Colloque : « La célébration des Illustres en Europe (1580-1750) : vers un nouveau paradigme ? »

Dans l’avertissement du second volume de ses Hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle, avec leurs portraits au naturel (1696-1700), Charles Perrault se trouva contraint de justifier l’un des choix que lui et son protecteur, Michel Bégon, avaient défendus. On lui reprochait en effet « d’avoir meslé des artisans avec des princes et des cardinaux », c’est-à-dire d’avoir accordé la même gloire à des hommes de conditions très diverses. Cette critique – et la réponse de l’auteur, qui convoque les exemples canoniques d’Apelle et de Phidias, dont les noms « mis après celuy d’Alexandre mesme, ne font point de honte ny à Alexandre ny à son siècle » – permet de situer l’ouvrage de Perrault à contrepied de la tradition encomiastique qui se développa au XVIe siècle, dans le sillage des Vies parallèles de Plutarque. Selon cette tradition, seule la célébration des princes et des grands serviteurs de l’État était justifiée, dans une perspective politique, laquelle conduisait à écarter les lettrés, les savants et les artistes. Les entreprises picturales – telles que la galerie des Illustres du château de Beauregard, décorée de 327 portraits à partir de 1620, ou celle du palais Cardinal à Paris commandée en 1632 par Richelieu – s’inscrivent ainsi encore dans cette tradition. Il en est de même des recueils gravés, tels la série des portraits de Thomas de Leu, ou encore des biographies de femmes illustres, comme Les Harangues héroïques de Madeleine de Scudéry (1642-1644) ou la Gallerie des femmes fortes du jésuite Pierre Le Moyne (1647), toutes deux exclusivement consacrées aux dirigeantes et aux grandes héroïnes de l’histoire ancienne.

Les lettrés et les artistes pouvaient bien sûr faire l’objet de vies autonomes ou incluses au sein de séries leur étant exclusivement consacrées. Ainsi, au XVIIe siècle, à la suite des Vite de Vasari, les artistes furent représentés dans diverses « galeries » réelles ou fictives, allant de la collection d’autoportraits d’artistes de Léopold de Médicis poursuivie par le grand-duc de Toscane Cosme III, aux recueils biographiques comme le Gulden Cabinet van de Vry Schilder-Const de Cornelis de Bie (1662). Cependant, si de telles entreprises témoignent bien de l’élévation du statut des peintres et des sculpteurs, elles demeurent en grande partie distinctes des pratiques de célébration des grands hommes d’État. Aussi une hiérarchie implicite subsiste-t-elle clairement, comme en témoignent encore les critiques formulées à l’encontre du projet de Perrault.

Or, au siècle suivant, un Voltaire pouvait au contraire affirmer que ceux qui “ont excellé dans l’utile ou dans l’agréable”, c’est-à-dire précisément les savants et les artistes, constituaient les véritables exempla virtutis : ils étaient alors susceptibles de surpasser en mérite les héros militaires, pour compter parmi les premiers des grands hommes. Comment s’est opéré ce changement de paradigme, dont l’ouvrage de Perrault constituerait alors l’un des rouages les plus connus, entre 1580 et 1750 ? La France de Louis XIV apparaît a priori comme un catalyseur par le renouvellement des modes de célébration de la gloire royale et surtout par l’institutionnalisation des mondes des arts, des sciences et des lettres sous le ministère de Colbert, phénomènes qui donnèrent lieu à l’élaboration de nouveaux corps sociaux structurés, assortis de nouveaux types de discours visant à soutenir leur légitimité. Cependant, à l’instar des Vrais pourtraits et vies des hommes illustres d’André Thevet (1584) ou des Icones Principum Virorum de Van Dyck (1645), certaines entreprises antérieures à l’ouvrage de Perrault réunissaient déjà savants, artistes et hommes d’État sur un même plan. Ces quelques exemples doivent alors nous conduire à nuancer le rôle de pivot jusqu’alors attribué au règne de Louis XIV, pour tâcher de retracer plus finement l’évolution des conditions sociales et intellectuelles qui ont permis l’émergence de nouveaux types de discours sur les Illustres.

Jusqu’à présent, l’historiographie s’est essentiellement attachée à explorer les enjeux de la biographie dans le contexte humaniste du XVIe siècle, largement marqué par le modèle de Plutarque (Dubois, 2001 ; Eichel-Lojkine, 2001), ou à l’inverse, au développement du culte des grands hommes après 1750 (Bonnet, 1998 ; Gaehtgens et Wedekind, dir., 2009). Ce colloque se propose donc de revenir sur l’ensemble des productions biographiques d’une période jusqu’alors peu étudiée sous cet angle, afin de mieux comprendre comment se transformèrent, entre 1580 et 1750, les modes de célébration de la gloire des illustres, tant par l’écrit que par l’image, en tenant compte de l’ensemble des médiums que constituent le livre, l’estampe, la peinture, la sculpture ou encore la médaille.

Colloque en ligne : https://unil.zoom.us/j/92708025500
Pour plus d’informations, contacter Carla Julie (carla.julie@unil.ch).

Programme

 

Jeudi 25 novembre

09:15   Accueil

09:30   Introduction
Antoine Gallay, Carla Julie, Matthieu Lett

Nouveaux Illustres

Président de séance : Matthieu Lett

10:00   Gabriel-Michel de La Rochemaillet, Jean Le Clerc et Les pourtraicts de plusieurs hommes illustres qui ont flory en France depuis l’an 1500
Rémi Jimenes (Université de Tours) et Estelle Leutrat (Université Rennes 2)

10:45   Pause

11:00   Les “femmes illustres” : représentations littéraires et culturelles au Portugal (XVIe-XVIIIe siècles)
Paula Almeida Mendes (CITCEM – Université de Porto)

11:45   How did images make modern authors illustrious ?
Malcolm Baker (University of California, Riverside)

Nouveaux régimes de célébration

Président de séance : Frédéric Tinguely

14:00   En être, ou pas. Conversions, redéfinitions et exclusions de l’économie des grandeurs dans les recueils protestants d’hommes illustres (xvie– xviie siècles)
Marion Deschamp (Université de Lorraine)

14:45   Le monde du spectacle dans les portraits en mode parisiens (1690-1710) : à propos de la célébration gravée de quelques noms de la Comédie-Française et de l’Opéra
Pascale Cugy (Université Rennes 2)

15:30   Pause

15:45   A faceless gallery of illustrious scientists and artists ? Sébastien Leclerc’s orchestration of an institutional utopia
Sophie-Luise Mävers (Universität zu Köln)

16:30   Recueillir les bons mots des « personnes illustres » dans la France moderne : pratiques de compilation et célébration de l’esprit des grands hommes (1680-1750)
François Lavie (Université Paris 8)

 

Vendredi 26 novembre

 

Desseins politiques

Président de séance : Laurence Giavarini

09:30   La Gallerie des femmes fortes : de la collection historiographique au miroir politique
Stanis Perez (Maison des sciences de l’homme Paris-Nord)

10:15   De la célébration des Grands à celle des Lorrains : les œuvres de Dom Calmet (1672- 1757) au gré des évolutions de la France de la première moitié du xviiie siècle
Margaux Prugnier (Université Paris Nanterre)

 

11:00   Pause

11:15   Thomas Birch’s Heads of Illustrious Persons (1743-1751). Collecting Art, Collecting National Histories
Craig Hanson (Calvin University, Grand Rapids)

 

De la collection à la célébration

Président de séance : Antoine Gallay

13:30   Regard d’un illustre sur ses pairs : l’Armamentarium Heroicum, de la collection d’armures au théâtre de papier
Clarisse Evrard (Université de Lille)

14:15   Curieux d’estampes et Illustres dans la France du xviie siècle : autour de Michel de Marolles
Carla Julie (Université de Lausanne-Université de Bourgogne)

15:00   Pause

15:15   Choisir les Illustres : Michel Bégon et le projet biographique
Maxime Martignon (Université Paris Nanterre)

 

16:00   Conclusion
            Christian Michel (Université de Lausanne)

 

Organisation :

Antoine Gallay (Université de Tel Aviv – The Cohn Institute)

Carla Julie (Université de Lausanne-Université de Bourgogne)

Matthieu Lett (Université de Bourgogne – LIR3S)

 

Comité scientifique :

Jan Blanc, professeur d’histoire de l’art de la période moderne (Université de Genève)

Estelle Doudet, professeure de littérature française (Université de Lausanne)

Laurence Giavarini, maîtresse de conférences HDR en littérature des xvie et xviie siècles (Université de Bourgogne – LIR3S)

Christian Michel, professeur d’histoire de l’art de la période moderne (Université de Lausanne)

Frédéric Tinguely, professeur de littérature française (Université de Genève)

 

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