Dans l’entre-deux-guerres, la municipalité d’une grande ville française concède un quartier entier à une Fondation eugéniste et nataliste, qui s’efforce d’y développer une population féconde et saine. L’expérience dure jusqu’aux années 1970, associant élites sociales et politiques locales, hauts fonctionnaires de l’administration municipale et départementale, représentants de l’Etat… ainsi que des centaines de résidents.
L’affectation des logements s’effectue par des concours fort disputés, les loyers étant subventionnés par la Fondation. Dans le barème de notation figurent des critères qui postulent l’hérédité des comportements de fécondité. Une fois « reçus », les locataires doivent mettre au monde des enfants dans des délais donnés, et quitter leur logement lorsqu’ils sortent de l’âge de procréation. Ils sont annuellement inspectés et notés à propos de leur soin et de leur propreté, et leur bail résiliable sur cette base. Les épouses n’ont pas le droit de travailler ni d’embaucher de domestiques.
Cette expérience grandeur nature a été conçue par un administrateur d’entreprise qui, autodidacte, a lu et s’efforce de synthétiser les textes eugénistes français, allemands et anglais du début du XXe siècle. Son projet scientiste est indissolublement lié à une question esthétique. Il constitue à ses yeux un « poème de pierre » qui ne fait que traduire sur le plan urbanistique la série des sept tragédies, elles aussi eugénistes, qu’il compose durant la première moitié du XXe siècle. Inspiré par le romantisme allemand, il veut graver pour l’éternité une conception fondée sur une démarche foncièrement inégalitariste. L’exposé consistera à articuler l’ensemble des dimensions du projet — théorisation, écriture dramaturgique, mise en oeuvre architecturale. Il analysera aussi la transposition de cet idéal artistique et savant à une population d’habitants faits de chair et de sang …
Paul-André Rosental est professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et chercheur associé à l’INED. Il a créé et dirige l’équipe ESOPP, consacrée à l’analyse interdisciplinaire des politiques sociales, démographiques et sanitaires (http://esopp.ehess.fr). Ses derniers ouvrages sont : L’intelligence démographique. Sciences et politiques des populations en France (1930-1960), Odile Jacob, 2003 et La Santé au travail (1880-2006), coll. Repères, 2006. Il a dirigé ces dernières années les numéros thématiques « Histoire politiques des populations », Annales HSS, 2006, 1 ; « L’argument démographique », Vingtième siècle, 95, 3, 2007 ; « Health and Safety at Work. A Transnational History », Journal of Modern European History, 2009, 2 et, avec C. Omnès, « Les maladies professionnelles : génèse d’une question sociale », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 56, 1, 2009.
Séminaire Arts & Sociétés organisé par Laurence Bertrand Dorléac.
Centre d’histoire de sciences politiques, Sciences Po, 56, rue Jacob 75006 Paris, salle de conférences, 17h-19h.
Contact : Arts et Sociétés
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