Appel à communication : « Bâtir l’identité. Architecture et identités collectives en Europe médiévale et moderne (XIe-XVIIIe siècles) » (Nantes, 12 et 13 juin 2025)

À partir des années 1970, la notion d’identité collective, définie notamment par le philosophe et sociologue Julien Freund, émerge en tant qu’objet d’étude. Pour lui, l’identité collective correspond ainsi à l’identification de plusieurs personnes qui ont des choses en commun. « Ce qui cimente une identité collective c’est à la fois la représentation commune que les membres se font des objectifs ou des raisons constitutives d’un groupement et la reconnaissance mutuelle de tous dans cette représentation[1] ». Il n’y a donc d’identité collective « que sur la base de la conscience de particularismes[2] ».

Des sociologues ont également établi des liaisons entre identité collective et architecture[3]. L’engouement des sciences sociales pour cette notion a notamment su trouver un écho en histoire de l’art avec l’organisation récente de colloques dont les diverses contributions ont été un début de réflexion essentiel, plus particulièrement pour l’histoire de l’architecture. Toutefois, le sujet reste largement circonscrit aux périodes contemporaines[4].

Pourtant, la relation entre architecture et identités collectives dans des temps antérieurs à la création des nations modernes doit elle aussi être interrogée. À partir du XIe siècle, l’Occident connaît de grands bouleversements dans l’organisation spatiale et sociale des sociétés[5]. Un système communautaire se forme alors. Parallèlement, dans un contexte de développement des taxinomies sociales, apparaissent différents signes et marqueurs destinés à garantir l’identité de l’individu, comme les armoiries ou les sceaux[6]. Des groupes sociaux se forment également autour de caractères communs territoriaux, économiques, politiques ou encore linguistiques. En s’exprimant progressivement à travers une sémiotique visuelle, notamment dans l’architecture, les identités collectives deviennent reconnaissables. Ces dernières peuvent par ailleurs se superposer et se multiplier sur un même édifice. C’est pourquoi, depuis les Temps modernes, même si les historiens de l’art classent traditionnellement les œuvres par pays et par régions, les frontières se révèlent plus complexes et fluides[7]. L’architecture peut ainsi se placer comme un marqueur social et spatial. De surcroît, l’expression de ces identités dans la production bâtie n’est jamais le fruit d’une formation spontanée, mais bien les résultats d’actions, concertées ou non. Ainsi, la question n’est pas de savoir si l’architecture peut incarner les identités collectives, mais comment et dans l’intérêt de qui[8].

 

L’objectif de cette journée d’étude est donc de mettre en évidence les processus de construction et de développement des identités collectives dans l’architecture sur un temps long, du XIe siècle au XVIIIe siècle, et sur un territoire large, l’Europe. Les identités peuvent être traduites dans la forme des édifices, dans les décors intérieurs ou extérieurs, ou encore dans les techniques, matériaux ou savoir-faire mis en œuvre. Afin de prendre en compte un large panorama de groupes, toutes les formes architecturales peuvent être étudiées : habitats, ensembles monumentaux, architectures rurales, urbanisme, etc., ainsi que les représentations de l’architecture sous d’autres médiums (sceaux, peintures, enluminures, etc.). Trois thématiques, susceptibles de se croiser, sont à privilégier.

 

  • Sémiotique visuelle et sémiotique de l’espace

Afin de répondre à cette volonté d’affirmation dans l’espace, un ensemble d’éléments visuels peut être développé pour incarner le groupe. Comment une identité collective est-elle traduite dans des plans, des décors architecturaux ou dans un ensemble urbain ?

La notion de « modèle » doit aussi être interrogée. En effet, les groupes sociaux peuvent s’identifier à une typologie de constructions ou encore de décors avec une volonté de les reproduire ensuite. Ainsi, il convient de s’interroger sur le choix des modèles. Par ailleurs, pour réaliser un nouvel objet, l’archétype est le point de départ[9]. Ce dernier est ainsi décliné, mais dans quelle mesure la réalisation s’émancipe-t-elle du modèle ?

 

  • Matériaux, techniques et savoir-faire

Quand ils sont visibles, les techniques et les matériaux mis en œuvre sont intrinsèquement associés au discours sémiotique. Ainsi, les réserves géologiques d’un territoire ont pu localement donner aux constructions une certaine unité. Cependant, les ressources s’importent et les hommes se déplacent, entraînant de fait des transferts de compétences. Le savoir-faire, s’il n’est pas donné à voir, peut-il aussi traduire une identité collective ? L’importation de matériaux se fait-elle uniquement sur des critères visuels ou le lieu de provenance est-il déterminant ?

 

  • Le chantier : entre individualité et élaboration collective

La mise en place d’un programme architectural répond bien souvent à une nécessité, identifiée en amont par le commanditaire. Le rôle de ce dernier dans les choix architecturaux doit être questionné. De même, il faut s’interroger sur la fonction donnée à l’architecture : faut-il se reconnaître dans celle-ci ou être reconnaissable grâce à elle ? De plus, la mise en œuvre du discours identitaire au sein du groupe peut-elle être planifiée ou régulée ?

Il est également nécessaire de prendre en compte les différents corps de métiers qui exercent et s’associent dans le cadre de chantiers (architectes, artisans et ateliers, ingénieurs, dessinateurs, etc.). Ces personnes peuvent travailler seules, faisant ainsi ressortir leur individualité, ou bien être issues d’un groupement éventuellement corporatif ou familial. De fait, il convient d’étudier les protagonistes pour déterminer leur rôle dans l’élaboration du discours identitaire : le choix de ces différents personnages est-il déterminant dans la conception du discours identitaire ? Leurs expériences ou leur origine peuvent-elles être décisives ? Quel est leur rôle respectif dans ce processus ?

 

 

 

Modalités de soumission 

Les propositions de communication, en anglais ou en français, ne devront pas excéder 2000 caractères espaces compris et devront être accompagnées d’un titre provisoire, d’une bibliographie indicative et d’une courte biographie de l’auteur. En outre, elles devront être envoyées par mail, en PDF, au plus tard le 13 décembre 2024, à l’adresse électronique suivante : architectures.id.collectives@gmail.com

Les communications, d’une durée de vingt à vingt-cinq minutes, pourront être présentées en français ou en anglais. Une attention particulière sera portée aux soumissions émanant de jeunes chercheurs.

Cette journée d’étude se déroulera le 12 et le 13 juin 2025 à Nantes. Une publication d’actes est envisagée.

 

Comité scientifique 

  • Thomas Flum, Professeur d’histoire de l’art médiéval, Centre Lucien Febvre, Université de Franche-Comté.
  • Frédéric Fournis, Chef du pôle Inventaire général du Patrimoine, Région des Pays de la Loire.
  • Jean-Marie Guillouët, Professeur d’histoire de l’art médiéval, UMR 6298 ARTEHIS, Université de Bourgogne.
  • Dominique Massounie, Maîtresse de conférences d’histoire de l’art moderne, Unité de recherche Histoire des arts et des représentations, Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense.
  • Hélène Rousteau-Chambon, Professeure d’histoire de l’art moderne, UMR 6566 CReAAH, laboratoire LARA, Nantes Université.
  • Ambre Vilain, Maîtresse de conférences d’histoire de l’art médiéval, UMR 6566 CReAAH, laboratoire LARA, Nantes Université.

 

 

Comité d’organisation 

  • Cindy Debierre, doctorante en histoire de l’art moderne, UMR 6566 CReAAH, laboratoire LARA, Nantes Université.
  • Lilith Lebot, doctorante en histoire de l’art moderne, UMR 6566 CReAAH, laboratoire LARA, Nantes Université.
  • Mathilde Pubert, doctorante en histoire de l’art médiéval, UMR 6566 CReAAH, laboratoire LARA, Nantes Université. Chercheuse à l’Inventaire général du Patrimoine, Région des Pays de la Loire.

 

Call for papers

 

Building Identity

Architecture and Collective Identities in Medieval and Modern Europe

(11th-18th centuries)

 

Nantes, June 12 and 13, 2025

 

From the 1970s onwards, the notion of collective identity, defined by philosopher and sociologist Julien Freund, emerged as an object of study. For him, collective identity refers to the identification of several people who share something in common. “What cements a collective identity is both the common representation that members make of the objectives or reasons that constitute the group, and the mutual recognition of all within this representation[10]”. Collective identity can therefore only exist “based on an awareness of particularisms[11]”.

Since then, sociologists have established links between collective identity and architecture[12]. The interest of social sciences in this concept has also found an echo in art history, with the recent organisation of symposia. Their various contributions have provided an essential starting point for reflection, particularly in the history of architecture. However, the subject remains largely confined to contemporary periods[13].

Thus, the relationship between architecture and collective identities before the creation of modern nations also warrants examination. From the 11th century onwards, Europe experienced major upheavals in the spatial and social organisation of its societies[14]. A community-based system emerged. At the same time, as social taxonomies developed, various signs and markers, such as coats of arms and seals, appeared to guarantee individual identity[15]. Social groups also formed around shared territorial, economic, political, or linguistic characteristics. By gradually expressing themselves through visual symbols, notably in architecture, collective identities become recognisable. These identities could overlap and multiply within the same building. This is why, since modern times, although art historians traditionally classify works by country and region, borders have proven to be more complex and fluid[16]. Architecture can thus serve as both a social and spatial marker. Furthermore, the expression of these identities in-built production is never the result of spontaneous formation, but rather of deliberate, concerted or otherwise, actions. Therefore, the question is not whether architecture can embody collective identities, but how, and in whose interests[17].

 

The purpose of this symposium is to examine the construction and development of collective identities within architecture throughout a long period, from the 11th to the 18th century, and across a broad territory, Europe. These identities can be reflected in the shape of buildings, in interior or exterior decor, or in the techniques, materials and expertise employed. To encompass a wide range of groups, all architectural forms can be studied: dwellings, monumental structures, rural architecture, urban planning, etc., as well as representations of architecture in other media (seals, paintings, illuminations, etc.). Three themes, likely to intersect, are to be prioritised.

 

  1. Visual and Spatial Semiotics

In response to the desire for spatial affirmation, visual elements can be developed to embody the group. How is a collective identity translated into plans, architectural decor, or an urban ensemble?

The notion of “model” also needs to be questioned. Indeed, social groups may identify with a particular type of building or decor, and reproduce it subsequently. The choice of models therefore requires careful consideration. Moreover, when creating a new object, the archetype serves as a starting point[18]. But to what extent does the finished product emancipate itself from the model?

 

  1. Materials, Techniques and Expertise

When visible, the techniques and materials used are intrinsically associated with the semiotic discourse. For instance, the region’s geological resources may lend its buildings a certain unity. However, resources are imported and people travel, leading to the transfer of skills.

If expertise cannot be visually displayed, can it still reflect a collective identity? Is the importation of materials based solely on visual criteria, or is the place of origin a determining factor?

 

  1. Building: Between Individuality and Collective Creation

The architectural programme often responds to a need, identified upstream by the art commissioner. His role in the architectural choices must therefore be examined. Similarly, the function attributed to architecture should be questioned: do we identify ourselves with it, or are we meant to be identifiable through it?  Moreover, can the use of visual identity discourse within the group be planned or regulated?

It is also necessary to consider the various professions that operate and collaborate (architects, craftsmen and workshops, engineers, draughtsmen, etc.). These professionals may work alone, highlighting their individuality, or they may be part of a corporate or family group. Thus, we must study the protagonists involved to determine their role in the elaboration of identity discourse: is the choice of these different professionals decisive in shaping the identity discourse? Can their experience or origin be pivotal? What is their respective role in this process?

 

Submission Procedures

Please submit an abstract of no more than 2,000 characters (including spaces) in English or French. It must include a provisional title, an indicative bibliography and a short biography of the author. Abstracts should be sent by email, in PDF format, by Friday, December 13, 2024, to the following address: architectures.id.collectives@gmail.com.

Presentations are expected to last between twenty and twenty-five minutes, and may be given in either French or English.

This study day will take place on June 12 and 13, 2025 in Nantes. A publication is under consideration.

 

Scientific Committee

– Thomas Flum, Professor of Medieval Art History, Centre Lucien Febvre, Université de Franche-Comté.

– Frédéric Fournis, Supervisor of the Inventaire Général du Patrimoine, Région des Pays de la Loire.

– Jean-Marie Guillouët, Professor of Medieval Art History, UMR 6298 ARTEHIS, Université de Bourgogne.

– Dominique Massounie, University Lecturer in Modern Art History, Unité de recherche Histoire des arts et des représentations, Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense.

– Hélène Rousteau-Chambon, Professor of Modern Art History, UMR 6566, CReAAH, laboratory LARA, Nantes Université.

– Ambre Vilain, University Lecturer in Medieval Art History, UMR 6566, CReAAH, laboratory LARA, Nantes Université.

 

Organisation Committee

– Cindy Debierre, PhD student in Modern Art History, UMR 6566 CReAAH, laboratory LARA, Nantes Université.

– Lilith Lebot, PhD student in Modern Art History, UMR 6566 CReAAH, laboratory LARA, Nantes Université.

– Mathilde Pubert, PhD student in Medieval Art History, UMR 6566 CreAAH, laboratory LARA, Nantes Université. Researcher at the Inventaire Général du Patrimoine, Région des Pays de la Loire.

 

[1] Freund, Julien, « Petit essai de phénoménologie sociologique sur l’identité collective », dans Beauchard, Jacques (dir.), Identité collectives et travail social, Toulouse, Privat, 1979, p.74.

[2] Ibid.

[3] Notamment : King, Anthony D., Buildings and society: Essays on the Social Development of the Built Environment, Routledge & Kegan Paul, Londres, 1980 ; Dovey, Kim, Becoming Places: Urbanism/Architecture/Identity/Power, Routledge, Londres, 2009 ; Jones, Paul, The Sociology of Architecture: Constructing Identities, Liverpool University Press, Liverpool, 2011.

[4] Notamment : Fabriquer les identités collectives : un chantier de l’art à l’époque contemporaine (27-28 mai 2021, en ligne) ; Les Formes visuelles du collectif, XIXe-XXIe siècles (07-08 novembre 2019, Tours) ; Workshop Identitäten / Identités (II) (31 mars-1e avril 2020, Paris).

[5] Morsel, Joseph, « Les logiques communautaires entre logiques spatiales et logiques catégorielles (XIIe-XVe siècles) », dans Magnani, Eliana, Franco, Hilario Junior, De Campos, Flàvio (dir.), Le Moyen Âge vu d’ailleurs, II : Historiografia e Pesquisas Recentes, São Paulo, Universidade de São Paulo, 2004, p. 253-278.

[6] Bedos-Rezak, Brigitte, « Medieval Identity: a Sign and Concept », dans American historical review, n°105, p. 1489-1533.

[7] Dacosta Kaufmann, Thomas, Toward a Geography of art, Chicago, University of Chicago Press, 2004.

[8] Dovey, Kim, op. cit. p. 45.

[9] Choay, Françoise, La Règle et le modèle. Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, Paris, Seuil, 1996 (2e édition).

[10] FREUND, Julien, “Petit essai de phénoménologie sociologique sur l’identité collective”, in BEAUCHARD, Jacques (dir.), Identité collective et travail social, Toulouse, Privat, 1979, p.74.

[11] Ibid.

[12] In particular: KING, Anthony D., Buildings and society: Essays on the Social Development of the Built Environment, Routledge & Kegan Paul, Londres, 1980; DOVEY, Kim, Becoming Places: Urbanism/Architecture/Identity/Power, Routledge, Londres, 2009; JONES, Paul, The Sociology of  Architecture: Constructing Identities, Liverpool University Press, Liverpool, 2011.

[13] In particular: Fabriquer les identités collectives: un chantier de l’art à l’époque contemporaine (May, 27-28 2021, en ligne); Les Formes visuelles du collectif, XIXe-XXIe siècles (November, 07-08 2019, Tours); Workshop Identitäten / Identités (II) (March, 31 and April, 1st 2020, Paris).

[14] MORSEL, Joseph, “Les logiques communautaires entre logiques spatiales et logiques catégorielles (XIIe-XVe siècles)”, dans MAGNANI, Eliana, FRANCO, Hilario Junior, DE CAMPOS, Flàvio (dir.), Le Moyen Âge vu d’ailleurs, II: Historiografia e Pesquisas Recentes, São Paulo, Universidade de São Paulo, 2004, p. 253-278.

[15] BEDOS-REZAK, Brigitte,  “Medieval Identity: a Sign and Concept”, dans American historical review, n°105, p. 1489-1533.

[16] DACOSTA KAUFMANN, Thomas, Toward a Geography of art, Chicago, University of Chicago Press, 2004.

[17] DOVEY, Kim, op. cit. p. 45.

[18] CHOAY, Françoise, La Règle et le modèle. Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, Paris, Seuil, 1996 (2e édition).

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