Appel à communication : Cinquante ans à voir le voir en compagnie de John Berger (Paris, 20-21 oct. 2022)

Un peintre, penseur et écrivain de notre temps : cinquante ans à voir le voir en compagnie de John Berger
Appel à communications 
Colloque international de la SEAC, les 20-21 Octobre 2022
Conférence plénière par Tom Overton

L’année 2022 marque le 50e anniversaire de deux événements décisifs dans la carrière de John Berger. C’est en 1972 en effet que l’écrivain se voit récompensé par le Booker Prize pour son roman G. La même année, sa réputation achève de s’installer avec la série Voir le voir (Ways of Seeing), dont le format télévisuel ouvre à la critique d’art et au matérialisme historique un accès au grand public jusque-là inédit, et longtemps inégalé. Le cinquantenaire offre à la Société d’Études Anglaises Contemporaines (SEAC) une excellente occasion de consacrer son colloque annuel à l’œuvre de cette figure tutélaire de la culture britannique des XXe et XXIe siècles. En effet, si la France, pays d’adoption de Berger, a mis en scène, traduit et publié ses écrits, elle ne leur a sans doute pas prêté jusqu’ici l’attention scientifique et universitaire qu’ils méritent.
Ce colloque travaillera donc à reconnaître pleinement la façon dont l’œuvre de Berger a marqué ses contemporains, tant dans le domaine de l’écriture de fiction ou de non-fiction, que dans celui de l’histoire de l’art. Cette entreprise n’est pas, pour autant, sans poser problème : alors même qu’il atteignait la notoriété qu’on lui sait, Berger formulait déjà des mises en garde contre une approche trop hagiographique des grands écrivains et artistes. Pointant notamment les écueils d’une histoire de l’art présentée comme une procession d’individus exceptionnels, il proposait au contraire de concevoir la culture comme un processus de création toujours collectif et participatif. Dans ce contexte, comment commémorer le travail de Berger sans tomber dans les travers qu’il dénonçait lui-même ? Cette tension sera au cœur de la réflexion déployée dans le colloque, qui a pour ambition de célébrer l’œuvre que Berger nous laisse en héritage, sans pour autant en ignorer toute la complexité.
L’idée même d’anniversaire soulève la question de l’influence, et l’un des objectifs du colloque sera bien d’envisager la trace durable que l’œuvre de Berger laisse tant dans le paysage des arts visuels que dans celui de la fiction contemporaine. Si la place centrale de sa réflexion sur l’art n’est plus à prouver, comme en témoigne l’organisation d’événements tels que le symposium tenu à Lausanne en 2018, « De B à X. Faire (l’histoire de) l’art depuis John Berger », il semble également pertinent de relever la façon dont son écriture marque la littérature contemporaine, particulièrement dans le monde anglophone. Dans A Jar of Wild Flowers, recueil publié à l’occasion de son 90eanniversaire, Ali Smith affirme que « tout ce qu[’elle] a écrit ou aspiré à écrire a toujours constitué, d’une façon ou d’une autre, un hommage au travail de John Berger ». Dans le même volume, Amarjit Chandan désigne Berger comme « l’écrivain par excellence de notre époque », ce qui laisse deviner à quel point sa figure domine toute tentative d’appréhender l’écriture et la culture contemporaines.
Pourtant, comme le note Tom Overton dans Landscapes, une réflexion fondée sur la notion d’influence contredirait la conception que Berger lui-même défend pour la figure de l’auteur : « Alors que la narration représente un acte collectif et collaboratif, l’idée d’‘influence’ semble plutôt associée à une logique capitaliste de dette et quittance de dette que Berger désavoue. » Si le présent colloque propose d’honorer son travail, il ne saurait le faire sans prendre à bras le corps les défis posés par sa pensée et sa pratique à tout pouvoir autoritairement imposé, à tout processus disciplinaire. Son travail se caractérise en effet par le soupçon qu’il exprime vis-à-vis des mécanismes de déférence et de canonisation.
Pour rendre justice à la célébration par Berger de l’œil et de l’esprit critiques de son lecteur, il faudrait notamment accéder à la demande qu’il formulait dans Voir le voir : « J’espère que vous réserverez aux agencements que je propose un regard attentif mais aussi sceptique ». Attentif à la distinction entre monographie et hagiographie, ce colloque fera aussi leur place aux critiques formulées quant à sa contribution à notre perception et notre imagination visuelles. Il tiendra compte de la façon dont Berger lui-même anticipa ces lectures et retours, affirmant dès 1959 : « Depuis le temps que je fais de la critique d’art, j’ai eu l’occasion d’être contredit et convaincu de mes erreurs » (Portraits), et associant cette sensibilité aux perspectives critiques de ses lecteurs à une pratique personnelle de « révision », de retour aux artistes et à leurs œuvres. Dans la conscience aiguë de Berger, pour lequel le critique ne peut se contenter de situer l’œuvre qu’il étudie, mais doit « se situer lui-même à son tour dans l’histoire » (‘Between Two Colmars’), nous reconnaîtrons aussi une disposition à être lu, appréhendé avec distance et situé par d’autres, comme ce fut le cas par exemple dans A History of Art History lorsque Christopher Wood classa Berger en compagnie de Gombrich parmi les historiens de l’art « déchus ».
Le double mouvement qui consiste pour l’écrivain à inviter le regard critique de l’autre et à reconnaître son caractère situé désigne, au-delà d’une simple précaution contre le solipsisme, une appréhension du caractère fondamentalement participatif de l’écriture. L’un des défis posés par ce colloque sera de rendre justice à la résistance que Berger lui-même oppose à l’« illusion individualiste », qui nous incite à présenter l’histoire de l’art comme une « course de relais entre génies » (Portraits) dans un contexte où la monographie demeure « l’une des formes discursives les plus courantes en histoire de l’art » (Pollock). Notre ambition sera de combiner l’attention à la singularité propre à la recherche monographique et le souci constant que Berger montre pour les processus par lesquels toute vie s’inscrit dans des processus historiques. En cela nous remplirons l’une des conditions nécessaires à l’élaboration de tout portrait contemporain, car « dans un monde de transition et de révolutions, l’individualité est devenue une question de relations historiques et sociales. […] Tous les modes d’individualité s’articulent désormais au monde entier » (‘No more portraits,’ Landscapes). La considération à montrer au lecteur sensible et pensant est sous-tendue, donc, par l’attention qu’il faut prêter plus largement au collectif – celle-là même qui conduisit Berger à partager son prix de 1972 entre son « projet sur les travailleurs migrants d’Europe » et l’activisme des Black Panthers, contrevenant ainsi à la logique d’exploitation sur laquelle la fortune de Booker McConnell s’était édifiée.
En ayant toujours présent à l’esprit le cadre matériel qui rendait son travail possible, enfin, Berger allait chercher son public au-delà des réseaux universitaires, au-delà des communautés activistes toujours présentes à son esprit et dans ses écrits, parmi la foule des téléspectateurs et des lecteurs de livres de poche. Inspiré par la logique qui lui faisait choisir des illustrations bon marché en noir et blanc, loin des reproductions soignées de catalogues d’exposition, le colloque s’emploiera à déceler les traces du travail de Berger dans nos manières de voir, surtout lorsque ces dernières mettent en jeu des rencontres inattendues mais bienvenues – de ces coïncidences et sérendipités qui échappent aux limites imposées par les structures universitaires. De même que l’auteur s’adressait dans Ways of Seeing à un public de non spécialistes, de même ce colloque ambitionne de donner la parole au « commun des lecteurs » aussi bien qu’aux spécialistes de Berger.

Liste non exhaustive de sujets possibles :
– art et politique, critique et activisme
– l’individu et/dans l’histoire
– reproductions et droits de reproduction
– époque et histoire contemporaines
– Berger, les frontières et leur passage
– Berger et le commun
– la monographie
– Berger et les historiens de l’art
– Berger et le monde universitaire
– Berger, la discipline, les disciplines
– mot et image
– liens intertextuels : Berger et/dans la fiction contemporaine
– quand les lecteurs de Berger deviennent auteurs : écrire après et avec Berger
– le récit et l’idée, les concepts et/dans le récit
– le récit et le regard, le récit comme regard
– l’écriture comme art épistolaire
Le colloque sera organisé conjointement par Sarah Gould (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, HiCSA – Histoire Culturelle et Sociale de l’Art) et Diane Leblond (Université de Lorraine, IDEA – Interdisciplinarité dans les Etudes Anglophones). Il se tiendra à l’UFR Arts, Lettres et Langues de l’Université de Lorraine, sur le campus de Metz, les 20 et 21 octobre 2022.
Nous sollicitons les contributions d’universitaires, artistes, écrivains, traducteurs, éditeurs, ou de quiconque pourrait témoigner de l’influence durable du travail de Berger et de ses manières de voir. Les propositions de 300 mots, accompagnées d’une courte note biographique, sont à envoyer à Sarah Gould (sarah.gould@univ-paris1.fr) et Diane Leblond (diane.leblond@univ-lorraine.fr) pour le 31 mai 2022.
La sélection des propositions sera faite pour le 30 juin 2022.
Une sélection d’articles sera publiée par la revue à comité de lecture de la SEAC, Études britanniques contemporaines https://journals.openedition.org/ebc/ .

Références.
Berger, John, Ways of Seeing. 1972, Penguin Books, 2008.
—‘Speech on accepting the Booker Prize for Fiction at the Café Royal in London,’ Nov. 23rd 1972, in Steps Towards a Small Theory of the Visible, Penguin Books, 2020.
—‘Between Two Colmars,’ in About Looking. 1980, Bloomsbury, 2009.
—, ed. Geoff Dyer. Selected Essays of John Berger. Bloomsbury Publishing, 2014.
—, ed. Tom Overton. Portraits: John Berger on Artists. Verso Books, 2015.
—, ed. Tom Overton. Landscapes: John Berger on Art. Verso Books, 2018.
Chandan, Amarjit, Sally Potter, and Jean Mohr, eds. A Jar of Wild Flowers: essays in celebration of John Berger. Bloomsbury Publishing, 2016.
Guins, Raiford, Juliette Kristensen, and Susan Pui San Lok, eds. ‘Ways of seeing: 40th anniversary issue.’ Journal of Visual Culture 11, no. 2 (2012).
Pollock, Griselda, ‘Artists, Mythologies and Media — Genius, Madness and Art History’, Screen 21, iss. 3 (Autumn 1980).
Wood, Christopher, A History of Art History. Princeton University Press, 2019.

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