Les animaux comme matrices mnémotechniques et exégétiques de l’Antiquité au xvie siècle
Journées d’étude internationales
8 octobre 2021 – Université de Lille
15 décembre 2021 – Université Catholique de Louvain
Organisation
Raphaël Demès – Université de Lille
Angélique Ferrand – Université de Nantes
Antoine Paris – Sorbonne-Université / Université de Montréal
Naïs Virenque – Université Catholique de Louvain
Résumé
Ce projet, qui s’articule autour de deux journées d’étude, croise l’histoire formelle et figurative des animaux, l’histoire de la modélisation de la pensée, l’histoire des arts de la mémoire et les études diagrammatologiques. Il vise à explorer la manière dont des formes empruntées à l’imaginaire zoologique servent de matrices exégétiques et mnémotechniques dans des textes, des images et/ou des objets iconotextuels de l’Antiquité au xvie siècle. En se fondant sur des réflexions transversales et sur des études de cas, il s’agira de comprendre les raisons qui conduisent mnémotechniciens et exégètes à recourir aux animaux comme outils heuristiques et cognitifs, et de caractériser les occurrences de ce procédé en les replaçant dans leur contexte intellectuel, spirituel, épistémique, figuratif et littéraire.
Argumentaire
Durant les dernières décennies, l’histoire sociale, culturelle, épistémique, littéraire et figurative des animaux a fait l’objet d’études de plus en plus nombreuses, souvent interdisciplinaires, qui ont souligné le rôle majeur que l’imaginaire zoologique joue depuis l’Antiquité dans l’histoire des idées et de leur mode d’expression. Parallèlement, l’histoire de la pensée figurative, des diagrammes, des modèles de raisonnement, de même que l’iconologie, la sémiologie et les sciences cognitives se sont attachées aux notions de « structure » et de « matrice » afin de comprendre leur rôle dans la constitution des discours, des savoirs et des imaginaires. En revanche, aucune étude panoramique approfondie ne s’est concentrée sur l’interaction entre les deux. Afin de contribuer à une meilleure connaissance de cette interaction, les deux journées d’étude proposent d’envisager, dans une perspective diachronique qui s’étend de l’Antiquité au xvie siècle, et de façon interdisciplinaire, le recours aux animaux et à l’imaginaire zoologique à des fins matricielles dans la composition mnémotechnique et/ou exégétique de productions verbales (écrites, lues, chantées ou encore écoutées), figuratives (toute sorte d’arts visuels, éventuellement dans leur rapport à l’architecture) et/ou iconotextuelles (toute sorte de figures, diagrammes ou graphes). Elles ne visent donc pas à s’interroger sur les animaux et l’imaginaire zoologique en tant que tels, mais sur la manière dont ils régissent, modélisent, matérialisent des progressions mentales, afin d’optimiser l’activité de la mémoire et de soutenir l’investigation exégétique. On entendra donc l’expression d’« animaux matriciels » à travers le sens que le CNRTL attribue au terme de « matrice », à savoir ce « qui est considéré comme étant à l’origine de quelque chose ». À la différence de la structure, qui organise une production de pensée, la matrice, susceptible d’être elle-même structurée, régit la forme que prend cette production de pensée.
Les deux journées d’étude s’intéresseront aux modalités selon lesquelles les animaux, par leur corporéité, leur variété ou encore leur capacité de transformation, pris dans leur globalité ou décomposés en fonction de leurs parties, ont pu servir de matrices mnémotechniques et exégétiques à des fins didactiques, spirituelles, parénétiques, axiologiques, épistémiques ou encore généalogiques. D’une part, en effet, les corps des animaux fournissent à qui veut se souvenir une structure solide et fiable pour localiser mentalement des idées sous la forme de textes et d’images, puis, selon le principe de l’art de la mémoire formulé dès l’Antiquité, les retrouver dans l’ordre dans lequel il les a mémorisées. D’autre part, et à l’appui de l’art de la mémoire, les corps des animaux disposent d’une efficacité symbolique et sociale considérables, qui en font des outils utiles aux exégètes pour examiner en profondeur des objets textuels et/ou visuels à des fins épistémiques ou spirituelles.
L’objectif de ces journées sera de proposer des réflexions d’ordre général, d’examiner des études de cas et de s’interroger sur l’évolution de la manière dont les corps des animaux constituent des matrices mnémotechniques et/ou exégétiques, capables de produire ou de mettre au jour des réseaux de sens dans des textes, des images et/ou des iconotextes. Dans la prédication médiévale, il est fréquent, par exemple, que l’introduction d’un discours soit associée à la tête de l’animal, chaque partie de son développement à une ou plusieurs de ses pattes, et sa conclusion, à sa queue. De même, les nageoires, les ailes, les cornes, les bois ou encore la langue de certains animaux, mais aussi les vermines, les créatures aux extrémités serpentines, les gueules léonines et les animaux d’inspiration mythologique sont autant de modèles susceptibles de constituer des lieux et/ou des images de mémoire, comme dans le cas de figures animales associées à des constellations à des fins mnémotechniques dès l’Antiquité grecque. Les extrémités du corps de l’animal, ses particularités, mais aussi son hybridité constituent ainsi des réservoirs inépuisables d’astuces, de modèles, de symboles utiles aux mnémotechniciens et aux exégètes.
Axes et pistes de réflexions
Formes et figurations
En tant que matrice exégétique et mnémotechnique, l’animal revêt des formes et des figurations dont il s’agira de prendre en compte les caractéristiques et la diversité. Les animaux exercent-ils une fonction matricielle grâce à leur corps entier, ou à une ou certaines de ses parties ? Certaines de leurs caractéristiques anatomiques, voire physiologiques, ou encore symboliques, sont-elles ignorées ou privilégiées ? Dans quelle mesure leur forme et leur figuration sont-elles mimétiques, ré-imaginées, fantasmées ou seulement suggérées ? En quoi et comment les animaux exercent-ils une fonction matricielle dans des textes, et en quoi cette fonction contribue-t-elle à produire une image mentale chez le lecteur ? Les animaux sont-ils présents à travers leur identité nominale ou font-ils partie d’un ensemble anonyme ? Sur quels procédés – énumération, évocation de leurs parties, accumulation d’attributs… – repose leur fonction matricielle ?
Réciprocités des variations, des transformations et des adaptations
La fonction matricielle des animaux dans les textes, les images et les iconotextes se caractérise par des variations, des transformations et des adaptations des uns et/ou des autres. Quelles actions réciproques s’exercent entre les animaux d’une part, et les textes, les images et/ou les iconotextes d’autre part ? Les formes et les figurations animalières s’adaptent-elles, voire se modifient-elles pour se conformer au texte, à l’image et/ou à l’iconotexte ? Au contraire, ces derniers s’agencent-ils en fonction de la physionomie de l’animal, qui exerce alors pleinement une fonction de matrice ? Animaux, textes, images et/ou iconotextes subissent-ils tous des changements de forme et/ou de structure pour favoriser leur efficacité mnémotechnique et/ou exégétique ?
Corporéités animales ; corporalités textuelles, visuelles et iconotextuelles
Lorsqu’il sert de matrice exégétique ou mnémotechnique, l’animal, et plus particulièrement son corps, rencontre le corps du texte, de l’image et/ou de l’iconotexte lui-même. Le corps de ces derniers peut se définir par sa cohérence et son intégrité visuelle, sémique et/ou plastique. Par quels procédés – description, énumération, mise en page, syntaxe, jonction plastique, distinction de champs visuels… – s’opère le lien entre le corps de l’animal et le corps du texte, de l’image et/ou de l’iconotexte ? Le corps de l’animal, voire l’animal lui-même, conserve-t-il son intégrité, voire son identité, lorsqu’il est utilisé en tant que matrice mnémotechnique et/ou exégétique, par exemple dans le cas où il sert de modèle formel à un diagramme ? Recourir à l’animal comme matrice présuppose-t-il de détruire son corps, voire son essence même ?
La diversité et les catégories animalières à l’épreuve de l’exégèse et de la mnémotechnie
Les animaux choisis pour exercer une fonction matricielle diffèrent selon le contexte exégétique et/ou mnémotechnique. Quelles raisons président au choix de tel ou tel animal ? Certains animaux sont-ils plus souvent utilisés que d’autres pour des raisons qui ne sont pas (ou pas seulement) symboliques ? L’insertion de l’animal dans une catégorie préexistante – épistémique, spirituelle, sociétale… – joue-t-elle un rôle dans leur élection comme matrice exégétique et/ou mnémotechnique ? Si oui, quelles oppositions sont à l’œuvre ? Celle, en grec, entre zôon et thèrion ? Celle, d’inspiration augustinienne, entre pecus et bestia ? Celle qui distingue les animaux indigènes des animaux exotiques ? Les animaux réels et les animaux imaginaires ou mythiques ? Les animaux purs et les animaux impurs selon, par exemple, les catégories du Lévitique ? Quelle est la place des animaux hybrides, voire des hybrides d’humains et d’animaux ou de divers animaux parmi les animaux matriciels exégétiques et mnémotechniques ?
Spécificités des matrices animales
Les animaux ne sont pas les seuls à inspirer formellement et figurativement les exégètes et les mnémotechniciens. D’autres éléments de la nature – comme les plantes, et plus spécifiquement les arbres – mais aussi produits de la main de l’homme – comme les architectures, les roues, les chandeliers – sont susceptibles de jouer des rôles matriciels dont l’opérativité exégétique et mnémotechnique est proche de celle des animaux. Dès lors, quelle est la spécificité des matrices animales ? Dans des contextes similaires, existent-elles concurremment à d’autres modèles formels et figuratifs ? Quelles raisons justifient de les privilégier, ou au contraire de les négliger, par rapport à d’autres ?
Modalités de soumission des propositions de communication
La date limite de soumission des propositions de communication est fixée au 31 mai 2021.
Les propositions doivent contenir un titre, un résumé d’environ dix lignes en français ou en anglais, ainsi que les coordonnées institutionnelles de l’intervenant.
Le comité d’organisation répartira les communications sur les deux journées d’étude en fonction de critères scientifiques, mais les intervenants sont invités à préciser s’ils préfèrent absolument intervenir dans l’une ou l’autre des journées.
Lieux
8 octobre à l’IRHiS, Université de Lille, site du Pont de Bois (Villeneuve d’Ascq)
15 décembre au GEMCA, Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve)
Mots-clés
Animaux, diagrammes, exégèse, mnémotechnie, Antiquité, Moyen Âge, structure, rapports textes / images
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