Appel à contribution : « Sonder l’abyme » « La mise en abyme dans les textes et les images » (Luxembourg, janvier 2015)

Johannes Gumpp, Autoportrait, 1646, huile sur toile, 89 cm, Galleria degli UffiziDès que l’on s’intéresse au fonctionnement de la mise en abyme, on s’aperçoit que le principe repose sur une fausse évidence, due certainement à l’interrogation de la représentation sans cesse reprise sur de nouveaux frais et notamment sous l’impulsion des nouveaux romanciers et de l’effort théorisant des années structuralistes. Résultat : l’expression de mise en abyme a fini par renvoyer à tout miroir de l’œuvre, indépendamment des modalités de son apparition. Selon Lucien Dällenbach (1977 : 139-140), dont la typologie est communément admise comme base de réflexion du principe en littérature, il faut garder à l’esprit « l’effet cumulatif » de la mise en abyme qui ne peut se présenter sous une forme pure, gagnant même en termes de «rendement narratif » à exacerber ses ressorts à tous les niveaux (énonciation, énoncé, code).

Si le raisonnement se justifie à l’aune de nombreux exemples, il paraît en même temps éluder les difficultés qu’il y a à cerner la mise en abyme en soi et a fortiori ses champs d’application. D’autant plus que ceux-ci sont particulièrement nombreux, étant donné le caractère pluri-sémiotique de la mise en abyme, qu’on peut retrouver aussi bien en littérature qu’en peinture, en photographie, au cinéma. D’où l’impasse à aborder la mise en abyme en termes seulement narratifs. Foncièrement, le verbal et le visuel sont mis à contribution, parfois même conjointement. La mise en abyme gagnerait de fait à être considérée dans toute son ampleur sémiotique. C’est qu’elle a cette particularité de pouvoir figurer et être figurée, échelonnant son rendement de la plus simple allusion à la plus complexe médiation de la représentation – à l’instar de l’ajout de sens opéré dans une image par un miroir convexe savamment orienté qui fait basculer le hors-champ à l’intérieur du champ de vision en soi. S’il y a de fait une réflexion qui opère, dans le sens d’un retour sur le fondement de l’œuvre concernée, comment celle-ci peut-elle être cernée ? Et partant, quelles sont les propriétés de cette réflexion ? Faut-il, comme le suggère Bernard Vouilloux (2004 : 129-131), distinguer la « réflectivité » de la « réflexivité » ? Dès lors, quelles différences y a-t-il entre la réflexivité et l’autoréflexivité (cf. Metz 1991, Genin 1998) ? Finalement, puisque toute une tradition d’études visuelles a montré l’auto-réflexivité inhérente à (pratiquement) chaque création – visuelle ou textuelle –, par des moyens et sous des aspects bien spécifiques à chaque fois (cf. Marin 1977, Damisch 1987, Aumont 1996), ne faudrait-il pas en conclure qu’analyser une œuvre, c’est déjà envisager son processus de mise en abyme ?

On voit bien que, d’une part, le champ notionnel qui entoure le principe de la mise en abyme est très vaste et semble, au vu des études menées dans le passé, s’adapter au sujet ou support étudié ; mais, d’autre part, la question s’impose s’il ne serait pas intéressant de définir la mise en abyme d’un point de vue plus strictement théorique, au-delà des questions particularisantes liées à une œuvre ou un médium. En effet, à mettre en présence les différentes tentatives de définition de la mise en abyme, en partant de la charte gidienne, l’aporie guette tant elles ne concordent pas. Par exemple : le mouvement de mise en abyme nécessite forcément deux niveaux de représentation, mais faut-il nécessairement qu’un deuxième support de représentation soit mentionné ? De même, étant donné le jeu entre ces deux niveaux, celui-ci est-il toujours d’ordre métaleptique (cf. Genette 2004) ? Qu’en est-il de la délimitation de la mise en abyme : doit-elle être clairement isolable ou simplement localisable ? Enfin, quel est l’apport d’une mise en abyme : un traitement ludique de la représentation, un vecteur de l’illusion référentielle ou au contraire la dénonciation de celle-ci ?

Il s’agira donc à l’occasion de ce colloque de véritablement sonder l’abyme en croisant des traditions et des perspectives d’analyse d’objets considérés souvent séparément afin de faire le point et d’essayer de formuler une vision d’ensemble. Les communications pourront porter sur :

  • des études de cas qui s’attelleront à ouvrir des perspectives théoriques ou généralisantes,
  • des études-bilan qui permettront un état des lieux de la question au sein d’une discipline choisie,
  • des études théoriques inter- et/ou disciplinaires.

La durée des interventions est de 30 minutes, suivies de 15 minutes de discussion. Les propositions, sous forme de résumé de 400 mots accompagné d’une brève bio-bibliographie de l’auteur, devront être envoyées pour le 01 août aux deux organisateurs. Les langues acceptées sont le français et l’anglais. Les réponses seront notifiées pour le 15 septembre.

Organisé par l’IRMA (Institut d’études romanes, médias et arts) de l’Université du Luxembourg, le colloque se déroulera au Casino – Forum d’art contemporain de Luxembourg. Le projet de publication sera lancé courant 2015.

Organisateurs : Tonia Raus (tonia.raus@ext.uni.lu) et Gian Maria Tore (gian-maria.tore@uni.lu)
Contact : Tonia Raus

Conférenciers invités : Victor Stoichita (Université de Fribourg, Suisse) ; Jean-Pierre Bertrand (Université de Liège, Belgique).

Comité scientifique : Jacques Aumont (EHESS/Université Paris 3, France), Jean-Pierre Bertrand (Université de Liège, Belgique), Marion Colas-Blaise (Université du Luxembourg, Luxembourg), Ralph Dekoninck (Université catholique de Louvain, Belgique), Richard Saint-Gelais (Université Laval, Canada), Christiane Solte-Gresser (Université de la Sarre, Allemagne) et Bernard Vouilloux (Université Paris 4, France).

Bibliographie indicative

·       Aumont, Jacques, À quoi pensent les films ?, Séguier, 1996
·       Cerisuelo, Marc, Hollywood à l’écran. Essai de poétique des films, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2000
·       Dällenbach, Lucien, Le Récit spéculaire. Etude sur la mise en abyme, Seuil, 1977
·       Damisch, Hubert, L’origine de la perspective, Flammarion, 1987 ; 2ème éd., Flammarion, 1993
·       Fevry, Sébastien, La mise en abyme filmique. Essai de typologie, CEFAL, 2007
·       Genette, Gérard, La Métalepse. De la figure à la fiction, Seuil, 2004
·       Genin, Christophe, Réflexion de l’art, Kimé, 1998
·       Marin, Louis, Détruire la peinture, Flammarion, 1977
·       Metz, Christian, L’énonciation impersonnelle. Ou le site du film, Klincksieck, 1991
·       Pier, John et Schaeffer, Jean-Marie (dirs), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, EHESS, 2005
·       Saint-Gelais, Richard, Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Seuil, 2011
·       Schmeling, Manfred (dir.), Littérature, Modernité, Réflexivité,  Honoré Champion, 2002 (Conférences du séminaire de   littérature comparée de l’Université Sorbonne Nouvelle).
·       Stoichita, Victor I., L’Instauration du tableau, Métapeinture à l’aube des temps modernes, Klincksieck 1993 ; 2ème éd. Droz, 1999
·       Vouilloux, Bernard, L’Œuvre  en souffrance. Entre poétique et esthétique, Belin, 2004

 

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