Au cours des dernières années, les guides et les récits de voyage sont devenus, malgré eux, une importante source d’informations pour nombre de domaines ou de disciplines. Souvent considérée comme un instrument déterminant pour comprendre les nombreuses transformations politiques et sociales qui ont marqué les pays visités, le « discours du voyageur » (Wolfzettel, 1996) constitue aujourd’hui un passage obligé pour la découverte de l’identité culturelle et artistique du territoire.
Pour ce qui est de l’actuelle Belgique et de son histoire, les témoignages des voyageurs ont permis de reconstruire à la fois le profil politique et social du pays (S. Dubois, L’Invention de la Belgique. Genèse d’un état-nation – 1648-1830, 2005) et l’image de son patrimoine artistique, fragmenté par les dominations étrangères successives et par les enjeux politiques propres à chaque époque (C. Loir, La sécularisation des œuvres d’art dans le Brabant 1773-1842, 1998).
L’approche du patrimoine artistique des Pays-Bas méridionaux par les voyageurs n’a pourtant pas encore fait l’objet d’une étude approfondie. Afin d’apporter un nouvel éclairage sur le sujet, cette journée d’étude se propose d’explorer, à travers une approche comparatiste, les rapports entretenus par les voyageurs (curieux, amateurs d’art, connaisseurs, etc.) avec la production artistique des Pays-Bas méridionaux. Pour mieux comprendre les enjeux sociaux et culturels qui se dissimulent derrière les descriptions des voyageurs, on s’interrogera sur trois aspects qui semblent avoir marqué en profondeur les récits viatiques entre les XVIIe et le XIXe siècles : 1) la géographie de l’art relevée par les voyageurs ; 2) l’apport du patrimoine national à la diffusion et au développement de théories sur l’art ; 3) l’apport des sources et des guides locaux à la compréhension du patrimoine.
1) Au cours des dernières décennies, les travaux de nombreux chercheurs dans le champ de la géographie de l’art ont permis de comprendre le lien entre le « territoire » et la « production artistique » (J.-R. Mantion, 1983 ; E. Castelnuovo – C. Ginzburg, 1981). Dans le cas de l’actuelle Belgique, la question apparait particulièrement complexe. A partir du XVIIe siècle, la littérature d’art n’hésite pas à placer la production flamande dans un contexte géographique assez vague, où le génie des artistes locaux a souvent été associé à celui des artistes allemands et hollandais (C. Van Mander, 1604 ; J. Von Sandrart, 1675-1679 ; R. de Piles, 1699), approche qui perdurera au cours des siècles suivants. L’idée d’une homogénéité géographique et territoriale des Pays-Bas contribua à enfermer la production artistique de ces régions dans des schémas théoriques et terminologiques éprouvés : si son architecture fut souvent classée sous l’étiquette « goût gothique » propres au style du Nord (G. Semper, Der Stil, 1860), pour ce qui est des arts figuratifs, l’expression « Art de Pays-Bas » fut longtemps employée pour désigner les écoles de peinture hollandaise et flamande (H. Taine, La Philosophie dans l’art, 1869).
Comment la géographie de l’art évolue-t-elle dans les journaux de voyage entre l’âge moderne et les dernières années du XIXe siècle ? Quelle est l’identité artistique du territoire perçue par les voyageurs ? Quels sont les éléments artistiques et stylistiques relevés par ces derniers lors du séjour dans les Pays-Bas méridionaux ?
2) A partir du XVIIe siècle, la théorie et la critique d’art européennes changent sensiblement, favorisant néanmoins l’émergence de nouveaux modèles critiques et interprétatifs. De la fondation des premières institutions académiques, à la parution d’une critique d’art plus structurée (XVIIIe siècle) jusqu’à la naissance d’une discipline scientifique, autonome et indépendante telle que la Kunstwissenschaft (XIXe siècle), les dissertations des savants ont souvent imprégné le goût et la perception des particuliers. Dans ce contexte, si l’expérience viatique devient ainsi un moyen pour l’élaboration de théories artistiques nouvelles (Comte de Caylus, 1718; J. Ruskin, 1833 ; C. F. von Ruhmor, 1827), parfois, les récits et les guides de voyage constituent aussi un véritable instrument pédagogique pour la diffusion du goût et des connaissances artistiques de l’époque, oscillant ainsi entre le genre hodéporique et la critique d’art (N. Cochin, 1758; H. De Valenciennes, 1799; A. Springer, 1855).
Quels sont donc les instruments critiques convoqués par les voyageurs pour la compréhension du patrimoine artistique local ? Quel est l’impact de ces transformations sur l’évolution des genres discursifs et littéraires ?
3) Entre les XVIIIe et XVIIIe siècles, on assiste à la parution de nombreux guides locaux visant à fournir la vision la plus complète possible du territoire et de son patrimoine. Dans les principales villes d’Europe alla ainsi prendre forme une première valorisation territoriale, où le patrimoine fit l’objet d’une analyse très soigneuse de la part des érudits et des artistes locaux. En ce qui concerne les Pays-Bas méridionaux, on retrouve entre autres, le Voyage Pittoresque de J.-B. Descamps (1769), Le peintre curieux et amateur de P. G. Mensaert (1763) et, au XIXe siècle, les rééditions du Guide pittoresque pour le voyageur en Belgique d’Alexandre Ferrier.
Dans quelle mesure les guides locaux ont-ils conditionné le séjour et les itinéraires des visiteurs étrangers ? Comment cette littérature locale a-t-elle modifié l’approche de ces derniers vis-à-vis des œuvres d’art conservées dans les églises et les collections privées ?
En abordant les divers domaines artistiques tels que la peinture, la sculpture et l’architecture, on s’interrogera sur l’évolution théorique et terminologique perceptible dans les journaux de voyage, qui pourrait avoir influencé non seulement la perception du patrimoine local et, par conséquent, l’identité artistique du pays, mais aussi la description des œuvres d’art elles-mêmes dans une perspective plus poétique, afin de mieux cerner les enjeux discursifs propres à ce genre décidément complexe et susceptible d’offrir plusieurs éléments de réflexion.
La journée d’étude se déroulera à l’Université libre de Bruxelles le 15 mai 2015. Les propositions d’intervention sont à envoyer pour le 20 mars 2015. Une publication est envisagée.
Contact : Laurence Brogniez (lbrognie@ulb.ac.be), Gabriele Lo Nostro (gabrielelonostro@yahoo.it)
Université libre de Bruxelles
50 av. F. Roosevelt, 1050 Bruxelles
Belgique
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