Appel à communication : « Matérialité de l’art à l’âge patrimonial (XVIIIe-XXe siècle) »

Matérialité de l’art à l’âge patrimonial  (XVIIIe-XXe siècle)

Journée d’études, Ecole normale supérieure, 20 juin 2014

Sous la direction de Charlotte Guichard (CNRS-IHMC) et Michela Passini (CNRS-IHMC)

« L’histoire de la peinture est faite aussi de ces découpages de tableaux à fin de jouissance plus efficace et concentrée ». Dans une digression sur la « découpe jouissive », Daniel Arasse montrait que l’histoire du regard et l’avènement du détail en peinture avaient aussi une dimension concrète, qui affectait directement la matérialité des œuvres.

423px-DarmstadtmadonnaDepuis Daniel Arasse, et sous l’influence de l’anthropologie de l’objet, de l’histoire du patrimoine et des études sur la culture matérielle, les travaux sur la matérialité des œuvres d’art se sont multipliés. Ce « material turn » de l’histoire de l’art renouvelle considérablement notre approche de l’art, en particulier dans ses expressions traditionnellement les plus élevées : fresques, tableaux, peintures. Il révèle que la valeur auratique des œuvres en régime patrimonial a une histoire : on n’hésitait pas au xviiie siècle à transformer un tableau en dessus-de-porte (et réciproquement), à blanchir une statue antique polychrome. De la patrimonialisation au vandalisme, la vie sociale des œuvres engage leur devenir propre : restauration, nettoyage, destruction, graffitis, découpage, (re)montage, rentoilage. Ces gestes, porteurs de valeurs parfois antagonistes, mettent au jour une « écologie » des œuvres qui invite à historiciser notre propre rapport aux objets, à l’art et au passé. Ils témoignent de la pluralité des modes d’existence de l’œuvre et ils montrent combien l’approche matérielle de l’art est indissociable d’une démarche interprétative sur les œuvres et les valeurs artistiques.

L’écriture même de l’histoire de l’art est en effet subtilement mais indéniablement déterminée par un ensemble de gestes et de pratiques qui, en affectant l’œuvre dans sa matérialité, infléchissent en retour le regard historien. Mettre l’un à côté de l’autre, au sein d’une exposition, des tableaux normalement dispersés rend possibles des comparaisons fines, qui conduisent parfois à des révisions des corpus et des catalogues des artistes. En 1871, la réunion à Dresde des deux Vierges à l’enfant avec la famille du Bourgmestre Meyer attribuées à Hans Holbein le jeune (l’une conservée à Dresde, l’autre à Darmstadt) permit à un groupe d’experts d’établir laquelle était l’original de Holbein le jeune, laquelle une réplique postérieure. Il devient dès lors essentiel de tester les possibilités heuristiques d’une histoire matérielle de l’histoire de l’art : comment décrit-on un objet que l’on a restauré, voire démonté et remonté, ou déplacé pour l’exposer à côté d’autres au sein d’une série chronologique ou thématique ? Quel est l’impact de ces opérations sur le regard et sur sa transposition historienne ? Quelles possibilités cette manipulation directe des objets a-t-elle ouvertes aux historiens de l’art, et quelle place a-t-elle prise dans les procédures normées et dans les pratiques légitimes de la discipline au fil des siècles ?

La journée d’études souhaite aborder les cas où le devenir matériel des œuvres engage directement leur interprétation, passée ou présente, et l’écriture de l’histoire de l’art. Comment le « material turn » modifie-t-il le cadre théorique dans lequel interroger l’œuvre et l’art ? On privilégiera des approches générales et des études de cas  ayant une dimension méthodologique ou théorique.

Les thèmes  suivants ne sont pas exclusifs :

–       Matérialité et circulation des œuvres (guerres, collecte et réquisitions, prêts aux expositions, dispersion de collections).

–       Les rapports entre matérialité et valeur esthétique dans les discours et les pratiques artistiques

–       Histoire matérielle de l’histoire de l’art : la manipulation des œuvres et ses impacts sur l’écriture

 

Les propositions, en anglais ou en français, de 2000 signes au maximum et accompagnées d’un court CV, doivent être adressées à Charlotte Guichard (charlotte.guichard@wanadoo.fr) et Michela Passini (michela.passini@gmail.com) avant le 31 janvier 2014.

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