Une première Journée sentinelle organisée en 2010 proposait la thématique « Peinture/Ecriture », soumise à la transversalité des pratiques artistiques, universitaires, éditoriales, et tentait d’en explorer les dispositifs afin d’identifier les limites entre le texte et l’image. Cette deuxième édition intitulée « Les inscriptions de l’art » se donne pour objectif d’analyser les relations entre l’écrit et l’inscrit particulièrement en matière d’art contemporain. Cela suppose d’aborder les systèmes scripturaux au-delà des modes de représentation liés au langage, et de s’intéresser à ce qu’Arnheim nommait, la pensée visuelle. Ainsi la découverte des pétroglyphes, des runes, des hiéroglyphes, des idéogrammes, logogrammes, ou plus proches de nous, des tags, n’a jamais pu réduire l’écriture à sa fonction sémantique. D’autant que les artistes se sont chargés de créer de nombreuses ambigüités cristallisées dans les oeuvres de Michaux, de Dotremont, d’Alechinsky ou de souligner ce que la figure de l’écriture efface de sens lorsqu’elle s’inscrit elle-même dans le tableau. Ne sera donc pas évité ici le célébrissime « ceci n’est pas une pipe », les textes d’Arroyo inscrits dans la peinture, à l’instar des «fecit» d’un Van Eyck faisant partie du péritexte, ou les ratures plastiques de Cy Twombly. Les signes de peinture sont-ils si différents des signes de l’écriture? Les passerelles entre ces domaines sont manifestes en matière d’art et les oeuvres contemporaines abondent en ce sens interrogeant les limites de l’oeuvre, non pas à cause de la visualité de ces signes mais de leur inscription dans un domaine plus étendu que celui auquel il devrait appartenir. Mais pour souscrire à une quelconque disqualification de l’un ou de l’autre qui ne relèverait pas de son orthodoxie, encore faudrait-il qu’une somme finie de signes en définisse les catégories.L’histoire de l’art, l’esthétique, l’écrivain, l’artiste, sont ici convoqués, auxquels devraient être ajoutés les éditions d’art, poètes et sculpteurs de mots. L’archéologie des savoirs préhistoriques taraude cette question de l’origine des inscriptions sans écriture tout en offrant des champs entiers de signes que l’analyse ne parvient pas à identifier pleinement du côté de l’art. De même, au regard de l’histoire traditionnelle, les signes de l’art contemporain sont peu identifiables comme signes d’art. A la limite de ces champs de définition, la qualification d’art vient arbitrer l’ambiguïté de ce rapport et force à contextualiser les critères d’évaluation. En échappant à ce système catégoriel, le livre d’artiste vient inscrire une approche décomplexée, une relation libérée de l’illustration au sens propre, c’est-à-dire ce que l’image devait au texte en lui rendant sa figurabilité logique et attendue. La question qui s’ensuit est la souveraineté du geste créatif qui fait passer de l’écriture à l’inscription et qui rendrait donc « diserte » l’image, par voie de conséquence ?
Ces remarques nécessitent des approches et entrées multiples pour parvenir à circonscrire la nature de signes qui relèvent d’une inscription artistique, de la préhistoire (figures de Lascaux) à ceux qui ont une emprise dans le domaine plus évident de la picturalité (oeuvres du XVe et suivants) ou bien encore ceux qui écrivent l’histoire de l’art contemporain (Laurence Wiener, Christian Boltanski, Nan Goldin, Sophie Calle…et de nombreux autres), à l’exclusion des paratextes (ceux des critiques d’art) qui font partie de l’observation en ce qu’ils consacrent ou labellisent les démarches artistiques (bien que les épitextes des créateurs contemporains viennent très souvent justifier leur inscription artistique).
Les genres : de l’écrit et du peint
Il s’agit donc d’identifier les signes de l’art qui appartiennent par filiation ou rupture aux domaines respectifs de l’écriture ou de la peinture, et d’en comprendre leurs croisements ou superpositions. La question revient à poser un regard sur ce que l’épigraphie, la paléographie, l’esthétique font émerger des parois gravées ou peintes, des mots inscrits dans l’or du tableau, de ce que l’art contemporain restitue de ses propres inscriptions, ou en oublie, ou de ce qu’il met à distance quelles que soient ses occurrences : peinture, vidéo, installation, etc.
Un premier rapport à la réalité artistique consiste à distinguer les sujets qui s’identifient comme écriture formelle lisible, et ceux qui témoignent d’une inscription dans le domaine de l’art. En évoquant la modernité d’écriture de Michel Butor, et depuis le fameux prix Renaudot, son inscription en littérature contemporaine fut implicite ; plus récemment, l’exposition médiatique de Joana Vasconcelos à Versailles, l’a consacrée comme artiste incontournable alors que son matériau ne se réfère pas aux habitudes de l’art. Le glissement des genres déjà consommé depuis une trentaine d’années est maintenant exacerbé, et brouille la qualification d’art. Faut-il comprendre de cette qualification qu’elle appartienne à l’inscription de l’art ?
Graphies iconiques de l’art contemporain
La distinction entre écriture et inscription est nécessaire, la seconde étant plus couvrante que la première, il s’agira d’observer les focalisations nécessaires pour qu’un geste d’art soit inscrit dans le registre duquel il se réclame, sachant que les structures de représentation ne se ressemblent ni en mode ni en fonctions, et que la peinture ne se lit pas. Celle-ci par sa spécificité contient ses contre-arguments : comment faire appartenir au domaine de l’art ce qui n’a pas de définition ? Les écrivains inconnus, comme les artistes inconnus, créent mais ne s’inscrivent pas dans le champ de l’art, la reconnaissance indispensable qu’ils n’ont pas les maintient dans un monde hétérogène qui créé un hiatus entre création et art. De fait, encore faut-il que la consécration sociale ait présent à l’esprit un registre catégoriel où faire pénétrer la diversité des créations contemporaines en n’oubliant pas que les trésors patrimoniaux ont été l’art contemporain de leur époque. Qu’y a–t-il de commun entre un dessin de la grotte Chauvet, les « écritures » pré-carthaginoises sur poterie, un phylactère médiéval ou Renaissant? Quelle signification pour les artistes du XXIe siècle peut avoir le « …fecit » qui achève l’oeuvre du XVe avec les story-boards de Fabryce Hyber? Quel rapport peut-on éclairer entre la pierre de Rosette et l’oeuvre de Joseph Kosuth, la peinture d’Alechinsky et l’écriture de Butor ? L’écriture en son sens ordinaire contraint ses éléments constituants à la représenter à des fins de lisibilité, la logique induite prévient d’une signification, par ailleurs les signes qui inscrivent la peinture dans l’histoire de l’art, tout en échappant aux signes diacritiques de l’écriture produisent une signification subordonnée à l’écrit pour sa mémoire dans l’histoire. Les processus d’échanges culturels accomplissent eux aussi leurs métaphores …
L’inscription
A contrario de Greenberg qui y voyait un retranchement du littéraire dans l’art, la multitude des paramètres esthétiques passe par la relation très étroite entre signe peint et signe écrit. On constate pourtant que cette dualité est insuffisante à rendre compte d’une complexité profonde. Cette évocation de Leroi-Gourhan « le langage et l’outil sont l’expression de la propriété de la main de l’homme » s’ancre dans un processus qui est celui de l’inscription : où écrit-on et où peint-on ? Sur quels supports et depuis quelles places ? Quels signes en résultent? Le croisement de ces interrogations contribue à aborder quelques noeuds gordiens de l’art lorsque l’art DOIT dire quelque chose d’un contenu qu’on lui suppose conserver ou bien lorsque le discours tenu est « le peintre a voulu dire que », ou que les commentateurs de l’art entérinent ou rejettent les formes de ce qui a été voulu dire, et que la réalité de la création montre « simplement » une inscription esthétique ! non sans en avoir également observé les racines psychanalytiques. Le paradoxe vient du fait que l’inscription dans le domaine de l’art se fait par l’écrit. La présence de Fluxus qui refusait toute récupération est avérée en ce domaine. Il n’y a pas de cautionnement possible par un applaudimètre ni par une multitude de spectateurs qui graverait dans le marbre une exposition si ce n’est pas l’écrit critique qui en marque la pérennité. Il s’agit ici de l’inquiétante étrangeté de l’être de l’art qui ne vit que par ce qu’on en écrit. Ce qui est vrai un temps ne l’est pas tout le temps certes, mais l’histoire ne retient que ce qu’elle a consigné.
Le livre d’artistes
Aussi n’avons-nous pas un devoir de curiosité et d’analyse lorsque le livre d’artiste bouleverse les limites et organise l’ambigüité des domaines dans sa double monstration du texte et de l’image, à l’instar de l’action painting, le lettrisme ou le tag pour leur ambigüité graphique? La pratique transversale consistant à peindre l’écrit ou à écrire le peint ne se réduit pas à la juxtaposition de l’un et de l’autre mais à l’exploration de l’un par l’autre, dénonçant ainsi la stricte singularité décrite par Voltaire : « l’écriture est la peinture de la voix, plus elle est ressemblante, mieux c’est ». La peinture est-elle un point de départ comme Michel Butor le réalise parfois ? ou bien vient-elle « parapher » un texte de ses couleurs et de sa densité ? S’agira-t-il d’une dernière ressemblance entre genres, ancrée dans la théorie dépassée de l’ut pictura poesis qui caractérise l’illustration? ou bien la ressemblance n’est-elle qu’un prétexte à déborder le genre pour une expression contemporaine, « gazeuse », décrite par Michaud, une manière de décider dans l’incertitude par la métaphore?
Du phylactère à la peinture abstraite en passant par les « mots dans la peinture » et la « trahison des images », un niveau de vérité esthétique se dégage-t-il ? Un état catégoriel de l’art sans contrainte : ni une écriture ni une peinture mais une inscription dans/de l’art ?
C’est sous cet angle très particulier qui concerne autant le style, la norme et la variété des contextes (autrement dit : le signe écrit, peint, plastique, psychanalytique, esthétique, titillé de la préhistoire à notre actualité contemporaine), que se pose la question : comment au-delà des genres, la peinture associée à l’écriture ou le texte dans la peinture suffisent-ils à leur inscription esthétique ?
Le colloque en février 2013
En 2010, un premier colloque intitulé Journée sentinelle n°1 avait eu lieu sur le thème de la relation Peinture /Ecriture .
Suivant le même axe scientifique, la réflexion s’étend plus largement cette année aux “inscriptions de l’art”, centrée particulièrement sur la manière dont l’institution a consacré par le passé et consacre aujourd’hui les objets de l’art qui font oeuvre.
L’invité d’honneur de ce colloque est l’écrivain et poète MICHEL BUTOR.
A partir du travail que cet immense auteur a réalisé avec les peintres, il s’agit de réfléchir à ce que la société enregistre de la peinture et du texte, et conserve de l’invention sous ses multiples aspects, pour l’inscrire dans l’actualité de la discipline. Quels signes sont à l’oeuvre , en quels temps?
Vous trouverez un document d’appel en pièce jointe. Les personnes intéressées qui souhaitent participer au colloque pourront se signaler au plus tôt de manière à organiser ces deux journées.
Le colloque donnera lieu à l’édition des actes.
La prise en charge des trajets et séjour, est faite au tarif autorisé par l’université ( mais il est aussi conseillé de consulter vos centres de recherches pour un éventuel partage des frais s’il y a lieu!).
Modalités de participation
inscriptions et propositions à renvoyer avant le 7 janvier 2013.
Langue du colloque : français
contact : Francesca CARUANA (responsable scientifique)
06 07 91 34 44
MCF Département d’Histoire de l’art
caruana.francesca@univ-per.fr
artiste-plasticienne, Chargée de mission culturelle pour l’Université de Perpignan Via Domitia
06 28 77 14 05
Maître de Conférence en sémiotique et sciences de l’art à l’Université de Perpignan
Membre du Centre d’Etudes et de Recherches en art et sciences de l’art de l’université de Toulouse II Le Mirail (Lettres, langages et arts- LLA-CERASA-EA 4152)
maison de l’étudiant : icauwet@univ-perp.fr 04 68 66 20 44
NOM, Prénom :
Université de rattachement :
Laboratoire de recherches :
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Titre de la communication :
Résumé (300 mots) :
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