Appel à communication : « Quelles sources pour l’histoire des sens ? » (Paris, 21 septembre 2018)
Un Atelier du XIXe siècle de la Société des études romantiques et dix-neuviémistes, organisé par Barbara Giraud (Oxford-Brookes University) et Érika Wicky (FNRS/Université de Liège).
21 septembre 2018
Fondation Biermans-Lapôtre
Cité internationale universitaire, Paris
S’inscrivant dans le prolongement du Material Turn, mais également redevable de l’histoire du corps et de celle des sensibilités, l’histoire des sens s’ancre toujours plus au cœur de l’actualité de la recherche sur le XIXe siècle. De même que l’histoire de la culture visuelle, qui a souvent été comprise comme une histoire du regard, elle étudie la signification et les fonctions des sens et de la perception sensorielle, également considérés comme une construction culturelle et sociale. Envisageant les cinq sens comme un système, elle s’intéresse aussi aux rapports de concurrence et de hiérarchie entre les sens. L’histoire des sens a ainsi pour vocation d’étudier les modèles sensoriels en vigueur à différentes époques afin de mesurer la manière dont ceux-ci ont façonné le rapport au monde des contemporains. Outre ses contributions aux recherches historiques menées dans des domaines connexes (histoire des émotions, de la gastronomie, de l’hygiénisme, etc.), sa propension à révéler les mécanismes de différenciation rend l’histoire des sens particulièrement utile aux approches transversales telles que les études genre et les études postcoloniales. Enfin, l’histoire des sens est très prisée pour la faculté qu’on lui prête à rendre l’histoire plus vivante et incarnée, plus personnelle aussi, ce dont témoignent, par exemple, les recherches et expériences visant à restituer l’odeur des batailles, menées dans le cadre du centenaire de la première guerre mondiale.
L’histoire des sens est donc caractérisée par l’analyse de sources variées, dont le corpus est d’autant plus difficile à établir que la perception sensorielle reste un phénomène éphémère et individuel, en dépit de ses traits culturels. Le langage et son histoire, tout d’abord, recèlent une multitude d’indices que l’on peut déceler dans des expressions familières (être doté de goût, de tact ou de flair évoque ainsi trois qualités bien distinctes). Parmi les documents convoqués par l’histoire des sens figurent des traités médicaux ou religieux ainsi que des ouvrages techniques et scientifiques, mais les sources artistiques et littéraires sont souvent privilégiées, car elles peuvent rendre compte efficacement des conceptions attachées aux sens, quoiqu’elles nécessitent une méthodologie spécifique, en raison notamment de leur statut singulier d’œuvre. La popularité, au XIXe siècle, de l’affiche et du roman, par exemple, les rendent particulièrement à même de modeler et de diffuser largement de telles conceptions. Elles permettent alors à l’historien.ne de retracer et de mesurer les partages sociaux des différentes conceptions du sensible. En outre, le recours à des sources littéraires et artistiques est particulièrement fréquent parmi les dix-neuviémistes dont la période a abondamment questionné le rapport des arts au réel et les enjeux de la perception sensorielle dans la création.
Il s’agira, lors de cette journée d’étude, d’interroger cette multiplicité des sources et le recours tout particulier qu’ont les historien.ne.s des sens aux sources artistiques et littéraires, mais aussi de voir comment l’histoire de l’art, la musicologie, les études théâtrales et littéraires convoquent les questions spécifiques de l’histoire des sens pour enrichir leurs analyses. La nécessité de croiser les sources pour approcher la connaissance du sensible conduit à composer des approches pluridisciplinaires. Les contributeur.rice.s seront donc invité.e.s à partager leur expérience de manière à dégager des éléments méthodologiques et critiques pour établir l’histoire des sens au XIXe siècle.
Les propositions de contribution (environ 300 mots) accompagnées d’une notice bio-bibliographique doivent être adressées à Barbara Giraud [bgiraud@brookes.ac.uk] et Érika Wicky [erika.wicky@uliege.be] avant le 15 mai 2018.
Éléments de bibliographie :
– Temenuzhka Dimova, Martial Guédron, Mylène Mistre-Schaal (dir.), L’Emprise des sens, Paris, Hazan, 2016.
– Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire du corps, volume 2, Paris, Seuil, 2005
– Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire des émotions, volume 2, Paris, Seuil, 2016.
– Constance Classen (dir.), A Cultural History of the Senses in the Age of Empire, 1800-1920, Londres, Bloomsbury, 2014.
– « L’Anthropologie sensorielle en France: un champ en devenir ? », L’Homme, n°217, 2016.
– Brigitte Munier et Éric Letonturier (dir.), « La voie des sens », Hermès, n°74, 2016.
– Éveline Cohen et Julia Csergo (dir.), « L’Artification du culinaire », Sociétés et représentations, n°34, 2012.
– L’acide dans la littérature, Véronique Duché (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2015.
– Patrizia Di Bello et Gabriel Koureas (dir.), Art, History and the Senses: 1830 to the Present, Ashgate Pub., 2010.
– « Méthodes et objets en histoire du corps, entretiens avec Georges Vigarello », dans Mickaël Bouffard, Jean-Alexandre Perras et Érika Wicky (dir.), Le corps dans l’Histoire et les histoires du corps précédé d’entretiens avec Georges Vigarello, Paris, Hermann, 2013.
– Sophie-Valentine Borloz, « Les femmes qui se parfument doivent être admirées de loin », Les odeurs féminines dans Nana de Zola, Notre cœur de Maupassant et L’Ève future de Villier de L’Isle-Adam. Postface de Martha Caraion, Lausanne, Archipel, 2015.
– Aimée Boutin, City of Noise: Sound and Nineteenth-Century Paris, University of Illinois Press, 2015
– Alain Corbin, « Les historiens et la fiction : usages, tentation, nécessité… », Le Débat, 2011, Vol. 3, n°165, p. 57-61.
– Alain Corbin, Une histoire des sens: Le Miasme et la jonquille, Le Village des cannibales, Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot, préface de Pascal Ory, Paris, Robert Laffont, 2016.
– Nélia Dias, La Mesure des sens : Les anthropologues et le corps humain au XIXe siècle, Paris, Aubier, 2006.
– Andrea Goulet, Optiques: the Science of the Eye and the Birth of Modern French Fiction, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2006.
– David Howes, Sensual Relations: Engaging the Senses in Culture and Social Theory, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2003
– Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, Paris, PUF, 2010.
– Robert Jütte, A History of the Senses from Antiquity to Cyberspace, Cambridge, Polity, 2005.
-Jean-Pierre Mohen, L’art et la science : l’esprit des chefs-d’œuvre, Gallimard, coll. « Sciences », 1998.
– Denys Riout, « Art et olfaction : des évocations visuelles à une présence réelle », Cahiers du MNAM, n°116, été 2011.
– Lawrence Rosenblum, «La Fusion des sciences», Pour la Science : la Naissance de la créativité, n.427, mai 2013.
– Geneviève Sicotte, Le Festin lu. Le repas chez Flaubert, Zola et Huysmans, Liber, 2009.
– Mark Smith, Sensory History, Londres, Bloomsbury, 2007.
– Georges Vigarello, Le Propre et le sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Âge, Seuil, Collection « Points-Histoire », 1987.
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