Appel à communication : Amus(é)ement : du musée pop à l’artialisation populaire (Le Mans, 28 mars 2024)

Deuxième volet du projet (Im)matéréalités

Amus(é)ement : du musée pop à l’artialisation populaire

Journée d’étude, Le Mans Université
Jeudi 28 mars 2024

Dans son investigation du monde de l’art contemporain, Catherine Millet pose la question suivante : « l’art est-il dans l’objet qui incarne l’idée ou dans l’idée elle-même ? » (Millet, 120) Lors de cette journée d’étude, ce n’est pas tant l’incarnation même de l’art dans et par l’objet identifié comme artistique qui sera étudiée, mais plutôt son intégration dans notre quotidien, et les fonctions aussi bien culturelles que sociales que cette dernière implique. Cette intégration, d’abord très codifiée et clairement spatialisée dans l’enceinte des musées, semble devenir de moins en moins rigide, et semble également induire une circulation moins verticale des œuvres et des valeurs qui y sont adossées.
La multiplication des galeries d’art spécialisées dans la photographie ou les lithographies, allant parfois même jusqu’à la franchisation comme avec les boutiques Yellow Korner, ou bien la création de musées d’arts décoratifs, d’artisanat, ou d’autres arts visuels comme la bande dessinée ou le cinéma (feu-le musée Art ludique quai d’Austerlitz à Paris, devant prochainement rouvrir ses portes Gare Saint-Lazare et qui s’est distingué par des expositions toujours très médiatisées sur Pixar, Ghibli, Marvel ou DC Comics), induit également une porosité nouvelle. L’accueil d’expositions temporaires d’icônes de la culture populaire dans des musées nationaux comme stratégie de modernisation de ces espaces, encore souvent perçus comme immuables et parfois élitistes, provoque également un dialogue autour des valeurs artistiques intrinsèques de ces objets pourtant très différents. Dans Artificial Hells : Participatory Art and the Politics of Spectatorship, Claire Bishop analyse ces stratégies visant à impliquer toujours davantage les visiteurs avec un art se voulant de plus en plus participatif. Selon Bishop, le visiteur doit devenir un spectateur actant et ainsi participer à la vie de l’œuvre pour que l’œuvre l’atteigne.
Comment penser un espace muséal comme le musée Grévin ou son équivalent britannique devenu une franchise internationale, Madame Tussauds, véritables musées tabloïds de la célébrité et de la façon dont les visiteurs vont interagir avec les œuvres ? Que dire également de la franchise américaine des musées Ripley’s Believe It or Not, eux-mêmes inspirés d’une chronique de presse à la longévité inégalée ? Il en va de même pour le célèbre musée du sexe d’Amsterdam, du musée Ragnarock de Roskilde, du country museum de Nashville, mais aussi, dans un tel prolongement, des multiples Hard Rock Cafe de par le monde et des nombreux instruments qui y sont exposés et protégés comme autant d’objets historiques. Un mouvement voisin se repère dans des musées qui exposent des objets du quotidien et de la culture populaire du passé, lesquels semblent dépourvus de valeur artistique particulière, mais possèdent néanmoins une grande valeur historique qui matérialise une époque dont le souvenir est la finalité. Pensons, dans une optique mémorielle, aux musées commémoratifs d’événements historiques comme le musée de la Seconde Guerre mondiale au mémorial de Caen ou, dans un registre plus léger, au Musée des arts modestes de Sète.
La nature de « l’objet-de-musée » tel qu’envisagé par Marie-Pierre Julien et Céline Rosselin dans La Culture Matérielle se diversifie en intégrant de plus en plus d’objets issus de la culture populaire. Mais ce faisant, « l’objet-de-musée » ne devient-il-pas renforcé dans le statut social qu’il occupe de par les cultures transnationales qu’il génère et réunit ? « L’objet », écrivent en effet les deux théoriciennes, « permet ainsi aux individus de se retrouver en tant que membres d’un groupe, d’une culture, de commémorer, de se réunir physiquement par la visite, idéalement par le principe de restitution du patrimoine » (Julien & Rosselin, 38). L’autre versant consiste néanmoins à envisager la thèse de Robert Janes qui pense que l’ouverture des musées à la culture populaire n’est que le reflet d’intérêts capitalistes dans une économie muséale dépendante de la fréquentation des établissements : « The dominant ideology of capitalism and the decline of public funding for museums have combined to produce a harmful offspring – a preoccupation with the marketplace and commerce, characterized by the primacy of economic interests in institutional decision-making. » (Janes, 57)
Cette question d’une forme de mercantilisme associée aux pratiques de muséalisation trouve aussi à s’incarner dans de nouvelles hétérotopies au statut incertain : ni tout à fait musées, ni tout à fait parcs d’attractions. Ces dernières proposent au spectateur une visite permettant moins de prendre la mesure des qualités artisanales nécessaires au développement des décors de ses fictions fétiches (lesdits décors n’étant jamais que des reproductions de ceux employés à l’écran) que de proposer une forme d’immersion au sein même de certaines des œuvres les plus cultes de la culture populaire contemporaine en tirant profit des mécanismes de la feintise ludique partagée (Schaeffer). De telles expositions se multiplient sous la forme d’installations provisoires qu’il s’agit d’arpenter, et dont la durée limitée de présence dans les plus grandes villes du monde participe de l’engouement qu’elles génèrent. Désormais appelées expériences plutôt qu’expositions, elles promettent par leur titre même de se plonger au sein de la fiction, de réaliser ce fantasme absolu de la culture fan contemporaine de faire partie du monde fictionnel. Pensons par exemple aux reproductions des décors de Friends ou de Stranger Things (Friends Experience, Stranger Things : the Experience). A travers une installation permanente, The Making of Harry Potter dans les studios Warner Bros. de Londres propose une expérience voisine : moins limitée à la seule réalisation de selfies, elle constitue aussi un hommage potentiel aux artisans du septième art qui ont œuvré sur les films de la saga tout autant qu’un lieu de pèlerinage pour les Potterheads du monde entier.
Ainsi, en s’intéressant aux qualités historiquement attribuées à l’art au prisme des institutions muséales, cette journée d’étude entend interroger les mécanismes à l’œuvre qui tendent d’une part, à populariser le musée et, d’autre part, à valoriser artistiquement la culture populaire. Si son entrée dans l’espace muséal procède à une artification de la culture pop (Shapiro, 2004), la démocratisation des savoirs et savoir-faire liés aux compétences artisanales entraîne, de son côté, une artialisation de la culture populaire, évolution naturelle s’il en est du paysage culturel contemporain. C’est par ce biais que l’artialisation populaire prend forme et que la culture participative telle qu’envisagée entre autres par Henry Jenkins, aboutit à la volonté de certain.e.s de faire par et pour eux-mêmes, devenant ainsi consommacteur.ice.s de leur culture.
De ce point de vue, la journée pourrait aussi aborder l’ensemble des pratiques de fans qui n’ont pas besoin d’institutions muséales officielles pour se développer, mais qui, au contraire, s’incarnent en musées domestiques qui sont autant de cabinets de curiosités. Conservateur de sa culture pop, le fan collectionne et constitue alors une sorte de musée individuel, un espace d’exposition intime dans lequel des visiteurs occasionnels sont invités. Les collections sont infinies, d’une variation d’objets à la fonction identique, collection que Baudrillard considère comme système marginal, aux collections thématisées à la façon des « man caves » américaines dans lesquelles des hommes adulescents entreposent des jeux d’arcade, des statues de super-héros numérotées, des lithographies limitées de pages de comics, ou encore des répliques d’accessoires de films. C’est dans ces espaces individuels de collections toutes personnelles que certains trésors dorment parfois puisque de valeur modeste à leurs sorties des lignes de productions, certains de ces objets valent aujourd’hui plusieurs milliers de dollars ou d’euros…
Les propositions de communication pourront interroger les axes suivants, sans que ces derniers ne soient tenus pour exhaustifs :
Extension des limites de l’art et du musée, porosité grandissante et formes de résistances entre les frontières du savant et du populaire.
Considérations mercantiles : le musée vend-il son âme en accueillant des expositions d’arts populaires ? L’artialisation dans la confection des objets populaires à grande circulation diminue-t-elle la valeur de l’objet muséal ?
Ethos du spectateur : Les nouvelles modalités d’artialisation du populaire sont-elles de nature à engendrer de nouveaux régimes spectatoriels ? Quelles sont les formes, mais aussi les limites de la dimension participative ?
Espaces muséaux et espaces de fans : quelle valeur donne-t-on à l’espace d’exposition et/ou de collection ? Sanctuaire de l’intime v. sanctuaire de l’histoire ?
Pratiques muséales et pratiques de fans : Qui est conservateur de quoi ? Quand le fan devient l’artisan de ses propres œuvres, qu’advient-il du musée ?
Le lieu qui expose v. l’exposition du lieu. Les monuments historiques comme espaces d’accueil d’expositions temporaires.

Les propositions de communications seront à envoyer aux deux adresses suivantes :
charles.joseph@univ-lemans.fr et victor-arthur.piegay@univ-lorraine.fr pour le 10 décembre 2023. Les notifications d’acceptation ou de refus seront envoyées autour du 20 décembre 2023.

Bibliographie :
-Bartolomé Herrera, Beatriz et Keidl, Philipp D., « How Star Wars Became Museological : Transmedia Storytelling in the Exhibition Space, » dans Star Wars and the History of Transmedia Storytelling, ed. Sean Guynes and Dan Hassler-Forest, Amsterdam : Amsterdam University Press, 2017, pp. 155-68.
-Bishop, Claire, Artificial Hells: Participatory Art and the Politics of Spectatorship, London: Verso, 2012.
-Booth, Paul, Playing Fans : Negotiating Fandom and Media in the Digital Age, Iowa City : University of Iowa Press, 2015.
-Crenn, Gaëlle, « « You can dance, you can jive… » : Inscription de l’auditeur et pratiques d’écoute dans l’exposition « Abbaworld », » Volume ! Vol.10 n°1, 2013, https://journals.openedition.org/volume/3796
-Dubé, Philippe, « La Promesse du Musée, » Médium, n°30, 2012, pp.106-23.
-Dudley, Sandra H., Museum Objects : Experiencing the Property of Things, New York ; Routledge, 2012.
-Hooper-Greenhill, Eilean, Museums and Education : Purpose, Pedagogy, Performance, New York : Routledge, 2007.
-Janes, Robert R., « Museums and the end of Materialism, » dans Janet Marstine, The Routledge Companion to Museum Ethics : Redefining Ethics for the Twenty-First-Century Museum, New York : Routledge, 2011, pp. 54-69.
-Jenkins, Henry, «  « What are you Collecting now ? » : Seth, Comics, and Meaning Management » dans Jonathan Gray, Cornell Sandvoss, and C. Lee Harrington, Fandom : Identities and Communities in a Mediated World, Second Edition, New York : New York University Press, 2017, pp : 244-60.
-Julien, Marie-Pierre et Rosselin, Céline, « Les Objets au Musée, » dans La Culture Matérielle, Paris : Editions de la Découverte, 2005, pp. 31-44.
-Knell, Simon J., Museums in the Material World, New York : Routledge, 2007.
-Lamerichs, Nicolle, Productive Fandom : Intermediality and Affective Reception in Fan Cultures, Amsterdam : Amsterdam University Press, 2018.
-Macdonald, Sharon, The Politics of Display : Museums, Science, Culture, New York : Routledge, 1998.
-Millet, Catherine, L’Art Contemporain: Histoire et géographie, Paris : Flammarion, 2006.
-Péquignot, Julien, « Le clip au musée : démocratisation de l’art ou légitimation d’une pratique populaire ?, » Marges n°15, 2012, https://journals.openedition.org/marges/325
-Schaeffer, Jean-Marie, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1999.
-Shapiro, Roberta, « Qu’est-ce que l’artification?, » dans XVIIème Congrès de l’Association internationale de sociologie de langue française : L’individu social, Tours, 2004, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00010486v2/file/Artific.pdf
-Spalding, Julian, « Art Galleries: Church or Funfair? Museums in a Democracy, » RSA Journal, Vol. 137, No. 5397, 1989, pp. 577-587.
-Van Saaze, Vivian, « From Object to Collective, from Artists to Actants: Ownership Reframed » dans Installation Art and the Museum : Presentation and Conservation of Changing Artworks, Amsterdam : Amsterdam University Press, 2013, pp : 143-80.
-Vangindertael, Zoé, « Le musée et la bande dessinée : enjeux d’une relation symbiotique, » Marges n° 19, 2019, https://journals.openedition.org/marges/2122
-Young, Clive, Homemade Hollywood : Fans Behind the Camera, New York : Continuum Books, 2008.

(Im)matéréalités
Université de Lorraine, Nancy
Le Mans Université

Cette série de rencontres – deux journées d’étude poursuivies par un colloque international – s’appuiera sur un partenariat entre le laboratoire LIS de l’université de Lorraine et le laboratoire 3L.AM de Le Mans université, dont la ligne directrice sera d’interroger la place et les valeurs de l’objet de consommation pop et son inscription dans les cultures matérielles de nos réalités quotidiennes.
« Les objets et les artefacts, en particulier les produits de consommation, qui nous sont utiles dans notre vie quotidienne et qui proviennent de la culture populaire de masse, sont souvent négligés et dévalués par les chercheurs » écrit Yuniya Kawamura dans son ouvrage consacré aux sneakers récemment traduit en français (Sneakers : Mode, genre et masculinité, du Bronx à la marchandisation, p. 15). Le domaine de l’habillement semble être, à cet égard, un premier champ d’investigation particulièrement fertile : que nous disent les phénomènes cycliques de mode aux temporalités de plus en plus indéfinies ? Comment les marques cherchent-elles à se singulariser toujours davantage, menant à un monde où cohabitent désormais des styles toujours plus éclectiques ? De quelle manière les grandes maisons de la mode autant que les enseignes bon marché de la fast-fashion modifient-elles simultanément leurs discours et leurs pratiques de production afin de retenir leurs consommateurs ? En quoi sacs bananes, casquettes ou t-shirts deviennent à leur tour des étendards pop, se revendiquant eux-mêmes d’une culture geek avec leurs symboles, citations ou inscriptions ?
Ainsi estampillé, l’objet pop s’inscrit dans le champ plus spécifique des produits dérivés et de leurs gammes parfois fantasques, interrogeant autant les aspirations mercantiles hégémoniques des producteurs que l’agentivité variable des consommateurs : qu’en-est-il du choix dans une société de pairs 2.0 où les réseaux sociaux deviennent le lieu de vitrines privées, et où les influenceurs sont légion ? Gilles Brougère (La Ronde des jeux et des jouets, p. 8) analyse l’abondance toujours accrue de ces produits dérivés comme une saturation du réel de leurs usagers (au premier rang desquels les enfants) par l’inscription quotidienne et domestique d’objets reprenant les licences et franchises fétiches de la pop culture destinée à la jeunesse – de Goldorak à Pat’ Patrouille en passant par Les Tortues Ninja ou Dragon Ball Z, autant de fictions et désormais aussi de marques déposées qui engendrèrent et engendrent encore des objets fonctionnels en tout genre : pots de moutarde et verres en devenir, linge de lit, pyjama, vêtements…. Il y aurait ainsi une déclinaison du fictionnel vers le fonctionnel que cette série de rencontres pourrait permettre de conceptualiser.
Postulant qu’il existe une sociologie des claquettes-chaussettes, du survêtement du PSG, du t-shirt Iron Maiden, de la trousse Avengers ou du pot de moutarde Petit Ours Brun, ces différentes journées chercheront toutefois à dépasser le strict fonctionnalisme par le truchement d’une réflexion interdisciplinaire chère aux études culturelles en mêlant notamment la réflexion sémiologique (que signifient les objets pop dans nos réalités ?) à la réflexion socio-anthropologique (de quelles (sous-)cultures ou plus spécifiquement, de quelles pratiques culturelles sont-ils le révélateur ou le signe distinctif ?). De ce point de vue, placer l’interrogation sous le prisme de la consommation – et non sous celui de la technique – revient à inclure notre réflexion dans ce que les Anglo-Saxons nomment material culture et, en France, dans le champ épistémologique emblématisé notamment par les œuvres désormais classiques de Jean Baudrillard (Le Système des objets puis La Société de consommation).
D’autres produits comme d’autres logiques de consommation seraient aussi à analyser, à l’image des pratiques diverses de collections dont la pop culture semble être un puissant catalyseur, et une marque comme Funko l’un des symboles de l’époque contemporaine. La collection c’est l’objet abstrait de sa fonction qui s’abolit dans la passion de la propriété privée, le lieu, comme l’énonce Baudrillard, « où la prose quotidienne des objets devient poésie, discours inconscient et triomphal » (Le Système des objets, p. 122). En ce sens, la collection manifeste deux dynamiques connexes autour de l’objet pop ainsi érigé : d’une part son artification (Shapiro, 2004) au travers de son entrée dans l’espace muséal, de l’autre la possible artialisation des pratiques culturelles dont il devient le vecteur.  Ces deux faces de la même pièce (de collection ?) interrogent ainsi la porosité des domaines du savant et du populaire, toujours sujette à débat, près de vingt ans après ce dont Dominique Pasquier rendait compte au travers de multiples jeux d’opposition sémantique qui « renvoient toutes à l’idée d’une hiérarchie culturelle : high/low – et sa variante highbrow/lowbrow – élite/masse, savant/populaire, légitime/non légitime, culture cultivée/culture populaire, etc » (« La Culture populaire à l’épreuve des débats sociologiques », Hermès, 2005/2, n°42, p. 61).
La trajectoire réflexive de ces événements de recherche entend ainsi interroger le matérialisme de nos réalités contemporaines et du modèle de crise permanente dans lequel elles s’inscrivent : matéréalités. Il s’agira également d’explorer comment ces dernières, devenues indissociables des multiples usages des outils numériques sur lesquels elles reposent, investissent l’immatériel des espaces digitaux et de leurs enjeux grandissants, influence majeure de ce qui pourtant demeure insaisissable : immatéréalités.

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