Appel à communication : « Le mou : Saisir la mollesse de la matière au motif dans les arts visuels à l’époque moderne » (Paris, 13 juin 2018)

Appel à communication du GRHAM : « Le mou : Saisir la mollesse de la matière au motif dans les arts visuels à l’époque moderne » (Paris, 13 juin 2018)

Date limite de l’appel : 15 avril 2018.
Lieu : salle Vasari, Institut National d’Histoire de l’Art (INHA) 6 rue des Petits Champs, 75002 Paris.

Dans la continuité des conférences qu’il organise chaque mois et de sa journée d’études annuelle, le Groupe de Recherche en Histoire de l’Art Moderne (GRHAM) vous propose de réfléchir cette année 2018 au thème suivant : « Le mou : Saisir la mollesse de la matière au motif dans les arts visuels à l’époque moderne ».

« Son pinceau est mou » ; c’est ainsi que le Dictionnaire de l’Académie qualifie, en 1798, une manière de peindre caractérisant « une faiblesse d’expression dans le mécanisme de l’art, une nonchalance répandue dans l’imitation ».

Si cette appréciation apparaît définir péjorativement l’art du peintre qui se laisse aller à cette manière molle, elle ne reflète que très partiellement l’ensemble des enjeux qui se nouent autour de la notion de mollesse et ne rend pas compte de l’ampleur du champ sémantique que le mou désigne. Car le mou peut aussi se faire moelleux et être synonyme d’excellence ; ainsi dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert un tableau est réputé « moelleusement peint, lorsque les coups de pinceau ne sont pas trop sensibles, mais sont bien fondus avec les couleurs qui expriment l’objet sans cependant en détruire l’esprit ». De la manière et de la matière, l’on passe ainsi à ces objets de la peinture que sont les chairs et les étoffes qui partagent toutes deux une mollesse positive. En effet « La mollesse des chairs », nous dit le Dictionnaire de l’Académie en 1762, « est une expression qui se prend toujours en bonne part, & qui signifie l’imitation naïve de la flexibilité des chaires[1] ». Cette définition élogieuse évoque la morbidezza tant recherchée par les artistes de la Renaissance, synonyme non seulement de beauté mais aussi de délicatesse. Dans son Voyage en Italie[2], Montesquieu utilise encore ce terme pour rendre compte de l’art du Bernin. Par la suite, Diderot se fait le chantre de l’élégance subtile des chairs féminines[3] en s’extasiant sur « la mollesse voluptueuse qui règne depuis l’extrémité des doigts de la main, et qu’on suit de là dans tout le reste de la figure[4] » de Madame de Grammont dans le tableau de Greuze. Quant aux étoffes, qui se marient si bien avec les corps, elles sont justement moelleuses quand elles ont du corps et qu’elles sont douces au maniement[5], ce qui ouvre à la mollesse un ensemble de sensations tactiles et érotiques, un univers de douceur, de bien-être physique et mental, et de confort[6] que recherche un XVIIIe siècle hédoniste, éperdu de bonheur[7]. Ce tableau des différents aspects du mou serait incomplet si l’on n’évoquait pas les nombreux rappels à l’ordre qui ont émaillé le XVIIIe siècle s’érigeant contre une décadence aussi bien artistique que morale, faisant écrire à Jaucourt, à propos de la mollesse, que « nous regardons les mœurs de quelques peuples de l’antiquité comme une belle fable ; & ces peuples regarderaient les nôtres comme un songe monstrueux[8] ». À la fin du XVIIIe siècle un discours se construit contre la mollesse qui se traduit par la grande dureté des émotions populaires qui deviennent Révolution, mais aussi par la dureté du pinceau et des sujets qu’aborde le peintre David, ou encore par la dureté d’une sexualité mécanique, telle que Sade la décrit.

Le mou dans tous ses différents aspects de mollesse, de moelleux ou encore de mollet, qu’il soit estimé ou au contraire vilipendé, ne semble pas avoir fait, à ce jour, l’objet de recherches approfondies pour la période moderne, alors même que la période contemporaine semble commencer à s’y intéresser avec cet ouvrage collectif paru en 2016 La Dynamique du mou[9]. Signalons encore, toujours pour cette période, l’ouvrage de Maurice Fréchuret Le mou et ses formes, une nouvelle histoire de la sculpture[10] qui jette un regard nouveau sur la sculpture mise en espace au XXe siècle. Au XVIIIe siècle, l’étude de la sculpture sous l’angle du mou est aussi à prendre en considération, ne serait-ce qu’à l’évocation des descriptions émues de Diderot concernant Le Pygmalion et Galatée de Falconet[11] ou La Baigneuse d’Allegrain[12]. La référence à l’ouvrage de Jonathan Hay, Sensuous surfaces : the decorative object in Early Modern China[13], qui traite des arts décoratifs Ming et Qing, permet d’aborder le mou sous deux angles différents ; ethnographique et technique. Rappelons en effet que sous la plume de l’Abbé Raynal et de Voltaire[14] la mollesse devient aussi un topos qualifiant l’état d’esprit oriental. Sa connotation morale permet de dresser en miroir l’éloge d’un Occident ferme et résolu. Quant aux caractéristiques techniques du mou, Pernety s’en fait l’écho, dans son Dictionnaire portatif, à propos du vernis de graveur : « le vernis dur n’est plus d’usage, à cause de ses inconvénients : on lui a préféré le vernis mou[15] ». Autre déclinaison de la mollesse, c’est aussi à la sculpture en cire que l’on peut penser, mais également à de nombreux objets-limites de l’histoire de l’art[16]. Sur un modèle analogue à l’analyse anthropologique du cru et du cuit de Claude Lévi-Strauss[17], cette journée d’études a pour ambition de proposer une vaste réflexion sur ce duo conceptuel majeur que représente le mou et le dur.

Du fait du caractère novateur de ce thème, les champs de recherche à exploiter dans le cadre de cet évènement scientifique sont multiples et doivent permettre de répondre aux questions suivantes selon quatre axes :

  • Études du mou : à l’instar des Six oreillers dessinés par Albrecht Dürer en 1493[18], quels sont les artistes qui se sont penchés plus particulièrement sur le rendu du moelleux ou qui, comme Fragonard[19], ont été particulièrement intéressés par l’étude des draps et des plis[20].
  • Mollesse des chairs et mollesse de l’être : quelles sont les œuvres qui rendent le mieux compte du moelleux des chairs, de la mollesse des tempéraments ou de celle de la morale ? Dans quel registre ces différents types de mou sont-ils traités : la fable, l’allégorie ou la peinture de genre ? On pensera, par exemple, aux nymphes de Boucher, à la représentation de la Mollesse dans Le Lutrin de Boileau ou encore aux différents portraits de femme en stase de Greuze.
  • Matérialité du mou : quelles sont les techniques artistiques qui valorisent plus particulièrement le recours au matériau mou ou le rendu du mou ? Quelles sont celles qui font de son usage une qualité essentielle ou au contraire qui s’élèvent contre un usage dévoyé du mou ? Outre la touche du pinceau, ou le rendu des chairs en sculpture, on pourra aussi penser au travail du graveur ou de l’orfèvre.
  • Le discours de la dureté : comment se traduit dans les arts et dans les écrits une réprobation face au mou vécu comme une décadence ? Comment s’écrit et se représente le rappel à l’ordre face à une culture de la mollesse ? Si la Supplication aux orfèvres[21] de Cochin est une première attaque contre l’art rocaille et ses molles circonvolutions, beaucoup d’autres manifestes et manifestations ont suivi ; parmi celles-ci, quelles sont celles qui permettent de détecter une opposition au mou ?

Bibliographie sélective :

  • COUSINIE, Frédéric, Esthétique des fluides : sang, sperme, merde dans la peinture française du XVIIe siècle, Paris, Le Félin, 2011.
  • DEJEAN, Joan, The Age of Comfort: When Paris Discovered Casual and the Modern Home Began, New York, Bloomsbury Publishing, 2010.
  • DUCHET, Michèle, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 1995.
  • FRÉCHURET, Maurice (dir.), cat. de l’exp. Le mou et ses formes : essai sur quelques catégories de la sculpture du XXe siècle, Paris, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 1993.
  • HAY, Jonathan, Sensuous surfaces: the decorative object in Early Modern China, Londres, Reaktion books, 2010.
  • KOERING, Jérémie, Les Iconophages : poétique de l’imitation et citation visuelle dans l’art de la Renaissance, Paris, Hazan, en préparation.
  • LÉVI-STRAUSS, Claude, Mythologiques 1. Le cru et le cuit, Paris, Plon, 1964.
  • MARTIN, Christophe, Espaces du féminin dans le roman français du dix-huitième siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 2004.
  • RASMUSSEN, Jesper (dir.), La valeur de l’art : exposition, marché, critique et public au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2009.
  • VIGUIER, Emma, Cadaureille Céline (dir.), La dynamique du mou, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2016, 219 p.
  • WARBURG, Aby, « La Naissance de Vénus » et « Le Printemps » de Sandro Botticelli : étude des représentations de l’Antiquité dans la première Renaissance italienne, Paris, Allia, 2007, (éd. originale, Sandro Botticellis « Geburt der Venus » und « Frühling » : eine Untersuchung über die Vorstellungen von der Antike in der italienischen Frührenaissance, Leipzig, L. Voss, 1893).

Modalités

Les propositions de communication ne devront pas excéder 500 mots et devront être accompagnées d’un CV et d’une liste de publications.

Elles sont à envoyer au Groupe de Recherche en Histoire de l’Art Moderne (GRHAM) à l’adresse suivante avant le 15 avril 2018 :

asso.grham@gmail.com

La journée d’études aura lieu le mercredi 13 juin 2018 en salle Vasari, Institut National d’Histoire de l’Art (INHA) 6 rue des Petits Champs, 75002 Paris.

Les communications seront, quant à elles, d’une durée de 30 minutes et suivies d’une discussion avec les autres intervenants et le public.

 

[1] Dictionnaire de l’Académie, 1762, Art. « Mollesse ».

[2] Charles de Secondat, baron de MONTESQUIEU, Œuvres complètes, Paris, Masson, 1950, t. II, p. 1092, Voyage en Italie ; dans une église de Sienne, Montesquieu observe qu’ « il y a deux statues du même maître qui sont admirables. Le cavalier Bernin avoit un art que personne n’a imité, de faire paroître du marbre comme de la chair et de lui donner de la vie. On voit, dans ces deux statues, cette morbidezza au souverain degré. »

[3] Sur le lien entre mollesse et féminité voir Martin Christophe, Espaces du féminin dans le roman français du dix-huitième siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 2004.

[4] Denis DIDEROT, Œuvres complètes par J. Assézat, Paris, Garnier frères, 1875 – 1877, t. X, p. 416, Salon de 1765 ; à propos du tableau dénommé Les Etrennes de madame de Grammont à M. de Choiseul.

[5] Dictionnaire de l’Académie, 1694 : « On dit aussi fig. qu’Une estoffe est moelleuse, pour dire, qu’Elle a du corps, & qu’elle est douce au maniement ».

[6] Joan DEJEAN, The Age of Comfort: When Paris Discovered Casual and the Modern Home Began, New York, Bloomsbury Publishing, 2010.

[7] Robert MAUZI, L’idée du bonheur dans la littérature et la pensée françaises au XVIIIe siècle, Paris, A. Michel, 1994.

[8] Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 1752 – 1772, Art. « Mollesse ».

[9] Céline CADAUREILLE, Emme VIGUIER (dir.), La Dynamique du mou, Toulouse, Presses Universitaires du Midi, 2016.

[10] Maurice FRECHURET, Le mou et ses formes, une nouvelle histoire de la sculpture, Nîmes, Jacqueline Chambon, 2004 (1993).

[11] DIDEROT, ibid., p. 221, Salon de 1763 : « Quelle mollesse de chair ! Non, ce n’est pas du marbre ; appuyez-y votre doigt, et la matière qui a perdu sa dureté cèdera à votre impression. »

[12] Denis DIDEROT, Œuvres complètes par J. Assézat, Paris, Garnier frères, 1875 – 1877, t. XI, p. 350 – 352, Salon de 1767.

[13] Jonathan HAY, Sensuous surfaces: the decorative object in Early Modern China, The University of Chicago Press, 2010.

[14] Michèle DUCHET, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 1995.

[15] Antoine-Joseph PERNETY, Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure, Paris, Bauche, 1757, Art. « Vernis de graveur ».

[16] Jérémie KOERING, Les Iconophages : poétique de l’imitation et citation visuelle dans l’art de la Renaissance, Paris, Hazan, en préparation.

[17] Claude LEVI-STRAUSS, Mythologiques 1. Le cru et le cuit, Paris, Plon, 1964.

[18] Albrecht Dürer, Six études d’oreiller, 1493, dessin, 27,8 x 20,2 cm, New York, Metropolitan Museum.

[19] Jean-Honoré Fragonard, Le lit aux amours, 1765 – 1770, dessin, 30,4 x 45,7 cm, Besançon, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie.

[20] Gilles DELEUZE, Le pli, Paris, Les Editions de Minuit, 1988 ; Patrick LE CHANU, Le drapé. Carnet de dessins, Bibliothèque de l’image, 2002 ; Eric PAGLIANO, Plis & drapés dans les dessins français des XVIIe et XVIIIe siècles du Musée des Beaux-Arts d’Orléans, 2005. ; Nathalie VASSEUR, Les Plis, Paris, Seuil, 2002.

[21] Mercure de France, décembre 1754.

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