Cette journée d’études se propose de célébrer le centenaire d’Intolerance, projeté publiquement pour la première fois le 5 septembre 1916 au Liberty Theater de New York, après deux années de recherches historiques, archéologiques, picturales, de tournages multiples et de montages infinis de la part du réalisateur et de son équipe. Célébrer l’œuvre colossale et monstrueuse de D.W. Griffith, c’est tout d’abord rappeler avec force qu’elle constitue une date importante de l’histoire du cinéma : en cette année 1916, Intolerance oblige spectateurs, critiques et théoriciens à réenvisager leur perception et leur pensée de cet art. Le tumulte créatif désarçonne et déroute le spectateur, qui tantôt s’émerveille du Spectacle, tantôt s’en trouve étourdi ; qui tantôt est séduit par l’Idée du film, tantôt rejette ce fatras historique. Les anciens mots pour parler du cinéma sont obsolètes, le film fait exploser les catégories en cours ou les transcende et les magnifie : l’alternance, la poursuite, le sauvetage de dernière minute, la comparaison et le contraste, prennent une nouvelle dimension.
Le film divise la critique mais ne laisse jamais neutre. Alors que le critique de Photoplay Julian Johnson préconise que plus jamais personne ne réalise un film comme celui-là, Vachel Lindsay, fervent défenseur du film et de Griffith, écrit dans les années 20 qu’« Intolerance contenait un assez grand nombre de suggestions à l’usage des réalisateurs imaginatifs pour que le cinéma s’en nourrit un demi-siècle. »
Nous touchons là au paradoxe du film qui constitue le point de départ de cette journée d’études : Intolerance est à la fois une fin et un commencement, des échecs, dont l’histoire du cinéma saura se souvenir, et des victoires, peut-être plus discrètes mais non mois réelles ; il est un film sans descendance mais à l’aune duquel mesurer bon nombres d’expérimentations cinématographiques ultérieures.
Au-delà donc de la célébration de l’année 1916, cette journée d’études envisagera Intolerance à travers les âges, c’est-à-dire au cours des cent années de cinéma qui l’ont mené jusqu’à nous. Il y a plusieurs façons d’envisager cette histoire du cinéma. Soit, à la manière du montage adopté dans le film, nous le ferons surgir tel un flash, en un éclair, dans d’autres temps et d’autres lieux, pour vérifier en quoi et de quoi Intolerance peut être le contemporain. On procède ainsi à de nouveaux montages, ajoutant aux Siècles du film (le VIe siècle avant JC, l’an 33 de notre ère, le XVIe et le XXe siècles) d’autres âges. Il s’agirait alors de privilégier l’entremêlement des formes cinématographiques —une histoire alternée du cinéma ? Soit, à la façon dont Griffith entendait malgré tout ménager des points de contact, des jointures, des ressemblances et des transferts, nous ferons voyager Intolerance au gré de métamorphoses. On procède ainsi à un montage non pas par sauts (flashes) mais par de nouvelles agrégations, déviations, variations et reprises d’une histoire polyphonique des formes cinématographiques.
Les axes de recherche sont alors multiples et toutes les disciplines sont les bienvenues. Autour d’un texte critique ou théorique, d’une œuvre, d’un problème esthétique, etc., on proposera soit des études comparatives soit des études de cas singuliers, qui mettent en miroir Intolerance à travers les âges. Entre autres possibilités :
* Retour sur les modes de montage : alternance, montage alterné, montage parallèle ou flash, et leur corollaire, la conduite de récits multiples et hétérogènes, la coprésence des passés et du présent ;
* Les usages du passé et l’écriture de l’Histoire (et notamment une pensée de l’histoire américaine), à travers la rhétorique de l’analogie, de la comparaison et du parallèle : comment le cinéaste se fait historien, y compris historien de son propre art, puisque une histoire du cinéma se lit dans Intolerance ?
* Montrer et monter des idées au cinéma : Intolerance ne participerait-il pas d’une expérimentation du film-essai ou du « film d’idées » (B. Balázs) ? Comment faire voir l’idée ? quelle est la capacité intellectuelle et spéculative des formes cinématographiques ainsi télescopées dans le montage et l’Histoire ?
Les propositions, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, sont à soumettre avant le 18 septembre 2016 (la réponse sera donnée d’ici la fin de ce même mois).
Comité d’organisation : Claire Demoulin, Arthur Mas, Martial Pisani, Marion Polirsztok
Contact :
marionpolirsztok@free.fr
Intolerance de David Wark Griffith, 100 ans de cinéma (1916-2016)
Université Paris 8, EDESTA – ESTCA
15 décembre 2016
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