Appel à communication : « Alfred Manessier : le politique, le spirituel, le naturel »

Dans le cadre de la mise en place des célébrations autour du centenaire de la naissance du peintre picard Alfred Manessier (1911-1993), un certain nombre de manifestations vont être déclinées durant les années 2012 et 2013 à l’Université de Picardie. Parmi celles-ci : un colloque, dédié à un état de la recherche « manessierienne », et aux divers aspects de l’œuvre peint, dessiné et écrit d’Alfred Manessier  articulé autour des trois thèmes suivants : le politique –l’engagement du peintre dans l’histoire contemporaine-, le spirituel – les vitraux du Saint-Sépulcre d’Abbeville en sont un des témoignages – le naturel – le territoire picard (la baie de Somme et Le Crotoy, les hortillonnages d’Amiens, les rives du Scardon, le parc de la Bouvaque à Abbeville), le climat, la lumière, les saisons, l’activité portuaire, agricole, etc.

1.    Le politique et le spirituel
En  septembre 1971, le peintre Alfred Manessier répond à une remarque de Pierre Encrevé : « j’ai toujours eu le souci du politique ». Cette réponse fait l’objet d’une partie du colloque d’Amiens.
L’histoire de l’art avait jusqu’à présent, à quelques exceptions près , retenu le peintre abstrait lyrique, le chantre de la nature et des « rythmes de l’univers », le chrétien. Martine Martin  qui consacre en 1983 sa thèse de troisième cycle à l’Université de Paris I  à « Manessier : œuvres de 1935 à 1960 » écrit : « Connu surtout comme peintre religieux, ayant beaucoup contribué dans les années d’après-guerre, au renouvellement formel d’un art sacré depuis trop longtemps prisonnier de cet académisme dévot responsable de son asphyxie, Manessier se mit, vers la fin des années 60, à puiser une part non négligeable de son inspiration dans l’actualité. /…/ Et voilà que, sans crier gare, le peintre mettait le doigt sur des problèmes beaucoup moins innocents impliquant de sa part une prise de position politique qui n’était pas forcément de nature à plaire à tous ». À l’appui de cette thèse, et concluant la soutenance, Jean Laude « estimait nécessaire de rouvrir le dossier de cette peinture trop hâtivement considérée comme non pertinente pour l’histoire de l’art »  et indiquait : « Il se pourrait, après tout que, paradoxalement, Manessier fût mis en quarantaine par les Biens Pensants de tous bords non point pour cause d’élégance et de bon goût mais pour raisons d’insubordination – parce que son art et son message étaient dérangeants ».

Dans Pour une histoire culturelle de l’art moderne. Le XXe siècle, Pierre Daix note que Manessier qui figure dans l’exposition « Face à l’histoire. L’artiste moderne devant l’événement historique » , « secoue sa peinture avec Requiem pour Novembre 1956 (écrasement de la révolution hongroise) ». Il nous a paru pertinent d’explorer cette « secousse ».
L’écrivain et philosophe Gilbert Lascault relève en 2008, avec justesse, que « face aux violences des dictatures et à leur cruauté, la peinture d’Alfred Manessier est une résistance, une ténacité. Elle est du côté d’une espérance tragique ».  Il souligne qu’en « 1938, le peintre dessine en lavis d’encre sépia À bas Hitler, étude pour Le Dernier Cheval : la croix gammée du nazisme veut assassiner la vie… À l’invasion soviétique de la Hongrie, il peint un Requiem pour novembre 1956… Martin Luther King a lutté contre la ségrégation raciale et est assassiné en 1968 : Hommage à Martin Luther King… Son tableau, Le Procès de Burgos (1970), donne à voir l’injustice des juges du totalitarisme et les condamnés enchaînés…Il peint en 1972  Viêt nam Viêt nam… Lorsque Franco fait garrotter le jeune anarchiste catalan Salvador Puig Antich, il peint Pour la mère d’un condamné à mort (1975)… Il suggère la misère des Favellas (1979-1983), les cités obscures du Brésil, la douleur rouge et noire. Le peintre n’oublie jamais l’Histoire, les événements, les drames ». Proche de l’épouse de Jean-Paul Kauffmann, il peindra la toile fermée de l’Otage en 1987 et, à sa libération en 1988, l’Hymne à la joie.

On ne peut aujourd’hui, au regard de l’œuvre produit et  des documents rassemblés, douter des engagements de l’artiste- du groupe Témoignage (1936 à Lyon puis à Paris autour de Marcel Michaud) ,   à « Jeune France » (1940-1942) qui autour de Xavier de Lignac et de Maurice Blanchot, tenta de « se servir de Vichy contre Vichy » , jusqu’aux commémorations du bicentenaire de la Révolution- tout en les replaçant dans leurs contextes historiques et artistiques respectifs. Et si Martine Martin relève la picturalité – rythmes dynamiques, fonds de ténèbres que déchirent des rouges de feu et de sang  — et la tonalité politiques de l’œuvre manessierenne à partir des années 60, celles-ci semblent naître bien en deçà.

2. Le spirituel et le politique
Camille Bourniquel et Pierre Encrevé, participant tous deux au catalogue de l’exposition de la  Galerie de France, à Paris,  en 1974, relèvent l’un dans son texte – Le choix de l’évidence- et l’autre dans l’entretien qu’il réalise à cette occasion avec le peintre, l’engagement de l’artiste dans l’actualité politique et le lien de cette actualité avec les thèmes religieux qui ont contribué à construire la notoriété de l’artiste  : les Passions. Sinon que pour la période envisagée là, ce n’est sans doute pas le thème de la passion du Christ qui –liant les drames du temps présent et l’histoire de Jésus- prédomine à la peinture mais une écriture picturale, un faire en constant travail, qui, pour s’exprimer dans sa véhémence, sa violence, nécessite, à côté, concomitamment, inséparables picturalement, les lents travaux de recouvrement, de glacis et de jus, de pâte travaillée jusqu’à l’éblouissement, les rapide accents des Mancha espagnoles, des orages et des moissons beauceronnes . Claire Stoullig indiquait en 1992, à quel point le regard de la critique avait, à la suite des « impasses et de l’occultation systématiques de l’art français de l’époque , pour des raisons tactiques », du critique américain Clément Greenberg, « occulté l’œuvre, à trop vouloir privilégier la spiritualité de l’artiste et l’assimiler tout d’un bloc à un peintre religieux »  et Louis Marin posait la question en ces termes : « comment le « religieux » peut-il être « pictural », voire « picturable » ? Comment peut-il faire peinture ? » .
Les travaux récents des historiens de l’art dans le domaine des relations complexes entre l’Abstraction et l’Église catholique en France permettront d’envisager l’oeuvre d’A. Manessier sous des aspects nouveaux.

3. Le naturel et le spirituel
« Le seul paysage qui a eu sur moi une influence primordiale et que je retrouve partout – Espagne, Hollande, Provence, Canada, Algérie- est celui de la baie de Somme. /…/ Et c’est au moment de la mort de ma mère le 19 janvier 1977, qu’il y a eu cette remontée de tous ces souvenirs enfouis qui sont liés aux marais, particulièrement d’Abbeville, Thuison, La Bouvaque, jusqu’à Saint-Riquier et puis au-delà en remontant vers Amiens » .
Alfred Manessier, avec Robert Mallet et bien d’autres, a été extrêmement sensible à la baie de Somme, ses lumières, ses formes changeantes, ses sables, ses couleurs et son activité humaine. Il a -ses carnets personnels écrits et dessinés le prouvent- fustigé sa lente dégradation, ses aménagements « délirants », sa beauté enfuie , les archives familiales en rendent compte.
Entre baie, marais, hortillons et rus, la poésie de l’étendue, la mouvance de ses éléments, l’architecture des rives et de l’eau, son absence mais ses traces, comme la présence en peinture de l’activité portuaire ou agricole et l’absence de toute figure humaine, le travail pictural entre scintillements de la lumière, diaprures et matité – ces changements climatiques si rapides en baie de Somme,  la reconstruction mentale et picturale du paysage et des territoires à partir de la vision et de l’émotion ressentie seront travaillés à l’aune des historiens, géographes et poètes.

 

Comité scientifique pour le colloque : Le Laboratoire CRA de l’UPJV avec Hervé Joubert-Laurencin et Marie-Domitille Porcheron, Jacques Darras, Jean-Marie Lhôte, Pierre Encrevé – Monique Crampon- Jean-Paul Grumetz et Philippe Nivet.

Contact : mdporcheron@orange.fr et marie-domitille.porcheron@u-picardie.fr

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