« Temporalité et narrativité dans les arts visuels », journée d’études organisée par l’ISP (« Institutions, savoirs, poétiques »), HICSA, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.
9h : Etienne Jollet, professeur d’histoire de l’art moderne à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
Présentation de la journée : « Temporalité et narrativité dans les arts visuels : pour un état (temporaire) de la question »
9h30-10h30 : Lorenzo Pericolo, associate professor à l’Université de Warwick :
« Leon Battista Alberti, the Istoria and its Flaws ».
Reprenant certaines conclusions de son ouvrage consacré à Caravage (Caravaggio and Pictorial Narrative. Dislocating the istoria in Early Modern Painting, Londres, Harvey Miller, 2011), Lorenzo Pericolo choisit de mettre ici l’accent sur la fortune de l’istoria albertienne et sur les diverses interrogations dont elle a été ultérieurement l’objet.
-10h30-10h45 : Pause
-10h45-11h45 Giovanni Careri, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales :
« Catastrophe du temps : le montage de l’histoire dans la Chapelle Sixtine »
La Chapelle Sixtine ne peut pas être saisie d’un seul coup d’œil, il faut sans cesse se déplacer, confronter ce qu’on voit avec le souvenir de ce qu’on vient de voir et renouer les fils d’un récit interrompu par toute sorte de sauts. Aux syncopes du récit qu’affectent l’ordre de la narration, s’ajoutent les sauts entre des manières très différentes de raconter et de présenter visuellement l’histoire de l’humanité depuis la création jusqu’à la fin des temps. Ainsi, en déplaçant son regard des fresques latérales à la voûte, le spectateur doit réajuster les paramètres typologiques que les istorie de Moise et de Jésus exigent de lui et activer un travail herméneutique adapté à la valeur prophétique assigné aux scènes de la Genèse. La forte hétérogénéité des règles mises en jeu ainsi que la surabondance des matériaux figuratifs implique un nombre important de re-montages possibles, j’ai privilégié celui qui articule le sens de l’histoire chrétienne. Par sens j’entends ici la signification mais aussi l’orientation, deux noyaux sémantiques souvent imbriqués. Dans notre cas, en effet, il y a une articulation décisive entre la dimension eschatologique qui détermine l’axe d’orientation fondamentale du temps historique et le sens accordé à chacune des Époques de l’histoire. Cette imbrication est assurée par la cohérence totalisante du modèle messianique qui situe tous les autres temps dans la perspective de la fin de l’histoire, accordant au futur une priorité absolue.
11h45-12h45 : Markus Castor, directeur de recherches au Centre allemand d’histoire de l’art, Paris :
« L‘espace tempéré et le temps construit – La modulation du temps dans la peinture néerlandaise au XVIIe siècle »
La peinture néerlandaise a développé une stratégie expérimentale de la temporalité picturale qui permet – en partant d’une position phénoménologique – de participer à l’expérience du temps individuel dans le sens d’identification (Einfühlung). La base de cette exception du XVIIe siècle – pour ne pas parler des conditions culturelles liées au progrès et aux découvertes de la technique, des sciences naturelles ainsi qu’aux exigences de l’économie – est, dans la peinture, une sorte de violation des normes, contre les modèles « classiques » du déploiement d’histoire picturale. C’est la peinture de genre qui laisse la liberté de « construire » le « temps visible », avec tous les moyens d’organisation de l’espace du tableau, un résultat de la combinaison des différents déterminants que sont le sujet, l’espace et les surfaces. La présentation a l’intention de montrer des exemples (de Vermeer, der Jan Steen et autres) pour mieux comprendre la visibilité du temps et pour sonder la gamme des solutions et possibilités de la peinture ainsi que les mécanismes de la fabrication du temps.
14h-15h : Guido Reuter, professeur à la Kunstakademie de Düsseldorf :
« Le sculpteur, contrebandier du temps »
A la différence du peintre, le sculpteur est limité, du fait des matériaux qu’il emploie, dans sa capacité à conférer à ses œuvres une dimension narrative. Pour les théoriciens de l’art de l’époque moderne, storia et statua s’opposent l’une à l’autre. Un grand nombre de sculpteurs, parmi lesquels Donatello, Gianlorenzo Bernini, Pierre Puget, François Girardon, Francesco Mochi ou encore Antonio Canova, ont souhaité développer les capacités narratives de leur art. Trois moyens principaux sont utilisés : l’unification de différentes actions représentées en une action commune ; la reprise de la théorie des péripéties, en montrant différentes moments d’une même action ; enfin l’ellipse, qui permet d’associer des instants disjoints.
15h-16h : Manuela Vergoossen, privatdozentin en histoire de l’art moderne et contemporain à la Technische Universität de Dresde : « An Evocation of the Problem of Time in the Image: a methodological Sketch ».
Il s’agit, à partir du Pèlerinage à l’île de Cythère d’Antoine Watteau, de poser les jalons d’une étude de la temporalité de l’image qui prenne en considération l’ensemble des aspects de celle-ci, non seulement en rappelant l’ensemble des procédés (rythme, gestes, indications de direction) permettant l’ouverture d’une temporalité triple (passé, présent, futur) mais en prenant en considération d’une part les traces visibles du processus créatif (l’esquisse préparatoire, les repentirs, etc.) mais aussi le rôle du spectateur, jusqu’à la prise en compte de ses rythmes corporels.
16h-16h30 : pause
16h30-17h30 : Pierre Wat, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne :
« Après le naufrage. Turner et le désapprentissage de la narration ».
L’œuvre de Turner se construit, dans sa chronologie, sur un désapprentissage des codes classiques de la narration. Ce phénomène – témoignage d’un doute profond quant à la possibilité, pour le peintre, de représenter l’Histoire – se manifeste de deux façons, souvent intriquées. D’un côté une mise en crise des codes de lisibilité qui rend certains de ses tableaux prétendument narratifs proprement incompréhensibles. De l’autre un rapport singulier – pessimiste – à l’Histoire qui l’amène, lorsqu’il affronte celle-ci en face, à privilégier la représentation d’un après-coup : Après le naufrage plutôt que le naufrage lui-même. Nous tâcherons de voir, à travers l’étude de quelques œuvres, les liens que l’artiste tisse ainsi entre temporalité et narrativité.
17h30-18h30 : Franziska Sick, professeur de littérature française à l’Université de Kassel :
« Événements et traces dans l’espace. Réflexions sur la temporalité chez Perec et Margolles »
Non seulement les débats actuels sur le tournant spatial, mais aussi un terme comme celui de la dénarrativisation suggèrent de nos jours que la culture occidentale se trouve dans une crise de la temporalité. La mode est aux espaces. Mais de même qu’il est impossible de concevoir l’espace sans tenir compte du temps, de même une œuvre d’art, aussi dénarrative soit-elle, traite toujours de quelque chose. Il se pose donc la question de savoir comment, après la fin des (grands) récits, la littérature et les arts s’y prennent pour en rendre compte. En prenant pour exemple des récits de Georges Perec (La Vie mode d’emploi, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien) et des installations de l’artiste mexicaine Teresa Margolles (Frontera. Catalogue d’exposition 2011) je voudrais contribuer à cerner les formes nouvelles de temporalité qu’ils développent. Ces œuvres thématisent la temporalité de la mort. Des catégories plutôt formelles telles que lieu du délit, trace, présence, événement et attente permettent d’en rendre compte. Ces catégories peuvent également servir à poser dans un contexte plus large la question de la temporalité contemporaine.
18h30-19h: Débat conclusif
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.