Investir dans les universités, une priorité oubliée dans le débat de la présidentielle
Dans une note publiée début décembre, le Conseil d’analyse économique dénonce le sous-financement continuel de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis les années 2010. Au Royaume-Uni et en Allemagne, c’est pourtant aux diplômés de l’université que sont promises les plus belles carrières.
Analyse. Qui porte un projet pour les universités françaises ? Qui, simplement depuis le début de la campagne présidentielle, évoque en détail les enjeux liés à l’enseignement supérieur et à la recherche ? Le 1er décembre, le Conseil d’analyse économique (CAE) a rompu le silence en publiant une note de douze pages « pour un investissement plus juste et efficace » en faveur de la communauté et des formations universitaires.
Les économistes Gabrielle Fack et Elise Huillery pointent le sous-financement dont souffre le premier cycle universitaire. Le niveau de dépense publique par étudiant est en baisse depuis les années 2010 et cache de très fortes disparités entre disciplines (11 000 euros pour un cycle de licence de langues étrangères, 15 700 euros pour un master en droit et 60 000 euros pour un cursus d’ingénieur). Alors que les effectifs étudiants ont augmenté de 20 % à l’université entre 2010 et 2020, le nombre d’enseignants diminuait de 2 %. Les volumes d’heures et d’encadrement varient d’une moyenne de 3,5 enseignants-chercheurs pour 100 étudiants en licence, à 8,9 en diplôme universitaire de technologie (DUT) et 9 en école d’ingénieurs.
Ce sous-investissement explique, en grande partie, le faible taux de réussite observé à l’université en licence et, dans une moindre mesure, en master, alors même que les étudiants y ont un profil scolaire équivalent voire meilleur que dans les autres formations. Pour proposer des cursus « d’une qualité au moins égale à celle des DUT actuels », un investissement supplémentaire de l’ordre de 5 100 euros par étudiant pour les licences et de 4 300 euros pour les masters serait nécessaire, calculent les deux économistes.
Au-delà du financement, c’est la culture universitaire qui semble inaudible. Les enseignements suivis par les étudiants à la fac et leurs transformations liées à l’avancée des recherches dans des domaines comme le dérèglement climatique, les inégalités sociales ou la désinformation, éveillent rarement l’intérêt des décideurs. Le réflexe français est de se tourner vers les grandes écoles, réputées « d’application », et de délaisser les universités sans doute perçues comme déconnectées de la vie réelle. N’est-ce pas ainsi qu’il faut interpréter les attaques du chef de l’Etat, en juin 2020, contre les sciences sociales « coupables » d’avoir « cassé la République en deux » en « encourageant l’ethnicisation de la question sociale » ?
Des bacs pro en lettres classiques
La situation de pauvreté des universités n’est intelligible que si on la compare aux portions du système d’enseignement supérieur qui sont protégées, abondées financièrement car elles font l’objet d’attentions des politiques publiques. La réduction de la dépense totale par étudiant – au plus bas niveau depuis 2006 – s’accompagne d’un creusement de l’écart entre filières. L’étudiant à l’université bénéficie de 5 600 euros de moins par an que celui d’une classe préparatoire et de 4 160 euros de moins qu’un étudiant préparant un brevet de technicien supérieur (BTS). […]
S’est-on demandé dans quel but et dans quelles conditions il fallait conduire 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac – objectif quasiment atteint aujourd’hui ? Et comment cette deuxième vague de démocratisation scolaire, commencée au mitan des années 1980, pouvait amener à la réussite ? Alors que la voie du baccalauréat professionnel a vocation à fournir des étudiants en section de technicien supérieur (STS) et la voie du baccalauréat technologique en institut universitaire de technologie (IUT), la réalité est tout autre. Ces deux filières courtes sont sélectives et accueillent en majorité des élèves de la voie générale, et en STS, de la voie technologique.
Cette absence de pilotage politique aboutit à l’absurde, comme à l’université Paul-Valéry-Montpellier-III, où la faculté de lettres classiques, filière qui compte généralement moins de dix inscrits, a accueilli 70 étudiants titulaires d’un baccalauréat professionnel qui n’ont été acceptés nulle part ailleurs à la rentrée 2020. Toutes disciplines confondues, le gâchis est préoccupant quand seule une moyenne de 45 % d’une promotion de première année de licence est admise dans l’année supérieure et que 29 % abandonnent.
Pendant ce temps, se multiplient les « bachelors », des formations onéreuses en trois ans pour lesquelles les écoles de commerce et d’ingénieurs obtiennent de plus en plus aisément le grade de licence, auparavant chasse gardée de l’université. Dans ces cursus, on vante l’insertion rapide des diplômés sur le marché de l’emploi. Au moment où les écoles concurrencent les universités dans tous les domaines, Parcoursup s’ouvre à davantage de formations nouvelles en 2022, dont certaines, privées, n’ont rien d’académique.
Chez nos voisins, notamment anglais et allemands, c’est aux diplômés de l’université que sont promises les plus belles carrières, les entreprises formant sur le terrain des jeunes dont le niveau de diplôme certifie avant tout la capacité de réflexion, quel que soit le domaine de formation. Le grade de « docteur » y jouit d’une reconnaissance réelle, particulièrement dans des sociétés cotées sur les marchés financiers, souvent dirigées par des docteurs à la tête bien faite, capables de poser des questions avant de prétendre apporter des réponses, comme le veut la rigueur de la démarche scientifique universitaire.
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