Appel à contribution : « Arts décoratifs et poésie : artistes, écrivains et esthètes autour de Marcel Proust »

Embellir la vie, saturer matériellement l´existence par l´art et sa mise en scène dans les intérieurs, les jardins, les goûts et les allures, ou bien absorber la matérialité des choses et de l´art dans l´écriture et la philosophie en renonçant au culte et au fétichisme de l´objet : ces deux voies apparemment divergentes marquent les destins de toute une génération de poètes, d’artistes et d’esthètes Fin de siècle et des années 1900. Afin de les envisager de manière neuve, une figure nous a semblé s’imposer : Marcel Proust. Quelle fut la position de l’écrivain à l’égard des arts décoratifs ? En quoi se distingue-t-elle ou converge-t-elle avec celles de ses contemporains ?
Tenter de répondre à ces questions, c’est d’abord s’émanciper d’une vision dominante du rapport de l’écrivain à l’art. Les chercheurs n’ont pas manqué de relever les nombreuses références aux artistes d’À la recherche du temps perdu. Ils se sont attachés aux correspondances entre art visuel et écriture, entre œuvres d´art réelles et imaginaires, entre les tableaux du peintre fictif Elstir et les métaphores de l´écrivain, et finalement entre le « style » et la « vérité » de l´art, qu´expose Le Temps retrouvé. Il faut néanmoins constater que l´intérêt pour les arts plastiques et visuels présents dans le roman ont jusqu´à présent presque uniquement porté sur la peinture, notamment sur les chefs-d´œuvre correspondant à l´idée d’une « apothéose de l´art » (Walter Benjamin) que Proust aurait proclamé dans son dernier volume. La Recherche, cette œuvre dite monumentale, semble si proche de l’idée d´œuvre d´art totale qu´on a rapidement négligé la réflexion que Proust formule sur l´idolâtrie du chef-d´œuvre absolu, par exemple à l´égard de Wagner ou de la Vue de Delft de Vermeer, qui conduit l´écrivain fictif Bergotte à la mort. Malgré des avancées majeures, l´exposition pionnière « Marcel Proust. L´Ecriture et les Arts » en 1999, sous la direction de Jean-Yves Tadié, les contributions particulières (Hans Belting, Horst Bredekamp, etc.), ainsi que quelques parutions récentes (K. Yoshikawa, Proust et l´art pictural, Paris 2010) relèvent encore des hiérarchies traditionnelles de l’histoire de l’art. Comparant la construction de son livre à celle d’une église, Proust remarque : « il y a des parties qui n´ont eu le temps que d´être esquissées, et qui ne seront sans doute jamais finies ». Il précise encore qu’il ne l’envisage pas « ambitieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe. »
L´art, selon Proust, est donc également le résultat d´un long travail (dont l’éthos s’oppose à la création du « génie ») et relève aussi de la découverte d´une unité insoupçonnée, unité naissant de l´ « infinitésimal » (Robert de Montesquiou), du « fragment », du « détail », d´une « nuance », de l´ « instant ». Or, si la Recherche émerge autant de la miniature que d´un plan monumental, plutôt de l´étude détaillée à la Ruskin (dont Proust avait été le traducteur) ou encore du poème en prose baudelairien et de la métaphore, la question se pose d’une proximité encore peu étudiée de l’écrivain aux arts dits « mineurs », « appliqués » ou « décoratifs ». Ces objets et ces dimensions du regard, où aucun grand art ne se signale comme tel, ne permettent-ils pas au narrateur d’approcher plus encore ces espaces temps « rendus sensibles », qui conduisent sa « recherche » ? La description proustienne porte tout autant sur les grands peintres que sur la verrerie, les ferronneries parisiennes, les porcelaines, les décors japonisants, la mode, en « pastichant » parfois des objets ou des styles précis de la Belle Epoque et des avant-gardes parisiennes. Certes, Proust admirait le grand art des musées et des collections, mais, pour revivre l´art de mémoire, il lui fallait une expérience sensible, involontaire, nerveuse peut-être, rendue possible par la solitude ou l’intimité. Le décor, l´art en retrait, la non-œuvre, les objets taciturnes de l´intérieur, les accessoires, l´éphémère constituent la matière même de l’analogie proustienne, de sa loi esthétique, de son œuvre. C´est en expérimentant les effets sensuels et phénoménologiques des matériaux comme le cristal, les tissus, la photographie, ou encore la dimension mobile et performative de la matérialité (la danse, le végétal, le diaphane) que Proust propose des formes de l´imaginaire qu´il relie parfois, et ensuite seulement, au « grand » art. Empirisme et imagination, objet insignifiant et moment personnel, profondeur et pure apparence, « essence » et « décor », s’y mêlent pour aboutir à un « rendu sensible » entre matière et vie, espace et temps.
Autour de 1900, le japonisme, le collectionnisme des Goncourt, l´Art Nouveau de Gallé, les robes de Fortuny, constituent autant d’arts « de salon », qui relèveraient d’une telle attention flottante. À l’inverse, les débats portant sur leur statut décoratif, appliqué, industriel, voire social, fondent l’invention d’une centralité de l’art autonome dont ils constitueraient les marges. De ce point de vue, les connaissances et les relations mondaines nourrissent la sensibilité proustienne en l’ancrant dans son temps : de Montesquiou à Cocteau, en passant par Diaghilev, Edmond de Goncourt, Gallé, les réseaux de connaisseurs et collectionneurs proche d´Ephrussi, de Haas, de Durand-Ruel et des femmes peintres comme Madeleine Lemaire. Avec eux, une autre question se pose, historique et sociale, celle de l´ « homme esthétique » (Gert Mattenklott) de la Belle Epoque. Outre l’examen des arts décoratifs dans et chez Proust, nous souhaiterions ouvrir le colloque aux problématiques et aux individus qui lui furent contemporains, en gardant à l’esprit notre question initiale. Considérant les deux voies de la prolifération concrète des objets et de l’entreprise littéraire et philosophique, on a par exemple souvent opposé les positions de Proust et de son contemporain Montesquiou, à la manière dont le héros du roman proustien divise le monde de Combray selon les « deux côtés » de Méséglise et de Guermantes. C’était oublier que l’unité se révèle à la fin. Si Montesquiou s’est illustré par la mise en scène de ses intérieurs pour finir par incarner un certain dandysme de l’apparence et du style de vie, il ne vécut pas moins les tensions entre art et design, entre vie d´artiste et vie mondaine. De même, le romancier Proust ne fut pas moins chroniqueur des salons artistiques, auteur de « Notes sur monde mystérieux de Gustave Moreau » et « Sur la psyché du Comte », ni moins amateur de Gallé, de Helleu, de Whistler, de Fortuny et d’Hokusai. En invitant des historiens de la littérature, de l’art et de la culture au dialogue, le colloque Marcel Proust et les arts décoratifs entend non seulement éclairer l’homme et son œuvre littéraire, mais envisager sa participation à la construction de toute une problématique de l’art moderne.`

Les propositions de communication ne devront pas dépasser 300 mots et comporter : nom et prénom de(s) auteur(s), court C.V. et bibliographie sélective, titre(s), fonction(s) et institution de rattachement, coordonnées (adresse postale et électronique, téléphone), titre de la communication et principaux arguments et doivent être adressées à :

Boris Roman Gibhardt (bgibhardt@dt-forum.org) et Julie Ramos (julie.ramos@inha.fr).

Colloque organisé par le Centre Allemand d’Histoire de l’Art, Paris et l’INHA

Source : http://arthist.net/archive/922

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