Appel à communication : « Sculpture et politique (XVIIIe-XXIe siècle). Édifier, contester, conserver », IXe journée des jeunes chercheurs (Paris, musée Rodin, auditorium Léonce Bénédite, 22 avril 2022).
Sous la direction scientifique de Bertrand Tillier, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et en collaboration avec le Centre d’histoire du XIXe siècle (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Sorbonne Université, UR 3550).
Dans ses Considérations désobligeantes, Robert Musil écrivait à propos des monuments publics en lesquels il voyait une forme de l’oubli : « Entre autres particularités dont [ils] peuvent se targuer, la plus frappante est, paradoxalement, qu’on ne les remarque pas. Rien au monde de plus invisible. Nul doute pourtant qu’on les élève pour qu’ils soient vus, mieux pour qu’ils forcent l’attention ; mais ils sont en même temps, pour ainsi dire, “imperméabilisés”, et l’attention coule sur eux comme l’eau sur un vêtement imprégné, sans s’y attarder un instant ». Depuis quelques années, comme l’ont montré les mouvements transnationaux de contestation tels que « Rhodes Must Fall » ou « Black Lives Matter », qui ont visé des statues représentant des personnalités accusées d’avoir pratiqué ou promu l’esclavage, le colonialisme ou le racisme, les sociétés contemporaines semblent avoir redécouvert l’agentivité politique de la statuaire publique, dont l’histoire est pourtant ancienne.
En effet, la sculpture et la politique entretiennent depuis l’Antiquité des rapports aussi étroits que complexes, que connaissent bien les historiens et historiens de l’art et dont ils ont éclairé des moments significatifs et fondateurs au Moyen Âge ou à la Renaissance, pendant la Révolution française et à sa suite, durant le XIXe siècle « statuomaniaque » et a fortiori à l’époque contemporaine. Les crises désormais mondialisées, que cristallisent des statues qui n’étaient généralement plus vraiment regardées, viennent rappeler qu’avant d’être contestées et confrontées à des passions citoyennes, les sculptures placées dans l’espace public ont été projetées, décidées, commandées, mises en forme et érigées au fil de longs processus d’élaboration, où le politique est omniprésent, tissé de rapports de pouvoir et de justifications idéologiques.
Toute effigie sculptée destinée à être érigée dans l’espace public est donc loin de constituer un acte anodin et le consensus démocratique n’en est que rarement spontané, obligeant à négocier ou expliciter son iconographie et son épigraphie, sa matérialité, sa monumentalité et son implantation. Le politique siège donc au cœur de l’existence sociale de la sculpture, fruit de décisions perçues comme l’expression d’une verticalité des instances du pouvoir qui l’initient, l’encouragent ou l’accueillent dans une société donnée – et ce, quel que soit le type de régime concerné : la monarchie, l’Empire ou la République, les démocraties ou les dictatures. C’est pourquoi la chute des statues accompagne souvent celle des régimes autoritaires, dans un même mouvement de transfert de légitimité et d’affirmation d’une nouvelle souveraineté politique.
Dans son livre devenu classique consacré au portrait du roi, Louis Marin écrivait : « Le roi n’est vraiment roi, c’est-à-dire monarque, que dans des images. Elles sont sa présence réelle : une croyance dans l’efficacité et l’opérativité de ses signes iconiques est obligatoire […] ». Ce qui s’applique ici à la portée symbolique de l’effigie royale peut être étendu à toute représentation de personnalité détenant le pouvoir et l’incarnant en condensant ses valeurs. Dans ce jeu, la statue du souverain, de l’empereur, du chef de guerre ou de parti, du guide idéologique, du dictateur, du dirigeant d’un régime ou d’une nation agit donc comme la mise en image de l’énoncé christique : « ceci est mon corps », dont Ernst Kantorowicz a vérifié le paradigme dans sa théorie des « deux corps du roi ». La statue est le fantôme de pierre ou de bronze de ce corps fictif, une sorte de doublure figurée inscrite dans l’espace public où, non sans théâtralité, elle est donnée à voir, destinée à être gravée dans les mémoires puis dans l’Histoire. En somme, les sentiments de rejet et les attitudes agressives que suscitent les effigies monumentales sculptées constituent un envers des dispositifs politiques et visuels qu’elles révèlent.
Lors de cette journée d’étude, on s’intéressera donc aux multiples pans et mécanismes politiques de la sculpture entendue comme moyen d’action ou, au contraire, comme support de revendication, en croisant le visible des objets (formats, matériaux, sujets, lieux, dispositifs architecturés) et leur efficacité, la teneur de leur vie sociale (où les polémiques, les conditions de la commande, les régimes de réception et les registres d’usages agissent en filigrane) et l’actualité des enjeux patrimoniaux que posent désormais les contestations de monuments publics (mais dont la prise en compte demeure trop souvent un point aveugle).
Propositions :
Les propositions de participation devront comprendre un titre, un résumé (entre 1 500 et 2 000 signes) et une brève notice biographique (entre 500 et 1 000 signes). Elles sont à adresser avant le 15 janvier 2022 à l’adresse colloques@musee-rodin.fr. Les réponses seront communiquées par le comité de sélection au cours de la seconde quinzaine de janvier.
Comité scientifique et organisation :
– Bertrand Tillier, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directeur scientifique
– Amélie Simier, conservatrice générale du patrimoine, directrice du musée Rodin
– Véronique Mattiussi, chef du service de la Recherche, musée Rodin
– Franck Joubin, documentaliste chargé des colloques, musée Rodin
Source : Musée Rodin
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