours littéraire[3] ». Quand le lecteur est un artiste, cette diversité et cette imprévisibilité sont accrues. D’une part, il semble qu’il y ait autant de lectures et d’usages différents de la lecture que de lecteurs. D’autre part, l’imprévisibilité est accentuée parce qu’on n’attend aucune « objectivité » de la lecture de l’artiste. La considération de la lecture comme activité balaie un large panorama d’usages possibles des textes, qui comprend des approches plus ouvertes que celles, prescriptives, des critiques professionnels et affranchies des exigences de l’érudition ou de l’évaluation. Contrairement à ces lecteurs « de métier », les artistes s’affranchissent plus facilement d’une lecture normative et sont ou se sentent autorisés à lire, interpréter et faire un usage libre des textes.
Ce que nous désignons sous la notion de lecture-artiste ne peut ainsi s’appréhender que sous un prisme anti-objectiviste, selon lequel il n’existe pas de sens permanent et inhérent au texte. Ce que la critique traditionnelle interdit – le hors-sujet, la mécompréhension, l’exubérance, la dénaturation, l’amateurisme –, est admis chez les artistes et offre un autre regard sur les livres, voire permet le « surgissement d’une nouvelle intelligence de l’œuvre[4] », en découvrant certains des « potentiels de signification[5] » infinis du texte. Les artistes ne sont pas des lecteurs idéaux, implicites (ceux et celles que demande le texte et qui se plient à son attente), compétents ou encore parfaits. Ils peuvent, au contraire, être déficients, imparfaits, anarchiques, producteurs de contresens et de mécompréhensions. Leur lecture est volontiers partielle, partiale, sélective, simplificatrice, imprévisible et, surtout, créatrice, en cela elle atteste de l’aspect ouvert de la réception des livres par les artistes, qui se poursuit parfois jusqu’à les intégrer dans leurs processus créatifs.
L’usage productif qu’en font les artistes pousse à son paroxysme l’idée du lecteur comme producteur, développée depuis les années 1970 par les théories successives de la réception littéraire. Ces dernières ont donné un rôle de plus en plus actif au lecteur à travers la découverte de plusieurs phénomènes de lecture. Les artistes assimilent, s’approprient leurs lectures avant d’en faire reparaître certains aspects de manière plus ou moins directe, fidèle, déformée, déclinée, recomposée, retravaillée, reconstruite, traduite et parfois méconnaissable dans des œuvres artistiques, qui sont alors, au moins partiellement, une concrétisation de leurs lectures. Il est alors possible d’identifier des exemples avérés d’emprunts, de citations de ces lectures par l’art. Mais, il s’agit également de prendre en compte des usages moins directs, qui s’insinuent dans la pensée artistique à travers des déplacements, des transferts relevant de la transmission impalpable d’idées, de conceptions, de réflexions souvent inexplicables.
La notion de lecture-artiste cherche donc à comprendre la lecture comme une mise en exergue des possibilités créatrices de l’artiste. La question qu’elle soulève est celle de savoir dans quelle mesure les artistes constituent une catégorie spécifique de lecteurs, pour laquelle la possibilité de s’affranchir des contraintes de lecture est plus grande ; ainsi que d’analyser comment la lecture leur offre un potentiel support de création. La matinée de la journée d’étude sera consacrée à une tentative de consolidation théorique de la notion de lecture-artiste et à la recherche de méthodologies propres à la traiter au cours d’une réflexion qui se doit être et se veut transdisciplinaire. L’après-midi sera consacré à des cas d’études d’usages et de transformations plus ou moins directs de lectures-artistes en œuvres d’art.
Axes possibles :
La journée d’étude se concentrant en priorité sur l’art du 20e siècle, les axes de recherche suivants seront privilégiés :
- L’histoire et la théorie de la lecture-artiste
- Les différentes modalités de la lecture-artiste
- L’usage concret de la lecture par des artistes
- L’influence de la lecture sur l’art
- La diversité et l’imprévisibilité de la lecture-artiste
- Les mélectures d’artistes et malentendus créateurs
- La transformation de la lecture par les artistes
- La figure de l’artiste lecteur
- Les bibliothèques d’artistes
- Le parallèle entre lecture-artiste et écriture-artiste
- La réception des faits littéraires par le champ artistique
Modalités de soumission :
Les propositions devront nous parvenir sous forme d’une problématique résumée en 5 000 signes maximum (espaces compris), avant le 22 juin 2018 par courriel à emeline.jaret@gmail.com, lisonnoel@gmail.com et umut.ungan@ehess.fr. La durée des communications n’excédera pas 30 minutes.
Comité scientifique :
Jean-Max Colard (Centre Pompidou), Émeline Jaret (docteure, Paris-Sorbonne), Lison Noël (docteure, Paris Ouest) et Umut Ungan (docteur, EHESS).
Journée d’étude organisée avec le partenariat du Centre Pompidou et du Centre André Chastel.
[1] James Salter, « On Richard Seaver », The New York Review of Books, 12 mars 2009.
[2] Daniel Roche, « Une déclinaison des Lumières », dans Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Seuil, 1997, p. 42.
[3] Alain Vaillant, L’Histoire littéraire, Paris, Armand Colin, 2010, p. 144.
[4] Hans-Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978, p. 312.
[5] Wolfgang Iser, L’Acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, Paris, Mardage, 1985, p. 156.
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