Cette journée d’étude se propose de réunir les contributions de jeunes chercheurs sur les manifestations de l’exil et de la mélancolie dans la littérature et dans les arts d’Orient et d’Occident. Elle a pour ambition d’interroger les modalités de la transfiguration artistique et littéraire de la perte, réelle ou symbolique, et de mettre en lumière la variété de ses écritures.
L’exil, écrit Edward Said, constitue l’un des grands motifs de la modernité, cet « âge de l’anxiété et de l’aliénation ». Le XXe siècle, caractérisé par une « situation de conflit moderne, par une tendance impérialiste et les ambitions quasi théologiques de dirigeants totalitaires, est l’époque des réfugiés, des déplacements de population, de l’immigration massive », qui l’inscrivent dans une relation complexe et douloureuse à l’espace perdu. Drame inséparable de violences politiques et de crises économiques, l’exil s’articule autour de la perte, la rupture, la séparation et la souffrance et révèle ainsi une affinité avec les paysages mentaux de la mélancolie. Plus généralement, on peut se demander si ce n’est pas l’homme moderne qui, en raison de la perte de coordonnées ontologiques stables, ne se trouve pas exposé au risque (parfois conjoint) de la mélancolie et de l’exil, des multiples formes d’exil…(récemment Lázló Földényi) ?
La mélancolie comme symptôme de l’exil physique et incarnation d’un exil aussi bien artistique que philosophique situe en effet la perte au cœur de sa problématique : condamné au deuil impossible d’une séparation originelle, le mélancolique rejoue incessamment le drame de la séparation et du retour illusoire, par l’anamnèse et par la métaphore. La création joue là un rôle fondamental : si elle permet un réinvestissement de la perte dans le langage (Kristeva), elle autorise la « formulation » d’un espace imaginaire, symbolique et utopique qui compense ou sublime le manque ; elle permet d’investir la racine autrement. La patrie de l’artiste (du créateur de l’exil) représente tout autant un thème qu’un instrument ; elle est à la fois perdue et recherchée, située en amont, mais aussi réiventée, par une poétique de la rupture (Mahmoud Darwich), de l’errance et de l’indicible (Samuel Beckett, Imre Kertész), du divers et de la pluralité (Edouard Glissant, Elias Canetti) ; elle autorise « une quête effrénée de la réalité » (Czesław Miłosz) qui aboutit à une reformulation des cadres généraux de la perception du monde et de l’expérience individuelle (Witold Gombrowicz chez qui la patrie originelle se trouve supplantée par la « filistrie »). Indissociable de la perte de la patrie originelle, l’exil permet de fonder un espace de la quête : Ulysse, figure mythique de l’exilé, parvient à retourner chez lui, entre-temps il aura bel et bien gagné quelque chose, son périple lui aura permis à la fois de se bâtir soi-même et de refonder sa patrie perdue. De même, écrit Shmuel Trigano, « l’exil d’Abraham ouvre sur une liberté que rend possible la promesse d’une autre terre, d’une Terre autre, d’une nombreuse descendance de chair et de sang, dont la finalité ne se résumera pas à sa propre existence mais au souvenir d’une Parole, celle, vivante, entendue dans la voix du « Va-t’en ! » ». Les lexiques, les métaphores, les références, le métadiscours témoignent donc de cette « prise de liberté » qu’évoque Trigano, de cette « promesse » faite à l’exilé. La « bile noire » de la mélancolie (melankholia) devient dès lors « écume » (Aristote), productive, créative, douée de génie.
Cette journée d’étude a pour but de faire apparaître la variété des écritures de l’exil et de la mélancolie. Les intervenants sont invités à réfléchir sur la part de drame qui, inéluctablement semble-t-il, se rattache à ces deux expériences existentielles lourdes, mais aussi à scruter les voies par lesquelles, paradoxalement, il leur arrive de mener vers la vérité et la profondeur artistiques.
Bibliographie :
- Marek Bieńczyk, La mélancolie, à propos de ceux qui jamais ne retrouveront leur perte. Varsovie : Sic, 1998, 2011.
- Jean Borreil, La Raison nomade. Paris : Payot, 1993.
- Lázló Földenyi, Mélancolie. Essai sur l’âme occidentale. Arles : Actes Sud, 2011.
- Edouard Glissant, Poétique de la relation. Paris : Gallimard, 1990.
- Imre Kertész, L’Holocauste comme culture. Discours et essais. Arles : Actes Sud, 2009.
- Julia Kristeva, Soleil noir. Paris : Gallimard, 1987.
- Jacques Mounier (éd.), Exil et littérature. Grenoble : ELLUG, 1986.
- Salman Rushdie, Patries Imaginaires : Essais et critiques 1981-1991. Paris : Christian Bourgois, 1993.
- Edward W. Said, Réflexions sur l’exil et autres essais. Arles : Actes Sud, 2008.
- Jean Starobinski, La Mélancolie au miroir : trois lectures de Charles Baudelaire. Paris : Julliard, 1990.
- Shmuel Trigano, Le Temps de l’exil. Paris : Rivages, 2005.
Modalités de participation
- Cette journée d’étude s’adresse en priorité aux chercheurs ayant récemment soutenu leur thèse de doctorat
- Elle aura lieu en novembre 2012 à l’INALCO dans le cadre des activités du CERLOM (Centre d’Étude et de Recherche sur les Littératures et les Oralités du Monde).
- Les chercheurs intéressés sont invités à envoyer leur proposition de communication (résumé d’environ 250 mots accompagné d’une biographie de quelques lignes) à Piotr Biłos (piotr_bilos@hotmail.fr) et Anne Castaing (annecastaing@yahoo.fr).
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avant le 15 juin 2012
- La publication des actes de cette journée est envisagée.
Comité scientifique :
- Margarita Alfaro Amieiro (Université autonome de Madrid),
- Corinne Alexandre Garner (Université de Paris Ouest Nanterre la Défense),
- Alexandre Prstojevic (INALCO) et Stéphane Sawas (INALCO)
Comité d’organisation :
- Piotr Biłos (INALCO)
- Anne Castaing (INALCO)
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