Appel à communication : « Traduire l’histoire. Pratiques et acteurs de la traduction en histoire et histoire de l’art » (Paris, 8 octobre 2018)
Organisateurs : Michela Passini (CNRS-IHMC) et Blaise Wilfert-Portal (ENS-IHMC)
Lieu : Ecole normale supérieure, 45 rue d’Ulm, 75005 Paris
Dans l’histoire des savoirs concernant la période contemporaine, le rôle de la traduction a été pour l’essentiel rendu peu visible. Dans les cas, assez rares, où la question est abordée, il y est, le plus souvent, réduit à une question linguistique, ou herméneutique, qui se concentre sur le seul aspect du passage d’une langue à une autre, ou d’un système de sens et de signes à un autre. Or les traductions dont nous parlons, lorsque nous faisons l’histoire des savoirs à l’époque contemporaine, ont toujours été aussi des publications.
Loin de se réduire au passage d’un texte à un autre en une langue différente, la traduction des livres savants engage un ensemble d’opérations complexes impliquant différents réseaux d’acteurs, humains et non-humains. Pour qu’un livre soit traduit, il faut souvent qu’il ait d’abord circulé en langue originale et en traduction partielle (citations traduites, traduction d’extraits), qu’il ait été sélectionné parmi d’autres par des acteurs bien précis en raison de la/des valeur(s) qu’il revêt dans l’espace savant d’arrivée, qu’il ait trouvé un éditeur, et bien sûr un traducteur – simple intermédiaire linguistique traduisant plusieurs auteurs et livres différents, ou bien expert d’un auteur, d’un sujet, d’une sous-discipline et parfois à l’origine même de l’initiative d’importation et de l’ensemble des opérations de promotion qui sont susceptibles de l’entourer.
A l’issue de ce processus un nouvel objet est produit – un nouveau livre – qui diffère de l’original non seulement par la langue et le contenu du texte, mais bien souvent par le format, la mise en page, la présence éventuelle et le choix des illustrations, le prix – autant de caractéristiques qui en déterminent pour une part au moins l’horizon de réception.
Au carrefour de l’histoire intellectuelle et de l’histoire sociale, économique et politique des savoirs, nous nous proposons d’aborder la traduction dans les disciplines historiques à la fois comme une pratique mobilisant un nombre plus ou moins grand d’acteurs et une technologie dont il s’agira de cerner au plus près la dimension économique et matérielle. L’histoire transnationale des échanges intellectuels a souvent eu tendance à saisir ceux-ci dans leurs aspects idéels, les décrivant comme fondés sur des circulations de notions, de systèmes d’idées, d’un vocabulaire ou de textes fondateurs. Il est plus rare que l’on s’interroge sur ce qui circule concrètement et sur les modalités de fabrication et de transfert des objets. De ce point de vue, l’approche économique et matérielle a beaucoup à apporter à l’histoire culturelle transnationale des XIXe et XXe siècles, époque au cours de laquelle l’institutionnalisation des disciplines d’une part et, de l’autre, la transformation de l’édition sous le double effet du capitalisme d’édition et de la spécialisation universitaire de l’édition savante ont profondément modifié les conditions de la publication de l’histoire, et donné une place nouvelle à la traduction dans son économie générale. Prendre au sérieux la question de la traduction comme publication, c’est donc peut-être se donner les moyens de comprendre un peu mieux un moment des sciences humaines marqué à la fois par leur nationalisation et leur internationalisation.
Notre perspective est notamment d’explorer ces différents aspects de la traduction, pour contribuer à une histoire économique, matérielle et politique transnationale des pratiques de l’histoire :
- La position sociale des traducteurs : leurs origines sociales, leur formation, leur position dans le monde savant, les ressources dont ils disposent et la place de la traduction dans leur trajectoire sociale, politique, intellectuelle ;
- La place des traducteurs et des traductrices dans les réseaux qui organisent la production des livres savants en histoire : les éditeurs, les universitaires, les conservateurs de musées, les savants… ;
- Plus particulièrement, la place de la traduction dans les maisons d’édition qui publient de l’histoire et dans les revues spécialisées de ce domaine ;
- La traduction comme production d’un objet-livre : les lieux, les gestes et les outils de la traduction ; les changements de format, d’illustration, les opération de « montage » (édition en volume d’un ensemble d’articles traduits…) ; l’insertion des traductions d’histoire dans les stratégies des éditeurs (positions dans les catalogues, collections spécifiques, publicité et promotion, politique des prix) ; les conditions de la distribution des traductions en histoire, leur place dans les bibliothèques, publiques ou privées… ;
- Le contexte juridique de la traduction de l’histoire : droit d’auteur international dans ce domaine ; cas de contestations en justice concernant le droit de traduction ; traduction de l’histoire et droit moral ;
- L’économie de la traduction de l’histoire (prix du travail du traducteur, montant des droits acquittés pour acheter les droits de traduction, rentabilité des titres traduits… ) ;
- Sa géopolitique, dans le cadre européen et américain, qui est celui de l’institutionnalisation (trans)nationale des disciplines à l’époque qui nous intéresse ;
- La temporalité de la traduction : importation rapide d’une actualité de la recherche à l’étranger, « redécouverte » d’auteurs déjà anciens, construction de « classiques » internationaux… ?
- La théorie de la traduction en histoire et la dimension normative de traductions encore considérées comme « classiques ».
Toute proposition (3000 signes maximum) doit être accompagnée d’un CV synthétique et envoyée aux organisateurs (michela.passini@gmail.com et blaise.wilfert@ens.fr) avant le 20 juin 2018.
Contacts : Michela Passini (michela.passini@gmail.com) et Blaise Wilfert-Portal (blaise.wilfert@ens.fr)
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