La revue Perspective consacrera son numéro 2022 – 1 à la question du transport des objets et des œuvres d’art. Si l’étude du transport de biens patrimoniaux a donné lieu à une littérature spécialisée conséquente et demeure un enjeu capital pour les institutions qui les préservent, une historiographie du développement et de la normalisation de ses pratiques reste à envisager. À l’inverse, l’histoire de l’art, dans laquelle les phénomènes de circulations et de transferts artistiques constituent un champ de recherche bien établi, délaisse trop souvent les aspects les plus pragmatiques de l’acheminement physique des objets. Il s’agira d’étudier les objets, et leur « état de chose », dans le moment même de leur déplacement, souvent révélateur de l’importance que les sociétés leur confèrent.
Outre son ancrage dans la vie matérielle des choses, la thématique du transport guide également vers une histoire alternative de la production artistique, comme le propose Jennifer L. Roberts dans son ouvrage Transporting Visions. The Movement of Images in Early America (Berkeley, University of California Press, 2014). En évoquant le cas d’artistes travaillant dans la pleine conscience des déplacements futurs de leurs œuvres, l’historienne forge le concept de long-distance pictures, c’est-à-dire d’images dont le contenu même semble interroger leur positionnement propre dans l’espace et le temps. Si l’on retrouve des œuvres en caisse et des mises en scène de déplacements dans nombre de représentations anciennes, l’art récent questionne souvent les enjeux du transport, jouant du contenant devenu contenu, ou propageant un métadiscours sur le statut de l’œuvre d’art au sein du système économique, politique et esthétique qui la conditionne.
Au croisement de ces problématiques professionnelles, techniques, scientifiques et méthodologiques, cette livraison entend mettre en perspective les manières dont les archéologues, les historiens de l’art, les conservateurs, et l’ensemble des chercheurs en sciences humaines, s’emparent de cette question du transport des objets et des œuvres d’art et en déploient les multiples et fécondes implications. Elles seront entendues dans une chronologie large, allant des premières sociétés productrices d’artefacts aux débats très contemporains sur le numérique, sans limitation géographique ni restriction en termes de médiums. Les propositions de contribution devront situer leurs investigations au cœur d’une histoire en mouvement perpétuel : des migrations artistiques aux échanges culturels, saisis dans toute leur diversité (sociale, transnationale, etc.), sans oublier évidemment les pratiques muséales et les expositions.
La revue examinera toute contribution portant sur l’histoire du transport des objets et des œuvres d’art, des biens patrimoniaux et des archives, sur ses représentations, ses pratiques, ses implications, ses motivations et ses conséquences. Les propositions devront s’inscrire dans la ligne éditoriale de la revue : sans jamais se limiter à de simples études de cas, les contributions veilleront à mettre en évidence des enjeux historiographiques précis et une réflexion sur la manière dont l’histoire de l’art, l’histoire du patrimoine et l’archéologie se saisissent de la notion de transport pour penser leurs méthodes et leurs cadres scientifiques. En ce sens, les propositions discuteront de manière critique les contributions et débats qui renouvellent le champ de l’histoire de l’art et de l’archéologie aujourd’hui, et veilleront à mettre en œuvre une réflexivité qui les ancrera dans les débats de la discipline, des sciences voisines et de notre temps.
Pourront également être proposées des contributions prenant la forme de comptes rendus croisés de plusieurs ouvrages récents (parus dans les dix dernières années) et significatifs quant aux débats soulevés par la question du transport, dans les différentes disciplines envisagées.
Parmi les thématiques possibles, auxquelles s’ajouteront celles des propositions reçues :
Le moment du transport comme fabrique de valeur et de sens
- Le transport des œuvres d’art et la fabrique de la valeur : usages, fétichisations, hiérarchies, coûts, assurances, estimation de l’inestimable…
- Le transport d’objets et d’œuvres d’art dans la vie des sociétés : processions, triomphes, manifestations, etc.
- Les migrations de populations qui impliquent des transports d’objets et d’œuvres.
- Le transport d’objets et d’œuvres d’art comme outil et enjeu de diplomatie culturelle.
Les transports contraints
- Le transport d’art en temps de danger, de conflit ou de violence : mesures de protection, évacuations, translocations, dépossessions, retours…
- Les anxiétés patrimoniales : histoire des dégradations, de destructions ou de pertes conséquentes au transport des objets ; histoire du vol des œuvres d’art et des larcins ; absences et présences des objets ; anticipations ou réactions face aux dangers des transports non désirés (crues, incendies, périls exceptionnels).
Les transports organisés : formes et accessibilité
- Le transport d’art et ses traces matérielles dans la vie des institutions patrimoniales : déplacements, mouvements d’œuvres, réserves fermées ou visitables, traces matérielles du transport de l’œuvre (constats, étiquettes, marquage).
- L’histoire des expositions : expositions d’œuvres prêtées, expositions itinérantes, expositions diplomatiques…
- L’art intransportable (ou presque) : œuvres immobiles, non déplaçables, ensembles architecturaux…
- L’écologie et la soutenabilité du transport d’art : histoire, implications, nouvelles pratiques.
- Le transport comme vecteur d’accessibilité à l’œuvre (enjeux de démocratisation culturelle, de pouvoir institutionnel), expositions itinérantes ; musées mobiles ; antennes régionales ou internationales.
- Le déplacement comme méthode : historiennes et historiens de l’art en transit ; la migration d’archives et de documentation.
- Transporter l’art à l’ère du numérique : déplacements virtuels, accessibilités augmentées…
Les transports et leurs représentations
- Le transport d’art et ses représentations dans les arts visuels, au cinéma, dans la littérature, le jeu vidéo, la bande dessinée…
- Le transport à l’œuvre : pratiques artistiques et œuvres d’art traitant spécifiquement de la question du transport ; les objets comme « véhicules d’images » (Aby Warburg).
Perspective
Publiée par l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) depuis 2006, Perspective est une revue semestrielle dont l’ambition est d’exposer l’actualité plurielle d’une recherche en histoire de l’art qui soit toujours située et dynamique, explicitement consciente de son historicité et de ses articulations. Elle témoigne des débats historiographiques de la discipline sans cesser de se confronter aux œuvres et aux images, d’en renouveler la lecture, et de nourrir ainsi une réflexion globale, intra- et interdisciplinaire. La revue publie des textes scientifiques offrant une perspective inédite autour d’un thème donné. Ceux-ci situent leur propos dans un champ large, sans perdre de vue l’objet qu’ils se donnent : ils se projettent au-delà de l’étude de cas précise, et interrogent la discipline, ses moyens, son histoire et ses limites, en inscrivant leurs interrogations dans l’actualité – celle de la recherche en histoire de l’art, celle des disciplines voisines, celle enfin qui nous interpelle toutes et tous en tant que citoyens.
Perspective invite ses contributeurs à actualiser le matériel historiographique et le questionnement théorique à partir duquel ils élaborent leurs travaux, c’est-à-dire à penser, à partir et autour d’une question précise, un bilan qui sera envisagé comme un outil épistémologique. Ainsi, chaque article veillera à actualiser sa réflexion en tissant autant que possible des liens avec les grands débats sociétaux et intellectuels de notre temps.
La revue Perspective est pensée comme un carrefour disciplinaire ayant vocation à favoriser les dialogues entre l’histoire de l’art et d’autres domaines de recherche, des sciences humaines notamment, en mettant en acte le concept du « bon voisinage » développé par Aby Warburg.
Toutes les aires géographiques, toutes les périodes et tous les médiums sont susceptibles d’y figurer.
Prière de faire parvenir vos propositions (un résumé de 2 000 à 3 000 signes, un titre provisoire, une courte bibliographie sur le sujet, et une biographie de quelques lignes) à l’adresse de la rédaction (revue-perspective@inha.fr) avant le 12 mai 2021.
Perspective prenant en charge les traductions, les projets seront examinés par le comité de rédaction du numéro quelle que soit la langue. Les auteurs des propositions retenues seront informés de la décision du comité en juin 2021, tandis que les articles seront à remettre pour le 1er octobre 2021. Les articles soumis, d’une longueur finale de 25 000 ou 45 000 signes selon le projet envisagé, seront définitivement acceptés à l’issue d’un processus anonyme d’évaluation par les pairs.
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