Appel à communication : « Façons d’endormis. La représentation du sommeil dans l’art moderne »

Dormir. Cette expérience naturelle échappe à la pensée consciente ; évoquée à l’état de veille, elle ne peut être perçue qu’à travers le récit ou la représentation. Nimbé de mystère, le sommeil, hypnos grec ou somnium latin, a retenu dès l’Antiquité l’attention des médecins, des philosophes et des artistes. Figure mythologique retirée dans une demeure obscure privée de portes grinçantes, cernée de fleurs de pavot et située à côté de Léthé, le fleuve de l’oubli, Hypnos incarne le sommeil. Ovide le décrit ainsi dans Les Métamorphoses, l’art façonne le corps des endormis, hommes ou dieux qu’Hypnos a plongés dans le sommeil.

Si le Sommeil dort et endort dans les mythes et les poésies, représenté à la Renaissance, il détient le pouvoir de révéler une pensée religieuse, sociale, philosophique et son évolution. Les dessins, les œuvres peintes et sculptées, interprètes du sommeil, tissent ainsi une histoire de l’art et de la pensée. La conception du sommeil et de son corollaire le rêve, transmise par une littérature à la fois vernaculaire et érudite, permet de mener une réflexion sur leurs représentations artistiques. A la Renaissance, elles  oscillent entre codification et liberté créatrice. Dans la pensée néoplatonicienne, la perception du sommeil est positive. Loin de voir dans cet état d’abandon un renoncement à l’activité intellectuelle ou un signe de paresse, l’acedia médiévale, Marsile Ficin, dans la deuxième moitié du XVe siècle, l’interprète comme un des types de vacatio. L’âme, lorsque l’homme expérimente un de ces états de vacatio, se trouve libérée du corps et des injonctions de la raison, autonome, elle devient capable de communiquer avec la divinité [1].  Le concept de vacatio néoplatonicien conserve la trace de la révélation prophétique offerte aux chrétiens durant leur sommeil, mais il permet aussi, grâce à la référence à la pensée antique, l’élaboration d’un modèle intellectuel. Selon Ficin, durant le sommeil, dans un état d’extase, l’âme du philosophe ou celle du prophète se sépare du corps et peut alors recevoir les connaissances. Platon, dans le Timée (71 E, 187), précise que l’inspiration véritable, surgirait dans les moments de possession du sujet caractérisés par la perte de raison. Dans cette expérience de la transcendance, le sommeil devient le signe de l’inspiration divine. Les œuvres d’art dévoilent-elles le sommeil comme une métaphore de l’inspiration et de la création ? L’expression artistique des différentes façons de dormir pourrait permettre alors de revisiter les grandes questions théoriques qui traversent les XVe et XVIe siècles, notamment celles de la nature de l’inspiration et de la définition de l’imagination dans son rapport à la mimesis. L’artiste divinement inspiré le serait-il durant son sommeil ?

La représentation de personnages endormis est commune à l’iconographie profane et sacrée. Le sommeil dans lequel tombe Adam afin que s’accomplisse la création d’Eve, inaugure celui d’une série de dormeurs et dormeuses bibliques. Muses, nymphes, jeunes femmes et jeunes hommes dormant reçoivent à leur tour la faveur des peintres du XVIe siècle notamment dans l’art vénitien d’un Giorgione ou d’un Titien. Ces corps endormis se dévoilent sous le pouvoir d’Hypnos, d’Eros ou encore de Thanatos. Certains, dénudés, ont quitté la chambre protectrice pour s’offrir aux regards dans une nature arcadienne.

Les vertus plastiques, poétiques et doctrinales du sommeil retiennent également  l’attention des écrivains et des artistes à l’âge classique et à l’époque des lumières. Quelle discours la médecine développe-t-elle sur cet état à la fois naturel et mystérieux ?  Comment interpréter le sommeil qui, au fil du temps, enveloppe les figures de l’art ? Hypnos est-il toujours peint ou sculpté ? Quels sont les dormeurs qui retiennent l’intérêt des artistes ? La pensée de l’art a-t-elle encore recours aux façons du sommeil pour exprimer l’activité créatrice ?

[1] Marsile Ficin, Théologie platonicienne de l’immortalité des âmes, ed. et trad. De Raymond Marcel, Paris, Les Belles Lettres, 1964-1970 (3 vol.), 2, 214 : « Septem sunt vacanti genera : somno, syncope, humore, melancholico, temperata complexione, solitudine, admiratione, castitate vacamus ».

 

Journée d’étude organisée par Centre de Recherches en Arts : Images et formes  de l’U.F.R. des Arts, Université de Picardie – Jules Verne et le Musée de Picardie, le 10 mai 2012. Journée amiénoise dirigée par Véronique Dalmasso

Les propositions de contribution, une page rédigée, sont à envoyer à Véronique Dalmasso, organisatrice et responsable scientifique du colloque (dalmasso.véronique@wanadoo.fr), avant le 15 janvier 2012. Elles seront également soumises à Sabine Cazenave, conservateur du patrimoine et directrice des Musées d’Amiens.

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