Du féminisme culturel à l’éthique du care.
Théories et pratiques de l’art écoféministe des années 1970 à nos jours.
(English version below)
Journée d’études organisée le vendredi 10 novembre 2023 à l’Université Grenoble Alpes.
Comité d’organisation : Pascale Saarbach (Enseignante-chercheuse en Histoire de l’art contemporain, LARHRA, Université Grenoble Alpes), Alice Ensabella (Maîtresse de conférences en Histoire de l’art contemporain, LARHRA, Université Grenoble Alpes)
Né au tournant des années 1980 dans les pays anglo-saxons, l’écoféminisme tire son origine des nombreuses mobilisations citoyennes initiées par des femmes militant en faveur de l’environnement et de multiples courants intellectuels, parmi lesquels le féminisme culturel nord-américain des années 1970. C’est précisément dans le sillage de cette branche du féminisme que sont apparus les premières productions artistiques ayant exploré les connexions entre les femmes et la nature. Comme l’a indiqué l’historienne de l’art Gloria Feman Orenstein, les artistes écoféministes de la première génération s’attachaient vers la fin des années 1970 à rappeler le lien profond qui existe entre la femme et la « Terre-Mère » Gaïa, dans une volonté de réhabiliter et de réexaminer les valeurs d’une longue et ancienne tradition « pré-patriarcale » au sein de laquelle la femme vivait en harmonie avec les cycles de la nature et avec les écosystèmes de la terre. Mais ces pratiques pionnières, souvent taxées d’essentialisme, ont été marginalisées dans l’histoire de l’art – y compris par les féministes elles-mêmes -, ce qui explique l’absence d’une véritable littérature sur le sujet. A partir des années 1980, les artistes sont cependant moins préoccupées par la récupération d’une histoire pré-patriarcale et s’inscrivent davantage dans une démarche de guérison de la Terre. Plus proche de ce que l’on appelle aujourd’hui l’art écologique (Bénédicte Ramade), ces pratiques se concentrent sur le dialogue et la collaboration avec les cycles de régénération de la nature dans le but de maintenir la vie et l’équilibre écologique d’une planète dont l’intégrité a été malmenée et abîmée par la culture patriarcale capitaliste.
S’il revient à Gloria Feman Orenstein d’avoir très tôt documenté les premières réalisations de l’art écoféministe et d’en avoir éclairé l’évolution, il devient nécessaire de revenir aujourd’hui sur ces pratiques pionnières afin de renouveler la réflexion et de définir plus spécifiquement les contours d’un art proprement écoféministe. Le désir de régénérer la Terre, de guérir Gaïa, n’est en effet pas fondamentalement différent de la dimension curative qui caractérise le travail des artistes de l’art écologique (Bénédicte Ramade, Vers un art anthropocène, 2022). Faut-il ainsi considérer les pratiques écoféministes comme une branche de ce mouvement artistique ou peut-on définir des critères qui leur soient propres ? Dans leur combat contre cette logique de domination qui s’applique aussi bien aux femmes qu’à la nature, les artistes écoféministes semblent en effet dépasser la seule intention curative au profit d’un renversement plus profond de la pensée moderne et des classifications sur lesquelles elle s’est construite. Les valeurs du care, défendues dans les œuvres de bon nombre d’artistes soucieuses de revaloriser les liens de solidarité, de responsabilité et d’interdépendance à l’égard du vivant, ne deviendraient-elles pas l’un des éléments caractéristiques de l’art écoféministe ?
Dans l’Amérique des années 1980, au moment même où la politique néo-libérale de Ronald Reagan remettait en cause l’État-Providence et célébrait une société de marché peu respectueuse des ressources naturelles et humaines sur lesquelles elle s’appuyait, le développement des théories du care permettait en effet de formuler la question de la vulnérabilité, du soin, de l’attention aux autres et à notre environnement, comme un problème social et moral qui nécessite de prendre le contre-pied de la tradition occidentale rationaliste et patriarcale. Comment les artistes se sont-elles emparées de ces questions éthiques afin de promouvoir un autre modèle civilisationnel ? Quelles sont les formes d’expérimentation privilégiées et comment expliquer l’absence de fortune critique liée à ces pratiques ? Au-delà du contexte nord-américain, qu’en est-il des autres territoires géographiques et de l’influence qu’ont pu avoir les artistes écoféministes sur les nouvelles générations ?
A l’heure où les institutions culturelles commencent à mettre en lumière les préoccupations écoféministes dans l’art (ecofeminism(s), 2020, galerie Erben, New York ; Earthkeeping/Earthshaking – Art, Feminisms and Ecology, 2020, galerie Quadrum, Lisbonne ; ECOFeminism Festival, 2021, Londres ; Reclamer la Terre, 2022, Paris, Palais de Tokyo), il importe en effet de revenir sur l’histoire de ces pratiques pionnières, d’interroger les cadres conceptuels qui ont pu influencer les démarches (spiritualité féministe, théorie du care, etc.) et de réfléchir aux formes artistiques nouvelles que prend le combat écoféministe au XXIe siècle. Dans cette perspective, cette journée d’étude entend réunir des historiens d’art, des chercheurs, mais aussi des critiques et des artistes, dans le but de définir plus précisément les contours d’une histoire de l’art écoféministe depuis les pratiques pionnières jusqu’aux formes les plus contemporaines.
Les interventions, d’une durée de 20 minutes, pourront s’inscrire (sans forcément s’y limiter) dans les axes suivants :
Le phénomène de marginalisation des pratiques artistiques écoféministes et la critique essentialiste
La bataille de l’imaginaire (critique de la pensée moderne et de l’imaginaire dominant)
Les cadres conceptuels de l’art écoféministe (féminisme culturel, éthique du care…)
Les différentes tendances (art écologique, art écoféministe, art du care)
Du transnational au global : l’internationalisation et la globalisation de l’art écoféministe (Espagne, Amérique Latine…)
La mise en exposition de l’art écoféministe des années 1970 à nos jours (histoire, pratiques, modèles spécifiques ?)
Rédigées en français ou en anglais, les propositions d’intervention sont attendues sous la forme d’un résumé de 3000 signes, accompagné d’une bibliographie et d’une courte biographie, à l’adresse suivante : art.ecofeministe@gmail.com
Date limite d’envoi des propositions : 30 mai 2023
Réponse aux intervenants : 30 juin 2023
Call For Papers
From cultural feminism to the ethics of care.
Theories and practices of ecofeminist art from the 1970s to the present.
One-day conference organized on Friday, November 10, 2023 at the University of Grenoble Alpes.
Organizing Committee: Pascale Saarbach (Lecturer in Contemporary Art History, LARHRA, Grenoble Alpes University), Alice Ensabella (Lecturer in Contemporary Art History, LARHRA, Grenoble Alpes University)
Born at the turn of the 1980s in Anglo-Saxon countries, ecofeminism finds its origins in the numerous citizen mobilizations initiated by women activists in favor of the environment and multiple intellectual currents, among which the North American cultural feminism of the 1970s. It is precisely in the wake of this branch of feminism that the first artistic productions that explored the connections between women and nature appeared. As art historian Gloria Feman Orenstein pointed out, first-generation ecofeminist artists in the late 1970s focused on recalling the deep connection between women and « Mother Earth » Gaia, in an effort to rehabilitate and reexamine the values of a long and ancient « pre-patriarchal » tradition in which women lived in harmony with nature’s cycles and with the earth’s ecosystems. But these pioneering practices, often labeled “essentialism“, have been marginalized in art history – including by feminists themselves – which explains the absence of any real literature on the subject. From the 1980s onwards, however, artists have been less concerned with the recovery of a pre-patriarchal history and more concerned with healing the Earth. Closer to what is now called ecological art (Bénédicte Ramade), these practices focus on dialogue and collaboration with the regenerative cycles of nature in order to sustain life and the ecological balance of our Planet, whose integrity has been abused and damaged by patriarchal capitalist culture.
We owe it to Gloria Feman Orenstein to have documented very early on the first realizations of ecofeminist art and to have highlighted its evolution. It has become necessary to return today to these pioneer practices in order to renew the research and define more specifically the contours of a properly ecofeminist art. The desire to regenerate the Earth, to heal Gaïa, is indeed not fundamentally different from the curative dimension which characterizes the work of ecological artists (Bénédicte Ramade, Vers un art anthropocène, 2022). Should we then consider ecofeminist practices as a branch of this artistic movement or can we define criteria which are their own? In their fight against the logic of domination subjugating women as well as nature, ecofeminist artists seem indeed to go beyond a solely curative intention to a more profound reversal of modern thought and its underlying patterns of categorization. The values of care, defended in the works of a good number of artists concerned with renewing the bonds of solidarity, responsibility and interdependence towards the living, may then be considered one of the characteristic elements of ecofeminist art.
In the USA in the 1980s, at the very moment when Ronald Reagan’s neo-liberal policies were challenging the Welfare State and celebrating a free-market society that had little respect for the natural and human resources on which it was based, the development of care theories made it possible to formulate the question of vulnerability, care, and attention to others and to our environment as a social and moral problem that could act as a counterpoint to Western rationalist and patriarchal traditions. How have artists taken up these ethical questions in order to promote another civilizational model? What are the privileged forms of experimentation and how can we explain the absence of critical discourse linked to these practices? Beyond the North American context, what about other geographical territories and the influence that ecofeminist artists have had on new generations?
As cultural institutions begin to highlight ecofeminist concerns in art (ecofeminism(s), 2020, Erben Gallery, New York; Earthkeeping/Earthshaking – Art, Feminisms and Ecology, 2020, Quadrum Gallery, Lisbon; ECOFeminism Festival, 2021, London; Reclaiming the Earth, 2022, Paris, Palais de Tokyo), it is indeed important to revisit the history of these pioneering practices, to investigate the conceptual frameworks that may have influenced these approaches (feminist spirituality, care theory, etc.), to reflect on the new artistic forms that have been developed and to reflect on the new artistic forms that the ecofeminist struggle is taking in the 21st century. In this perspective, this one-day conference intends to bring together art historians, researchers, but also critics and artists, with the aim of defining more precisely the contours of the history of ecofeminist art from its pioneering practices to its most contemporary forms.
The 20-minute interventions may be based on (but not limited to) the following themes :
* The phenomenon of marginalization of ecofeminist art practices and essentialist critique
* The battle of the imagination (critique of modern thought and dominant thinking)
* The conceptual frameworks of ecofeminist art (cultural feminism, care ethics…)
* The different trends (ecological art, ecofeminist art, care art)
* From transnational to global: the internationalization and globalization of ecofeminist art (Spain, Latin America…)
* The exhibition of ecofeminist art from the 1970s to the present (history, practices, specific models?)
Written in French or English, proposals should take the form of an abstract of 3000 signs, accompanied by a bibliography and a short biography, to the following address: art.ecofeministe@gmail.com
Deadline for submission of proposals: May 30, 2023
Response : June 30, 2023
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