Le prochain numéro de Perspective : actualité en histoire de l’art aura pour thématique « détruire ». Il s’agira d’ouvrir l’exploration à tous les champs concernés par cette notion qui transcende les frontières géographiques, historiques et culturelles. L’emploi du verbe plutôt que du substantif exacerbe la valeur propre du geste – donnant le primat à l’action sur son résultat – et renvoie à des notions afférentes tels l’iconoclasme ou le vandalisme. « Détruire » pose plus généralement la queCall_Perspective2018-2_Destroying stion de l’inscription de l’œuvre dans la cité, de l’impact de sa présence et des interactions qu’elle occasionne avec le public, dessinant les contours de notre propre relation à l’art. De l’image à l’objet, l’œuvre se trouve questionnée sur le plan de sa valeur symbolique mais également dans sa matérialité, dans son épaisseur.
Les attaques menées contre les biens culturels nous conduisent à nous tourner vers les auteurs de ces « crimes », dans une enquête qui, relevant de la sociologie, de la psychologie voire du droit, dépasse le seul champ de l’histoire de l’art. Les destructions récentes, massives et médiatisées, de symboles du patrimoine mondial tels les bouddhas de Bamyan en 2001 ou, plus récemment, le site du temple de Bêl à Palmyre, s’inscrivent dans une longue histoire de l’iconoclasme. Du monothéisme juif à la « querelle des images » (de l’Empire byzantin à la Réforme) en passant par la destruction des idoles précolombiennes par les conquistadors, le rejet des images constitue le symptôme de crises dans lesquelles le politique et le religieux se lient inextricablement.
Entre les deux guerres, au moment où Auguste Perret écrivait : « L’architecture, c’est ce qui fait de belles ruines », Albert Speer esquissait sa « théorie de la valeur des ruines » selon laquelle la qualité d’un édifice était éprouvée par ses vestiges – postulat qu’Hitler fit sien en le rebaptisant de manière plus opératoire « loi des ruines ». Si la guerre, et avec elle la fragmentation – physique et psychique, des êtres comme des choses – figure au centre d’une telle thématique, celle-ci ne saurait pour autant se réduire à la violence de l’anéantissement. En effet, la destruction ne peut se comprendre que dans son rapport dialectique à la construction, ce que désignait l’économiste Joseph Schumpeter par l’expression de « destruction créatrice » destinée à qualifier la dynamique interne du tissu économique faite de créations/disparitions simultanées de secteurs d’activité. Du point de vue de la biologie, tout organisme vivant porte en lui la destruction, ce qu’exprimait le physiologiste Claude Bernard à travers la formule lapidaire : « La vie, c’est la mort. » En ce sens, la propension croissante à la préservation – inhérente au phénomène de patrimonialisation qui remonte à la Révolution française – constitue un frein à cette dynamique symbiotique.
Dans le domaine artistique, la destruction concerne tout aussi bien la réception que la création de l’art et dans ce dernier cas, elle apparaît comme l’un des symboles de la modernité. Lorsque Nicolas Poussin accusait le Caravage d’être venu au monde pour « détruire la peinture », il reprochait à son aîné de privilégier la vérité de la nature à la noblesse des sujets. Lorsqu’au début du xxe siècle, les pionniers de l’abstraction procédèrent à la destruction des formes de la nature, c’était dans l’espoir d’en révéler l’essence cachée. En dépit de tout ce qui les distingue – voire les oppose – détruire consistait dans les deux cas à une opération de dévoilement visant à saisir le « vif de l’objet » pour le premier, une réalité d’ordre spirituel pour les seconds.
Cet appel à contributions entend ainsi susciter un ensemble de propositions explorant la thématique proposée dans son amplitude la plus grande, des monuments et ensembles architecturaux (« monuments communistes », etc.), aux images (icônes, etc.), en passant par les objets (readymades, machines autodestructrices de Jean Tinguely, etc.), voire les performances (les « Colères » d’Arman, etc.). La problématique prendra en compte les phénomènes de
« dégradation » intentionnelle (graffitis, etc.) et s’étendra au jugement esthétique porté sur les œuvres (discrédit, etc.), aux opérations de reconstruction ou de déconstruction auxquelles elles peuvent être sujettes (restauration destructive, fonte de statues, d’orfèvreries ou de tapisseries pour réutiliser des matériaux tels que le bronze, l’argent ou l’or, etc.), voire aux techniques de construction par le négatif (acte d’effacer, par exemple). Ces différentes pistes n’étant qu’indicatives, toutes les propositions sont bienvenues, même si Perspective souhaite privilégier des études diachroniques dont les formes et les enjeux peuvent être multiples. Les propositions sont susceptibles d’aller de l’article synthétique mettant en exergue un point particulier de la thématique (25 000 signes) au bilan historiographique concernant un territoire géographique, une figure singulière, voire une période historique donnée (45 000 signes). Perspective prenant en charge les traductions, les projets seront examinés par le comité de rédaction du numéro quelle que soit la langue.
Prière de faire parvenir vos propositions (un résumé de 2 000 à 3 000 signes et une biographie de 2 ou 3 lignes) à l’adresse de la rédaction revue-perspective @ inha.fr avant le lundi 27 novembre 2017.
Les auteurs des articles retenus seront informés de la décision du comité avant la fin de l’année, tandis que les articles seront à remettre le 15 juin 2018 pour une parution en décembre 2018.
Pour en savoir plus, consultez la page de la revue sur le site de l’Inha, et lisez Perspective en ligne.
Télécharger l’appel en français
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Call Perspective2018-2_Destroying Appel_Perspective2018-2_Detruire-1
Call for papers
The next issue of Perspective: actualité en histoire de l’art will focus on the theme of “destroying”. We aim to open our exploration to all the fields concerned by this notion that transcends geographical, historical and cultural boundaries. The choice of the gerund rather than the noun intensifies the value of the gesture itself – giving primacy to the action over the result – and refers to related notions such as iconoclasm or vandalism. “Destroying” raises more generally the question of the artwork’s inscription in the polis, the impact of its presence and the interactions it generates with the public, while drawing the outlines of our own relationship to art. From the image to the object, the artwork is questioned in terms of its symbolic value but also in its materiality, in its density.
Attacks against cultural heritage lead us to examine the perpetrators of these “crimes” in an investigation that, drawing on sociology, psychology or even law, goes beyond the field of art history. Recent massive and mediatized destructions of World Heritage symbols such as the Bamyan Buddhas in 2001 or, more recently, the Temple of Bel in Palmyra, form part of a long history of iconoclasm. From Jewish monotheism to the iconoclastic debates (from the Byzantine Empire to the Reformation) and the destruction of pre-Columbian idols by the conquistadors, the rejection of images is a symptom of crises in which politics and religion are inextricably linked.
During the inter-war period, at the time when Auguste Perret wrote: “Architecture is what makes beautiful ruins”, Albert Speer sketched his “theory of the value of ruins” according to which the quality of a building was demonstrated by its remains – a postulate that Hitler adopted and more pointedly renamed the “law of ruins”. If the war and, with it, fragmentation – physical and psychic, of beings as well as things – figures at the center of this theme, the latter cannot be reduced to the violence of annihilation. Indeed, destruction can only be understood in its dialectical relationship to construction: what the economist Joseph Schumpeter described with the expression “creative destruction,” intended to qualify the internal dynamics of the economic fabric made of simultaneous creations/disappearances in different sectors of activity within the economy. From a biological point of view, every living organism carries within it its own destruction, as the physiologist Claude Bernard expressed with this lapidary formula: “Life is death.” In this sense, the growing propensity for preservation – inherent in the concept of heritage that goes back to the French Revolution – represents a brake on this symbiotic dynamic.
In the field of art, destruction concerns both the reception and the creation of artwork and in the latter case, appears as a symbol of modernity. When Nicolas Poussin accused Caravaggio of having come into the world to “destroy painting,” he reproached his older contemporary for privileging the truth of nature to the nobility of subjects. When, at the beginning of the twentieth century, the pioneers of abstraction proceeded to destroy natural forms, it was in the hope of revealing their concealed essence. In spite of everything that distinguishes them – that is, opposes them – destroying consisted in both cases of an unveiling aimed at grasping the “essence of the object” for the former, and a spiritual reality for the latter.
This call for papers aims to elicit proposals exploring the proposed topic in its broadest range, from monuments and architectural ensembles (Communist monuments, etc.), to images (religious icons, etc.), objects (ready- mades, Jean Tinguely’s self-destroying machines, etc.), even performances (Arman’s “Angers”, etc.). The topics will take into account the phenomena of intentional “degradation” (graffiti, etc.) and will extend to the aesthetic judgment of works (discredit, etc.), to acts of reconstruction or deconstruction to which they may be subject (destructive restoration, melting of statues and gold artifacts or the unraveling of tapestries, in order to reuse materials such as bronze, silver or gold, etc.), or even to construction techniques through the negative (act of erasing, for example). These different ideas are only illustrative. All proposals are welcome, though Perspective wishes to privilege diachronic studies whose forms and stakes can be multiple. Proposals may range from a synthetic article highlighting a particular point within the theme (25,000 characters) to a historiographical assessment of a geographical territory, a singular figure, or even a given historical period (45,000 characters). Since Perspective will take care of translations, all projects will be examined by the editorial board, regardless of the language of submission.
Please send your proposals (a summary of 2,000 to 3,000 characters and a 2 to 3-line biography) to the editorial team revue-perspective @ inha.fr before Monday, November 27, 2017. Authors of selected articles will be in- formed of the editorial board’s decision before the end of the year. Articles will need to be submitted by June 15, 2018 for publication in December 2018.
For additional information, see the journal on the INHA website and consult Perspective online.
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