Du livre au cinéma, du théâtre aux manuels scolaires, sans oublier les arts plastiques, la danse, le théâtre, la chanson, il existe de très nombreux supports de transmission, de mémorisation, de mémorialisation et d’oubli des faits de guerre, de leurs effets et de leurs causes plus ou moins lointaines. À travers ce colloque, largement ouvert aux chercheurs des sciences humaines et sociales (doctorants compris), il s’agit d’analyser et de confronter les narrations et les mises en scènes de la guerre au XXe siècle dans différents types d’espaces muséaux tant français qu’étrangers. Dans la lignée des colloques du CRID 14-18, une place prédominante est réservée au traitement comparatiste de la Première Guerre mondiale dans les espaces muséaux français et étrangers. Toutefois, une place importante sera également attribuée à la comparaison nationale et internationale diachronique (guerres civiles, guerre d’Espagne, Deuxième Guerre mondiale, conflits de décolonisation…). Le colloque se tiendra les 9 et 10 novembre 2012 sur le Chemin des Dames.
Présentation
Le colloque est organisé par le Collectif de Recherche International et de Débat sur la Guerre de 1914-1918 (CRID 14-18) et le programme ANR-POP « Les Présents des Passés » (ANR-08-BLAN-0071-01-POP), en partenariat avec le Conseil général de l’Aisne, le Centre de Recherches Interdisciplinaires en Sciences humaines Et Sociales (EA 4424 C.R.I.S.E.S.) de l’Université Paul Valéry-Montpellier III et le Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine (CMMC) de l’Université de Nice-Sophia Antipolis.
Dans le cadre de ce colloque, le CRID 14-18 et l’ANR-POP proposent de porter l’attention sur les différents types d’espaces muséaux – entendus ici au sens le plus large de lieux d’expositions ouverts au public (musées, mémoriaux, historiaux, centres d’interprétation, etc.) – traitant des conflits contemporains par des expositions permanentes (de relativement longue durée) ou temporaires.
Il s’agira d’éviter l’approche monographique et surtout descriptive, et de faire au contraire resurgir des questionnements problématisés et comparatistes (sociologie des entrepreneurs, aménagement mémoriel du territoire, comparaison de morceaux critiques dans plusieurs discours d’exposition…). Pour ce faire, les musées seront analysés dans leur complexité, à la fois comme des objets politiques, sociaux, culturels, économiques… Toute monographie strictement descriptive sera donc écartée.
Argumentaire
A contrario, une attention toute particulière sera portée à la démarche comparative, qu’elle consiste par exemple en une confrontation de différents espaces muséaux ou bien en la mise en regard de différentes strates muséographiques au sein d’un même ensemble. Ainsi comprises et encadrées, les analyses muséales seront conçues comme autant d’études de cas étayant l’argumentation critique du communicant et pouvant s’inscrire dans les problématiques listées ci-dessous :
Dimensions territoriales
L’attention des communicants devra notamment être portée aux rapports avec le terroir mémoriel du musée (relation au territoire et à son histoire, musées « hors-sol »…). Les questionnements pourront également relever de l’inscription des espaces muséaux dans un territoire politique (musée comme outil de prestige…) et économique (critères de rentabilité, inscription dans le tissu socio-économique…), de leurs rapports avec le « tourisme de mémoire »… Est également posée la question des réseaux mémoriels et muséaux : circulation de modèles, intégration à l’international, articulation de différentes échelles…
Approche sociopolitique des entrepreneurs muséaux
Qui est/sont les auteur(s) du discours d’exposition ? Quels sont leurs objectifs (conservatoires mémoriels, transmission, réaction à une histoire écrite par d’autres…), leurs logiques (activisme mémoriel, musées leviers politiques…), leurs contraintes, leurs stratégies… ? Quels sont les liens entretenus entre les entrepreneurs financiers et politiques et les entrepreneurs de discours (concepteurs de l’exposition) ? L’exposition correspond-elle à l’œuvre d’un homme, à un travail collectif, ou bien à la simple juxtaposition de différentes mémoires individuelles et/ou groupales ? Bref, de quel poids ont pesé et pèsent encore les entrepreneurs de mémoire, qui parfois se succèdent au sein d’une même structure et impriment leur marque dans les différentes strates de l’exposition ?
Cette approche sociopolitique et l’historicisation de l’objet « musée » ainsi produite (origine du musée, différentes strates muséographiques…) doivent permettre non seulement de renouveler les questions liées au discours muséal, mais également celles de la provenance et du régime d’exposition des expôts (choix des objets métonymiques, objets-reliques, musée dépositaire des souvenirs des membres des réseaux animant la structure…), de même que celles des publics visés et effectivement accueillis (anciens combattants et descendants, militaires, publics – captifs – scolaires, touristes, parfois même les entrepreneurs eux-mêmes…), de la difficile question de la réception de l’exposition et des usages scolaires des musées des guerres.
Choix, modèles et contraintes scénographiques
La mise en scène : dispositifs matériels d’exposition (choix de la profusion ou de l’épure), de mise en discours, de mise en scène, jusqu’aux différents modes de reconstitution du passé (tranchées, etc.) et procédés d’immersion des visiteurs dans le passé exposé. L’exposition est-elle présentée sur un mode esthétisant ? Fait-elle appel aux leviers émotionnels (couple émotion / information) ?
La mise en espace du récit historico-mémoriel : contraintes du lieu, place de l’écrit, de l’iconographie, des ressources audio-visuelles, de l’objet, de l’expression artistique…
Existe-t-il un modèle ou des modèles d’exposition ? Quels va-et-vient peut-on relever entre les musées de la Grande Guerre et ceux d’autres conflits contemporains ? Plus largement, quelles sont les spécificités de ces espaces muséaux par rapport à d’autres types de musée ?
Ligne éditoriale et choix narratifs
Une attention aux chronologies est nécessaire, de même qu’aux cadres spatiaux : vers quels espaces la focale de l’exposition est-elle dirigée, du local à l’international ? Quels chronologie et enchaînement de causalités des événements sont retenus ?
Quelle est la place des civils dans les représentations de la guerre ? La représentation des femmes ? Celle des responsables ? Des victimes ? Quelle est la place des témoins (témoins anonymes et/ou célébrités) ? Sous quelle(s) forme(s) sont-ils présents dans l’exposition (photos, textes, lettres, carnets, entretiens audio-visuels) ?
L’exposition contient-elle des moments critiques ? Le discours d’exposition trahit-il d’éventuels trous de mémoire et/ou au contraire à des zones d’hypermnésie ?
Quel est le parti-pris du discours sur le passé ? Peut-on distinguer différents niveaux de lecture, discours mineurs et majeurs (cartels, grands titres, légendes, cartons, textes à vocation plus ou moins didactique, etc.) ?
Dénote-t-on une convergence avec le récit scolaire (voire un placage : textes à vocation pédagogique, « manuels scolaires muséaux »…) ? Observe-t-on une appropriation visible des acquis et des orientations récentes de la recherche universitaire (par exemple, une « démilitarisation » du propos et une réduction de « l’histoire bataille » au bénéfice d’une approche plus anthropologique, marquant une attention accrue pour le combattant, ses conditions de vie et de mort), voire une inscription dans un courant historiographique (histoire culturelle, etc.) ? Est-il fait écho aux débats historiographiques ? En d’autres termes, ces espaces sont-ils dynamiques et réactifs aux mutations des discours historico-mémoriels (strates muséographiques, (r)évolutions du discours d’exposition…) ?
Projet politico-philosophique (objectifs, mises en leçon des passés…) :
Globalement, les choix narratifs peuvent être guidés par les capacités scénographiques, la richesse des collections et/ou par une véritable ligne éditoriale. Mais le choix peut aussi être guidé financièrement et politiquement, afin de répondre aux attentes des fondateurs, des financeurs, etc.
Quelles sont les vocations plus ou moins explicitement revendiquées par ces différents espaces ? Assiste-t-on à une exposition déconflictualisée des conflits passés (avec son corollaire, la dépolitisation et la repolitisation du passé), inscrite par exemple dans une volonté de promouvoir des mémoires « partagées » et pacifiées dans le cadre de la construction européenne ? L’empreinte locale, ou nationale, demeure-t-elle dominante ? Quelles sont les représentations des ennemis et des alliés, souvent devenus tantôt des concurrents, des alliés ou des partenaires commerciaux… ?
Les panthéons positifs et négatifs (piloris) peuvent ainsi être entendus comme autant de renvois à un système de valeur que l’on veut promouvoir et transmettre (patriotisme, courage, loyauté, obéissance, sacrifice, solidarité, humanité, pacifisme, etc.).
Quant aux représentations de la violence de guerre et de ses effets (photos de cadavres, corps mutilés, prisonniers décharnés, blessés, etc.), de quels types de discours ressortissent-elles : scientifique, victimisant, euphémisant… ? A quoi s’agit-il « d’éduquer » ? A l’« esprit de défense » ? A la paix en suscitant l’horreur de la guerre ? Des liens sont-ils plus généralement établis – ou non – avec des problématiques du présent ? Le discours tenu sur le passé est-il porteur d’un message pour l’avenir ?
Au total, et selon les espaces, est-on confronté à des mémoires partagées ? Des mémoires pacifiées ? Des mémoires pacifiques ? Des mémoires fragmentées ? Des mémoires nationales, mémoires locales, groupales… ?
NB : Ceci n’est pas un plan de communication, tout au plus une proposition de grille de lecture aménageable, amendable en fonction des cas étudiés et des axes du propos choisi. Cette liste de questionnements ne prétend ainsi aucunement épuiser les approches possibles du sujet.
NB 2 : Un inventaire analytique des notions et catégories mobilisées est vivement souhaité.
Format du colloque et des communications
Les communications devront impérativement être mises à disposition des participants trois semaines avant l’entame du colloque : elles seront publiées dans une section spéciale du site Internet de l’ANR-POP (EA 4424 C.R.I.S.E.S., Université Montpellier III).
Les communications de 15 mn, synthétisant les idées-forces des textes publiés sur Internet, devront s’appuyer sur la projection de deux ou trois visuels absents des textes mis en ligne et réservés pour la communication orale. Les photographies, cartes, plans, dessins, etc. devront être libres de droits, afin de pouvoir être publiés par la suite sur le site Internet de l’ANR-POP, voire pour certains dans l’édition papier des actes du colloque.
Afin d’amorcer le débat, il sera fait appel à un discutant par session thématique.
Adresse d’envoi des propoistions (max 500 mots, une page) : julien.mary@univ-montp3.fr, avant le 10 novembre 2011
Base de données
Chaque contributeur devra au préalable décrire succinctement les espaces muséaux sur lesquels repose sa communication en respectant la grille de lecture suivante :
- Le site : présentation brève (date et contexte de fondation); localisation (proximité d’un champ de bataille ? musée « hors sol » ?) ; architecture signifiante (quel architecte) ?
- L’espace : superficie ? parcours imposé au visiteur ? visites guidées uniquement ? temps moyen d’une visite ? existence d’une documentation accompagnant les visites ?
- Les entrepreneurs muséaux : les fondateurs (anciens combattants, agents culturels, etc.), les commanditaires (associations d’anciens combattants, politiciens, etc.), les auteurs – parfois successifs – (anciens combattants, militaires, historiens, érudits locaux, etc.), les scénographes, les financeurs (associations, collectivités territoriales, etc.): leurs objectifs, leurs logiques, leurs contraintes, leurs stratégies…
- Les publics-cibles revendiqués : anciens combattants (et descendants), publics scolaires, touristes…, et son corollaire, la difficile question de la fréquentation effective.
- Les attentions particulières à l’égard des publics : documentation (à vocation plus ou moins pédagogique), audio-guides, guides, services éducatifs, etc.
Les fiches signalétiques ainsi constituées seront également publiées sur la plateforme Internet de l’ANR-POP en amont du colloque, afin de favoriser les conditions d’une confrontation équitable et productive des différents espaces muséaux étudiés.
Edition des actes
Les textes retenus pour la publication des actes-papier devront être compris entre 35 et 45 000 signes.
Un comité scientifique d’édition sera constitué, qui se réservera le droit de renvoyer les textes à leurs auteurs pour modification et celui d’écarter les contributions ne répondant pas aux critères retenus pour la cohérence de la publication, indépendamment de la qualité des communications..
Comité d’organisation
Conseil scientifique
- Charles HEIMBERG (CRID14-18 – U. Genève),
- Julien MARY (CRID 14-18 – U. Montpellier),
- Jean-Paul PELLEGRINETTI (CRID 14-18 – U. Nice),
- Emmanuelle PICARD (CRID 14-18 – INRP),
- Stéfanie PREZIOSO (CRID 14 – 18 – U. Lausanne),
- Frédéric ROUSSEAU (CRID 14-18 – U. Montpellier).
Logistique : Julien MARY et Valériane MILLOZ (CRID 14-18)
Partenaires Aisne : Anne BELLOUIN (Caverne du Dragon), Damien Becquart (Mission Chemin des Dames), Noël Genteur (Craonne)
Quelques références bibliographiques indicatives
- Robert Aldrich, Vestiges of the Colonial Empire in France. Monuments, Museums and Colonial Memories, Palgrave Macmilan, 2005, 383 p.
- Jean-Yves Boursier (dir.), Musées de guerre et mémoriaux. Politiques de la mémoire, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2005, 257 p.
- Jean-Yves Boursier, La Fabrique du passé. Constructions de la mémoire sociale : pratiques, politiques et enjeux, Nice, Ovadia éditions, 2010, 262 p.
- Mireille Gueissaz et Sophie Wahnich (dir.), Les musées des guerres du XXe siècle : lieux du politiques ?, Tumultes, n° 16, avril 2001, Editions Kimé, 183 p.
- Carola Hähnel-Mesnard, Marie Liénard-Yeterian & Cristina Marinas, Culture et mémoire. Représentations contemporaines de la mémoire dans les espaces mémoriels, les arts du visuel, la littérature et le théâtre, Palaiseau, Les Editions de l’Ecole Polytechnique, 2008, 532 p.
- Gaynor Kavanagh, Museums and the First World War. A Social History, London and New York, Leicester University Press, 1994, 200 p.
- Nicolas Offenstadt (dir.), Le Chemin des Dames. De l’évènement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, 494 p.
- Anne-Solène Rolland et Hanna Murauskaya (dir.), Les Musées de la nation. Créations, transpositions, renouveaux. Europe, XIXe-XXIe siècles, Paris, l’Harmattan, Patrimoines et Sociétés, 2008, 248 p.
- Anne-Solène Rolland et Hanna Murauskaya (dir.), De Nouveaux modèles de musées ? Formes et enjeux des créations et rénovations de musées en Europe, XIXe-XXe siècles, Paris, L’Harmattan, Patrimoines et Sociétés, 2008.
- Dominique Trouche, Les Mises en scène de l’histoire. Approche communicationnelle des sites historiques des guerres mondiales, Paris, L’Harmattan, collection Nouvelles études anthropologiques, 2010, 210 p.
- Sophie Wahnich (dir.), Fictions d’Europe. La guerre au musée, Paris, Editions des archives contemporaines, 2002, 355 p.
Contact : julien [point] mary (at) univ-montp3 [point] fr
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