Appel à communications : « Transmission des savoirs sensibles » – Journée d’étude suivie d’un atelier pratique : « Un parcours sensoriel au Musée des tissus » (Lyon, 23-24 juin 2022)
Université Jean Monnet – Saint-Étienne – ECLLA, 10 rue Tréfilerie
« Allons ! je vais te dire comment le jet des odeurs touche les narines. Il doit exister maintes choses d’où les effluves déroulent leurs flots divers. Certes le flux est partout lancé et répandu, mais telle odeur convient mieux à tel animal selon la forme des atomes. » L’ingéniosité de la transmission sensible imaginée par Lucrèce (De la nature) n’a de cesse d’être augmentée au gré de recherches renouvelées quant à la perception du monde sensible : Nobel de médecine 2004 sur la perception des odeurs, Nobel de médecine 2021 sur la perception de la température et du toucher. Cependant, s’ils sont placés au cœur de nombreuses recherches scientifiques, les savoirs sensoriels, souvent tacites, restent marginaux dans le domaine des sciences humaines.
La transmission des données sensibles représente une première articulation entre l’humain et son environnement, relation primaire et immédiate entre un corps émetteur et un corps récepteur. La transmission de l’expérience sensible quant à elle relève d’une autre approche, secondaire car médiate. Cette médiation dont le but est de donner accès au sensible peut consister en l’archivage, la collection voire l’orchestration de données sensibles (musées, enregistrements musicaux, orgue à parfums, etc.). Elle peut également recourir à des dispositifs plus élaborés et distanciés en usant de procédés représentatifs tels que la métaphore, la métonymie ou encore l’hypotypose pour donner corps à la sensation. Le texte tout comme l’image apparaissent de fait comme d’excellents médiateurs de l’expérience sensible, sauf à trahir inévitablement l’essence même de l’expérience vécue et son caractère individuel. La transmission de l’expérience sensible serait-elle vouée à l’échec en raison d’un travestissement médiat ? Les descripteurs textuels ou visuels seraient-ils nécessairement biaisés pour décrire la complexité d’une sensation ? La transmission d’une connaissance sensible développe une troisième articulation entre le connaisseur et le profane. Nul doute que la vulgarisation comme la didactisation des savoirs sensibles mettent en place une rhétorique particulière pour donner forme et compréhension à ces savoirs qui s’incarnent parfois en techniques.
La transmission graduée des savoirs sensibles ne doit cependant pas occulter la transmission des savoirs par le sensible. Une transmission incarnée, car sensorielle, permet une meilleure connaissance du monde, ou à défaut une nouvelle façon d’appréhender une géographie ou une histoire donnée. Les sens deviennent alors des outils pour « toucher du doigt » l’histoire ou « observer de près » des géographies lointaines. La reconstitution sensorielle est une première étape vers une compréhension nouvelle d’un savoir distant, dans le temps comme dans l’espace. Textes, images ou enregistrements sonores apparaissent comme les fondations d’une reconstruction sensible rendue possible par la technologie. Pourtant, ces reconstitutions ne permettent pas pour autant de nous extraire de nos sensibilités propres, historiquement et culturellement déterminées, car les sensorialités ne jouent pas seulement un rôle dans l’acquisition des savoirs, elles constituent également un savoir acquis. L’interaction sensorielle permet aujourd’hui une immersion sensible avancée (Exposition L’Odyssée sensorielle au Muséum d’Histoire naturelle, 2021-2022) qui prend souvent place dans les musées et dépasse souvent la description pour mieux cerner les enjeux d’un événement particulier. C’est en dépassant la reproduction sensible au profit d’une mise en réseaux interactive que les savoirs sont à la fois facilités et décuplés. La création sensorielle, ultime étape, vise à s’emparer de la matière sensible pour augmenter les savoirs. L’appropriation du monde sensible à vocation créative équivaut à un développement certain des savoirs.
Diverses perspectives, théoriques ou pratiques, pourront être envisagées afin d’enrichir notre compréhension des processus de transmission des savoirs sensibles et de proposer des moyens de surmonter les défis qu’elles posent. Parmi elles figurent, de façon non-exhaustive :
- Définition des savoirs sensibles ;
- Médiation des savoirs sensibles ;
- Rhétorique des savoirs sensibles ;
- Étude des discours sensibles ;
- Transmission de la sensation à travers la littérature ;
- Évidentialité dans la grammaire du sensible ;
- Histoire de l’art et muséologie sensorielle ;
- Les sens pour retracer l’histoire ;
- Conservation du patrimoine sensible ;
- Reconstitutions sensorielles et interactions sensorielles ;
- Créations sensorielles, immersions sensorielles.
Cette journée d’étude sera suivie d’un atelier pratique réalisé en collaboration avec le Musée des tissus de Lyon. Cet atelier pratique débutera par une présentation des collections du musée et des transformation architecturale et scénographique dont il fait l’objet actuellement. L’atelier se poursuivra par une réflexion collective sur la création d’un parcours sensoriel susceptible de mettre en valeur certains aspects des collections du Musée des Tissus.
Les propositions de contribution (env. 300 mots) accompagnées d’une courte bio-bibliographie devront être adressées avant le 2 mai 2022 à Rémi Digonnet (remi.digonnet@univ-st-etienne.fr), Mylène Pardoen (mylene.pardoen@cnrs.fr) et Érika Wicky (erika.wicky@eui.eu). La réponse du comité scientifique parviendra aux auteurs des propositions avant le 15 mai 2022.
Comité scientifique :
Sarah Barbedette, Orchestre de chambre de Paris
Stéphanie Béligon, Sorbonne Université
Isabelle Chazot, Osmothèque
Cécile Demoncept, Musée des Tissus de Lyon
Marion Falaise, Musée des Tissus de Lyon
Georges Kleiber, Université de Strasbourg
Fabrice Marsac, Université de Strasbourg
Nelly Valsangiacomo, Université de Lausanne
Comité d’organisation :
Rémi Digonnet – Maître de conférences en linguistique anglaise. Université Jean Monnet – Saint-Étienne / ECLLA (remi.digonnet@univ-st-etienne.fr)
Mylène Pardoen – Archéologue du paysage sonore. Maison des Sciences de l’Homme de Lyon Saint-Etienne/USR 2005/CNRS – Lyon (mylene.pardoen@cnrs.fr)
Érika Wicky – Visiting Research Fellow, European University Institute / Chercheuse associée au LARHRA (erika.wicky@eui.eu)
Bibliographie indicative :
Adell-Gombert, Nicolas, « Chapitre 6 – La circulation des savoirs », in Nicolas Adell-Gombert (éd.), Anthropologie des savoirs, Paris, Armand Colin, 2011, p. 251-292.
Baeza, Carole, « Savoirs sensibles », in Christine Delory-Momberger (éd.), Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique, Toulouse, Érès, 2019, p. 161-163.
Bouillet, Alain, « Culture des sens, savoirs et transmission du savoir », Tréma, 11, 1997, p. 19-32.
Cozzolino, Francesca, Dubois, Arnaud, Krier, Sophie, « Savoirs Sensibles : esthétique et anthropologie », archives de la journée d’étude en ligne du Mardi 13 avril 2021 organisée par la Plateforme « art, design et société » ancrée à EnsadLab (laboratoire de l’École des Arts Décoratifs – Université Paris, Sciences et Lettres, PSL)
https://plateformeartdesignsociete.ensadlab.fr/2021/05/31/journee-savoirs-sensibles/
Hoffer, Peter Charles, Sensory worlds in Early America, John Hopkins UP, 2003.
Howes, David, Marcoux, Jean-Sébastien, (éds.), « La culture sensible », Anthropologie et Sociétés, vol. 30, n° 3, 2006, p. 7-17.
Jakubowska, Honorata, « The sociological analysis of sensory knowledge : its understanding, construction and acquisition », Society Register, volume 3, n°1, 2019, p. 121-136.
Lucrèce, De la nature, trad. Kany-Turpin, Paris, Flammarion.
Sauvageot, Anne, Voirs et Savoirs. Esquisse d’une sociologie du regard, Paris, PUF, 1994.
Smith, Mark M, « Producing Sense, consuming Sense, Making Sense: Perils and Prospects for Sensory History », Journal of Social History, Juin 2007.
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