L’exposition à l’ouvrage. Histoire, formes et enjeux du catalogue d’exposition
Si les historiennes et historiens de l’art se sont depuis longtemps emparés du catalogue d’exposition comme outil ou comme source, il n’existe que peu de travaux qui en font un objet d’étude en soi. Certes, des approches ponctuelles ont pu être envisagées, généralement centrées sur la manière dont des artistes ont pu se saisir de cet objet et le réinventer – les surréalistes par exemple[1], ou les artistes conceptuels autour de Seth Siegelaub notamment[2]. En France, malgré une tribune de Pierre Rosenberg qui, dès 1988, invitait à une prise en compte du catalogue d’exposition[3], seul un numéro spécial des Cahiers du Musée national d’art moderne datant de 1996 semble avoir considéré cet objet dans toute sa diversité et sa complexité[4].
Le champ de l’histoire des expositions, qui s’est développé depuis plus d’une trentaine d’années d’abord en Allemagne et aux États-Unis, puis depuis une quinzaine d’années en France, offre un contexte dynamique pour investir cet objet d’étude de manière plus systématique. Compris comme l’ouvrage qui accompagne une exposition temporaire, le catalogue d’exposition se trouve néanmoins à la croisée de plusieurs champs de recherche. Ainsi l’étude du catalogue d’exposition mérite-t-elle de ne pas être restreinte à la seule histoire des expositions : elle suppose au contraire d’ouvrir largement la focale : à l’historiographie de l’art, à l’histoire des musées et des galeries d’art (et de tout autre espace susceptible d’organiser et/ou d’accueillir une manifestation artistique temporaire), mais aussi à l’histoire du livre, de l’édition, du design graphique, ainsi qu’à l’étude du public-lectorat auquel le catalogue d’exposition est destiné. En outre, s’il semble pertinent scientifiquement d’envisager cet objet éditorial depuis son émergence au xixe siècle jusqu’à aujourd’hui, il convient de ne pas restreindre son étude aux catalogues portant uniquement sur l’art contemporain, mais de l’enrichir d’analyses propres à l’art et à l’histoire de l’art des périodes antérieures sur une aire géographique large. De même méritent d’être envisagés les catalogues d’expositions artistiques ne portant pas nécessairement sur les arts visuels, mais relevant également des arts du spectacle, de la littérature ou de la musique.
Organisé par l’HiCSA (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), CRISES (université Montpellier 3) et le Centre Pompidou, l’événement aura lieu les 12 et 13 mai 2023 à l’Institut national de l’histoire de l’art (INHA) et au Centre Pompidou à Paris. Ces deux journées d’étude ont pour ambition de réunir des chercheuses et chercheurs de différentes disciplines, ainsi que des professionnelles et professionnels du monde de l’art (artistes, commissaires, conservatrices et conservateurs, critiques, éditrices et éditeurs, graphistes, etc.) afin de tracer une première esquisse des contours variés du catalogue d’exposition et de prendre la mesure des problématiques et des enjeux qui y sont attachés. Quatre axes pourront être envisagés, sans être restrictifs :
– Le catalogue d’exposition en tant qu’objet
Le catalogue est-il un genre éditorial spécifique, vis-à-vis notamment des catalogues de collection, des monographies et des livres d’artistes ? En quoi s’en distingue-t-il et qu’a-t-il de commun avec ces autres formes éditoriales ? Quelles seraient alors ses particularités matérielles, visuelles, éditoriales ? Quelles mutations a-t-il subies dans son organisation interne et dans sa matérialité d’objet ? Quels sont les rôles des personnes qui le conçoivent ? À quelles exigences répondent-elles ? Dans quelle mesure les catalogues d’exposition apparaissent-ils alors comme témoins des transformations éditoriales, à l’articulation des sciences humaines et sociales et des productions culturelles, éditoriales et médiatiques ?
– Le catalogue d’exposition et l’histoire de l’art
Dans quelle mesure et comment le catalogue d’exposition se fait-il le reflet d’un certain état de l’histoire de l’art ? Dans un article ancien, Louis Marin avait bien saisi l’ambivalence des récits portés par un objet fondamentalement mixte en le qualifiant tout à la fois de « moment », de « monument » et de « document[5] ». Comment le catalogue fait-il, ou non, autorité et quel statut peut-on donner à ses auteurs et autrices ? Comment participe-t-il aux exercices d’écriture et de réécriture historique ? Quel rôle joue-t-il dans la reconnaissance et l’institutionnalisation de certaines et certains artistes et mouvements ? Et, incidemment, quel est son poids dans les négociations économiques, stratégiques de cette institutionnalisation ? Le fait-il à la manière classique d’un récit ou propose-t-il des approches alternatives ? Quelle distinction peut-on alors faire entre catalogues de galeries et catalogues de musées ? Le catalogue d’exposition peut-il enfin jouer un rôle particulier dans les transferts culturels et l’histoire transnationale à l’heure d’une histoire globale de l’art de plus en plus dématérialisée?
– Le catalogue d’exposition et son rapport à l’exposition
Comment le catalogue s’articule-t-il avec l’exposition qu’il accompagne, et d’ailleurs, l’accompagne-t-il nécessairement ? Quels liens le catalogue entretient-il avec les œuvres accrochées et avec la scénographie ? Dans quelle mesure la liste des œuvres exposées et les notices sont-elles indispensables au format catalogue ? Comment le catalogue s’articule-t-il avec les textes de salle ? Comment, enfin, appréhender la temporalité du catalogue souvent considéré comme un prolongement de l’exposition, un souvenir permettant de la pérenniser, alors qu’il doit être le plus souvent élaboré et publié avant même le vernissage ?
– Le catalogue d’exposition et son public-lectorat
À qui s’adresse le catalogue ? Ouvrage mais également trace d’une expérience sensible, vise-t-il plutôt les personnes qui visitent l’exposition, ou se destine-t-il plutôt à celles et ceux qui n’ont pas pu la voir ? S’adresse-t-il plutôt à des spécialistes ou à un plus large public ? Et dans quelle mesure ce lectorat supposé influe-t-il sur sa forme ? Quelle place le catalogue occupe-t-il face à la multiplication de publications autour d’une exposition – petit journal, album, numéros spéciaux de périodiques ? Peut-on envisager des catalogues destinés à certains publics en particulier, les enfants par exemple ?
Ces deux journées seront rythmées tout à la fois par des communications et des tables rondes, les propositions pourront donc opter pour l’un ou l’autre format. Les langues de communication seront le français et l’anglais.
Les propositions, de 3 000 signes maximum, sont à envoyer avant le 7 janvier 2023 aux trois adresses suivantes : mica.gherghescu@centrepompidou.fr, helene.trespeuch@revue-exposition.com et victor.claass@inha.fr.
Organisation :
– Marie Gispert, maîtresse de conférences HDR en histoire de l’art, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
– Mica Gherghescu, responsable du pôle recherche et programmation scientifique, Bibliothèque Kandinsky, musée national d’Art moderne, Centre Pompidou, Paris
– Nicolas Liucci-Goutnikov, conservateur, chef de service de la Bibliothèque Kandinsky, musée national d’Art moderne, Centre Pompidou, Paris
– Hélène Trespeuch, maîtresse de conférences en histoire de l’art, université Paul-Valéry Montpellier 3, fondatrice et codirectrice de la revue numérique exPosition (http://www.revue-exposition.com/).
Comité scientifique :
– Victor Claass, coordinateur scientifique, Institut national d’histoire de l’art, Paris
– Catherine de Smet, professeure d’histoire de l’art, université Paris 8
– Joëlle Le Marec, professeure en sciences de l’information et de la communication, Sorbonne Université
– David Martens, professeur de littérature française, université de Louvain (KU Leuven), fondateur et coordinateur du site www.litteraturesmodesdemploi.org et du réseau RIMELL (Recherches interdisciplinaires sur la muséalisation et l’exposition de la littérature et du livre)
[1] Voir Colette Leinman, Les catalogues d’expositions surréalistes à Paris. 1924-1939, Amsterdam, New York, Brill/Rodopi, 2015.
[2] Voir par exemple la thèse de Jérôme Dupeyrat, Les livres d’artistes entre pratiques alternatives à l’exposition et pratiques d’exposition alternatives, Rennes, Université de Rennes 2, sous la direction de Leszek Brogowski, ainsi que la thèse de Sara Martinetti « I never write, I just do » : pratiques de l’écrit et enjeux théoriques du travail de Seth Siegelaub dans l’art conceptuel, le militantisme et l’érudition, Paris, EHESS, 2020, sous la direction de Béatrice Fraenkel.
[3] Pierre Rosenberg, « Un genre nouveau : le catalogue d’exposition », Histoire de l’art, no 1-2, 1988, p. 101-102. URL : www.persee.fr/doc/hista_0992-2059_1988_num_1_1_1637. Voir, en écho, l’éditorial de Guillaume Faroult, « Les invisibles de la bibliographie », Revue de l’art, n° 205, 2019-3, p. 5-9.
[4] Les Cahiers du Musée national d’art moderne, no 56/57 : Du catalogue, été-automne 1996.
[5] Louis Marin, « La célébration des œuvres d’art. Notes de travail sur un catalogue d’exposition », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, vol. 1, n° 5-6, 1975, p. 50-64.
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