Beaute ideologique (Lyon, 7 May 15) Ecole Normale Supérieure de Lyon, May 07, 2015 Deadline: Jan 5, 2015Beauté idéologique. La part du beau dans les oeuvres de propagande Depuis le XVIIIe siècle, la propagande se donne explicitement comme but de réformer le regard des hommes sur le monde en changeant les cadres de pensée qui le rendent intelligible, ce afin de les conduire à agir. La forme de la propagande a donc systématiquement fait l’objet d’une réflexion poussée afin de s’assurer de son efficacité : loin d’être la simple présentation attrayante du message, elle participe pleinement à celui-ci, en visant deux buts essentiels à la conversion des esprits, la pédagogie et la séduction. L’œuvre de propagande doit permettre de saisir facilement et pleinement le message, mais elle doit en même temps attirer à lui des personnes a priori indifférentes, et ne pas rebuter, par une présentation inesthétique, ceux qui sont par ailleurs sympathiques aux idées qu’elle présente. Or les deux visées ne se rejoignent pas complètement : la pédagogie exige une intelligibilité complète alors que la séduction consiste à offrir une matière enrichie, embellie, voire émouvante du message, qui s’en trouve complexifié.
C’est dans ce cadre que se pose la question de la beauté, une interrogation qui ressurgit régulièrement, que ce soit du côté de la production, de la réception ou encore de la diffusion de ces images. Chez ceux qui réalisent les images, l’objectif de pédagogie s’accompagne en effet souvent d’une exigence esthétique. Pour le Mexicain David Siqueiros, le but suprême de l’art est de « créer la beauté pour tous, la beauté qui éclaire les esprits et pousse à la lutte », comme il l’exprime dans son manifeste de 1922. Chez ceux qui sont chargés de diffuser les œuvres, la même question apparaît. Par exemple, les œuvres primées par le Premio Cremona, concours artistique créé en Italie en 1939 pour encourager les talents fascistes émergents, ne sont pas toujours aussi bien relayées qu’elles étaient supposées l’être, car certains dignitaires du régime mussolinien sont peu convaincus par leurs qualités plastiques, malgré un contenu politique irréprochable. Chez ceux qui regardent les images, la question est également soulevée. Ainsi, dans l’Allemagne de l’Est de 1950, face à une affiche qui leur déplaît et qu’ils prennent soin de décrire, des syndicalistes écrivent : « nous ne voudrions pas nous attarder sur la réalisation technique, nous sommes de simples profanes, mais notre sens de la beauté (Schönheitsgefühl) a été blessé par la grossièreté des traits, qui sont particulièrement mal dessinés ».
D’où le questionnement au cœur de cette journée : pourquoi et comment la catégorie du beau est-elle mobilisée lors des activités de propagande ? Il s’agit de réfléchir aux manières dont l’articulation entre propagande et beauté a été posée dans différents régimes et différents contextes idéologiques, culturels et sociaux. C’est le point de vue des acteurs impliqués qui nous intéresse : il ne s’agit pas d’aborder la question, peu pertinente à notre avis, de savoir si telle œuvre de propagande est belle ou pas, mais de comprendre comment, par qui et pourquoi de tels jugements ont pu être formulés.De cette interrogation première découle une série de questionnements qui seront autant de pistes abordées au cours de la journée.
Ainsi nous voulons interroger les conditions précises de formulation des jugements, identifier le plus précisément possible les acteurs en présence et éclairer les contextes d’énonciation. C’est la parole en situation que nous voulons saisir. Dans la plupart des régimes ici évoqués, parler des œuvres à contenu politique et de leurs qualités plastiques n’est pas sans risque. Les discussions s’ouvrent et se referment selon les contraintes politiques. Il est donc essentiel de connaître le cadre dans lequel les arguments sont énoncés.
S’intéresser à la part du beau est également une manière d’attirer l’attention sur la réalité des images, trop souvent analysées du seul point de vue documentaire ou sémiotique, et sur les regards qui ont été portés sur elles. Être à l’écoute des arguments sur ce sujet nous conduit à nous rapprocher du regard, qu’il s’agisse du regard expert du connaisseur d’art dans un musée, du regard aléatoire d’un groupe amené dans une exposition itinérante, du regard furtif de la foule passant devant des affiches placardées sur les murs, du regard distrait du lecteur qui ouvre un journal et y trouve une image. Quand ils évoquent la beauté des œuvres, les acteurs parlent de ce qui retient leur attention, de ce qui capte le regard, de leur façon d’entrer dans une image, de leur sensibilité à telle forme ou à telle couleur, de ce qu’ils ont l’habitude de voir, de leurs attentes.
Ce questionnement permet en outre de repenser dans une perspective historique la frontière entre art et propagande, frontière qui est très présente dans les esprits aujourd’hui et qui l’a aussi été dans le passé. En lisant les archives, l’historien est en effet sans cesse confronté à la distinction ; même dans les régimes qui ont célébré la propagande comme l’URSS ou l’Allemagne nazie, une hiérarchie subsistait, qui mettait l’art au-dessus de la propagande. La façon dont ces deux entités sont définies et mises en rapport évoluent selon les périodes et les contextes. Les discours sur le beau sont un moyen d’observer la construction de cette distinction. Quelle porosité observe-t-on dans les discours esthétiques entre ce qui est constitué comme art et ce qui est pensé comme propagande ?
Enfin, s’intéresser à ces problèmes, c’est aussi reposer la question d’une catégorie trop souvent éludée pour l’histoire de l’art du vingtième siècle : la beauté. Dans un récit centré sur les avant-gardes et néo-avant-gardes, le mot de beauté apparaît désuet, inopportun pour rendre compte d’objets et de pratiques artistiques qui s’en seraient délivrés. Le terme, comme les nombreuses discussions philosophiques qui l’ont accompagné, appartiendrait au passé. Mais, d’une part, l’histoire de l’art du vingtième siècle est plus large que la simple histoire des avant-gardes et, d’autre part, même au sein des avant-gardes, la notion mériterait d’être réévaluée. Partir d’objets au statut complexe comme le sont les œuvres de propagande permettrait d’ouvrir un pan de ce chantier.C’est donc cette part du beau dans les images de propagande que nous voulons interroger, dans une perspective d’histoire et d’histoire de l’art. Le but de cette journée d’étude n’est pas d’offrir un panorama supplémentaire des activités de propagande au vingtième siècle, ni de réhabiliter des œuvres mais de reconstituer les arguments et interrogations formulés à ce sujet par ceux qui réalisent des œuvres de propagande, par ceux qui l’organisent ou encore, quand les archives le permettent, par ceux qui les reçoivent. Car la propagande, alors qu’elle se présente comme sûre d’elle-même, est traversée de doutes, d’hésitations, de débats, y compris dans des régimes politiques où l’échange d’idées est surveillé. L’image, par nature équivoque, peut servir de révélateur à ces tergiversations.La journée se tiendra à l’Ecole Normale Supérieure-Lyon le 7 mai 2015 et prendra la forme de tables rondes. Elles est organisée par Marie Frétigny (ens-lyon), Jérôme Bazin (université de Paris-Est Créteil) et Séverine Antigone Marin et Alexandre Sumpf (université de Strasbourg). Les propositions (de maximum 500 mots) sont à envoyer à bazin.jerome@wanadoo.fr et marie.fretigny@gmail.com avant le 5 janvier 2015. Les papiers des interventions seront à envoyer pour le 15 avril 2015.
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