Tandis que Voltaire écrivait à propos des Français que « la légèreté et l’inconstance ont fait le caractère de cette aimable nation », Caraccioli remarquait qu’« il y a longtemps qu’on accuse les Français de légèreté », mais « il y a longtemps qu’ils ne cherchent pas à s’en corriger ». Si la légèreté devient une question nationale pour la France du XVIIIe siècle, c’est surtout afin de promouvoir les « vertus civiles » dont elle serait le lieu par excellence. La nation française serait trop inconstante pour être sérieusement mauvaise. Cependant, cette légèreté du siècle ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut, et plusieurs auteurs condamnent l’inconséquence d’esprit propre à leur siècle, faisant de la légèreté l’un des paradigmes autour duquel tout un siècle se définit, ou contre lequel il s’insurge. Mais cette notion ne concerne pas uniquement ces questions de morale, et s’applique à tous les domaines des connaissances humaines. Les amateurs louent la légèreté des œuvres qu’ils commentent, les auteurs allègent leur plume afin de la faire mieux courir, les scientifiques s’interrogent sur cette qualité de la matière… Enfin, couronnant le siècle de la légèreté, le ballon des frères Montgolfier et autres aérostats flottent dans l’azur et enchantent en les survolant les foules enthousiastes. Le siècle le plus léger est aussi celui qui s’est le premier élevé jusqu’aux cieux.
Propre à la façon dont le siècle se construit et se perçoit, la légèreté du XVIIIe siècle habite encore l’historiographie de la période. Pour ses successeurs, les représentations du XVIIIe siècle ne se limitent pas à un siècle des Lumières sérieux et progressiste, mais construisent aussi un siècle de la Légèreté, futile et immoral. Entre la bourgeoisie industrieuse du XIXe siècle considérant avec quelque nostalgie les voluptés des fêtes galantes, et l’intérêt de notre époque célébrant la frivolité (et la commercialité) du siècle de Marie-Antoinette et de Fragonard, il est certain que le XVIIIe siècle en sa légèreté n’a jamais cessé de séduire. Enfin, depuis quelques décennies, l’intérêt des universitaires, des romanciers, des cinéastes et des artistes pour cet aspect du XVIIIe siècle a beaucoup contribué à la pérennité, auprès d’un public de plus en plus vaste, du fantasme d’un dix-huitième siècle frivole, galant, voluptueux, riant : léger.
Ainsi, qu’elle soit l’objet d’une conquête (scientifique, morale, esthétique, etc.) ou de constructions historiques, la légèreté du XVIIIe siècle s’impose comme un paradigme dont il s’agira de soulever les enjeux, dans une perspective critique et historiographique. Cette démarche sera l’objet d’une journée d’études interdisciplinaire, qui aura lieu à la Maison française d’Oxford, le 15 mai 2015.
- Quels liens les développements des belles-lettres françaises au XVIIIe siècle entretiennent-ils avec la notion de légèreté ? Dans quelle mesure l’opposition à lagravitas des Anciens a-t-elle contribué à définir une certaine légèreté stylistique correspondant aux modes littéraires et permettant d’explorer de nouvelles possibilités littéraires ? Par ailleurs, plusieurs genres littéraires étaient accusés de publier une dangereuse futilité et une frivolité coupable : ainsi des contes et des romans ; dans quelle mesure les auteurs ont-ils répondu à ces accusations ? Ou encore, la littérature française abonde en personnages légers, depuis les petits-maîtres jouisseurs et inconstants jusqu’aux sylphes et autres personnages plus ou moins palpables, en passant par les femmes et les petits abbés « à vapeurs ».
- Les mémoires et les correspondances des contemporains abondent en commentaires et en réflexions faisant état de la légèreté du siècle. Quelles représentations ont inspiré pareils discours ? Dans quelle mesure ont-ils contribué à façonner la postérité d’un XVIIIe siècle comme siècle de la légèreté ?
- Dans le domaine de la philosophie, plusieurs essais ont été écrits qui mettent en scène la frivolité, la joie, le plaisir sous un jour avantageux, tandis que la morale elle-même, peut-être en cherchant l’équilibre entre le docere et le placere, a été absorbée dans des récits plaisants et d’apparence superficielle, en cherchant à s’exprimer à travers des contes faits à plaisir et autres fables légères.
- Dans les arts visuels et la critique d’art naissante, la légèreté peut être vue comme une qualité essentielle du peintre, tout en se faisant sujet de ses compositions, dont les « fêtes galantes » de Watteau, la Bulle de savon de Chardin, l’Escarpolette de Fragonard ou l’Oiseau mort de Greuze peuvent être des représentants exemplaires (pour les contemporains comme pour la postérité) de la légèreté morale du siècle.
- En architecture, la légèreté a été définie comme « le peu de matière » et l’ouverture de la structure. Comment ces qualités ont-elles été interprétées par rapport aux différents styles architecturaux comme le gothique, le rococo, etc. ?
- En musique, dans quelle mesure la légèreté est-elle une caractéristique du style français ; en quoi, par exemple, est-elle un enjeu de la Querelle des Bouffons?
- En histoire des sciences et de la médecine, entre la théorie des vapeurs et les ballons des frères Montgolfier, comment la légèreté devient-elle un élément central dans les efforts accomplis pour comprendre ou maîtriser la nature ?
- Enfin, d’un point de vue historiographique, quelle fortune critique la légèreté du XVIIIe siècle a-t-elle connu au cours des siècles suivants? Comment les différentes nations d’Europe, de même que les périodes suivantes se sont-elles définies à travers ou par opposition à la légèreté du XVIIIe siècle français ? Qu’indiquent ces représentations quant aux cultures et aux époques qui les ont façonnées ?
Nous invitons les personnes intéressées à nous faire parvenir une proposition de communication d’environ 300 mots, ainsi qu’une courte bio-bibliographie, avant le 15 février 2015, aux adresses suivantes :
Mg216@st-andrews.ac.uk
jean-alexandre.perras@mod-langs.ox.ac.uk
Journée d’études, Maison française d’Oxford, 15 mai 2015, organisée par Marine Ganofsky (University of St Andrews) & Jean-Alexandre Perras (MFO-Voltaire foundation, Oxford)
Avec le soutien de:
Society for French Studies
TORCH (The Oxford Research Centre in the Humanities)
The Voltaire Foundation
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The Age of Lightness: Emergences of a Paradigm of the French Eighteenth-century
One-day conference to be held at the Maison française of Oxford, 15 May 2015
Conveners: Dr Marine Ganofsky (University of St Andrews) & Dr Jean-Alexandre Perras (MFO-Voltaire Foundation, Oxford)
Whilst Voltaire observed that ‘lightness and fickleness shaped the character of that agreeable nation’ (none other than France), Caraccioli remarked that ‘for a long time, French people have been accused of lightness, and for a long time they have not cared to mend their ways’. If lightness became such a crucial national issue in eighteenth-century France, it is in great part because of its connection with ‘civic virtues’ which were then thought to depend upon this inconstancy. The French nation would be too fickle to be seriously evil. However, the alleged lightness of the ‘siècle’ was far from inspiring unanimous praise. Many would rather condemn the inconsequential spirit of the times. Lightness thus emerged from all these discussions as one of the paradigms around or against which the entire century was defining itself. Furthermore, this interest for the question of lightness did not concern debates on morals alone, but reappeared instead in all fields of human knowledge. Whereas ‘amateurs’ or art critics extolled the ‘lightness’ of certain paintings, scientists investigated lightness as a potential property of matter. And, at the end of this Age of Lightness, the Montgolfier brothers’ balloons and others aerostats could be seen floating weightlessly over enchanted and enthusiastic crowds. The lightest century is also the one who first lifted itself to the sky.
Significantly, from the Revolution of 1789 onwards, subsequent periods would also define themselves in relation to this paradigm, thereby resuming the construction of the French eighteenth century not just as the Age of Enlightenment, but instead as the Age of Lightness. From the bourgeois nineteenth century nostalgically dreaming of bygone fêtes galantes to our own early twenty first century celebrating the frivolity (and marketability) of Marie-Antoinette’s and Fragonard’s images, the last century of the Ancien Régime has never ceased to exert its charms upon the public. Now more than ever, the fascinated focus of scholars, novelists, filmmakers and artists has brought to the fore that particular aspect of eighteenth-century France: the delightfully hedonistic, fickle, witty and frivolous siècle des Lumières that they give us to see spurs the ever-expanding diffusion of this representation of history.
Thus the lightness of the French eighteenth century not only appears to be the object of a multi-faceted conquest (at once scientific, moral, aesthetic, …); it also imposes itself as an historically constructed paradigm giving rise to many questions that we propose to explore from a critical and historiographical point of view during a study-day to be held at the Maison française d’Oxford on May, 15 2015.
We welcome papers which examine the alleged lightness of the French eighteenth century from the perspectives of various disciplines:
- In literature, the rise of the ‘French’ novel is inseparable from this notion of lightness. The authors’ opposition to the gravitas of the Ancients conceptualised lightness in style as a way to comply with contemporary literary aesthetics whilst exploring new expressive possibilities. Besides, the novel itself was accused of being a dangerously idle genre. French literature was for instance trifling with characters who, from hedonists to immaterial sylphs to featherbrained ladies, were defined by their lightness.
- In contemporary memoirs and correspondences, observations of and reflections on the so-called lightness of the French nation abound. What inspired such remarks? To what extent did they craft the posterity of the eighteenth century as the age of lightness?
- In the domain of moral philosophy, numerous essays were written on frivolity, happiness, pleasure, whilst philosophy itself, aiming both to teach and to please, was channelled through entertaining and superficially light fables and tales.
- In visual arts and the arising art criticism, lightness is a quality of the painter’s style as well as the subject of the composition, as epitomised by Watteau’s ‘fêtes galantes’, Chardin’s La Bulle de savon, Fragonard’s L’Escarpolette, or Greuze’sL’Oiseau mort. Such works have often been regarded (especially in the nineteenth century but also already in their own time) as artefacts of the Lumières’ moral lightness.
- In architecture, lightness is defined as ‘the scarcity of material’ (Encyclopédie) and the openness of structures. How have these qualities been interpreted relatively to different architectural styles such as the baroque, the gothic, the rococo or Neoclassicism.
- In music, to what extent does lightness characterizes the French style? What part did the notion of lightness play in the Querelle des Bouffons for instance?
- In the history of sciences, from the field of medicine (through the theories on vapours) to the Montgolfier brothers, lightness (or air) appears as a crucial element to know and to master. The conquest of the sky and its representations is of particular interest to the present reflection.
- Finally, to promote a critical/historiographical approach of these reflections, we will also welcome papers addressing more specifically the synchronic and diachronic representations of this alleged lightness. How did other nations and subsequent periods construct themselves through their conceptualisation of the French eighteenth century as ‘light’? What can discourses on the French eighteenth century’s alleged lightness disclose about the place and time which produce these discourses?
300 words proposals (with a short bio-bibliography) should be sent to the following addresses by February, 15 2015:
mg216@st-andrews.ac.uk
jean-alexandre.perras@mod-langs.ox.ac.uk
With the support of:
Society for French Studies
TORCH (The Oxford Research Centre in the Humanities)
The Voltaire Foundation
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