Appel à communications : Les métamorphoses du plâtre, de la roche aux décors

Le numéro 19 de la revue Patrimoines du Sud consacré au plâtre souhaite rendre compte des études et des pratiques liées à l’histoire d’une ressource naturelle exploitée depuis des siècles dans le midi. L’usage du plâtre, du plus courant au plus précieux, interroge sur le statut de ce matériau, au cours du temps et jusqu’à nos jours. Avec cette vaste thématique, ce numéro entend mettre en lumière la variété autant que la complémentarité des travaux de recherche et des expériences de terrain.

Les publications portant sur ce matériau protéiforme reflètent cette indispensable approche interdisciplinaire, qu’il s’agisse des ouvrages techniques (L’encyclopédie du compagnonnage, 1994 ; C. Inizan, 2017), des travaux du groupe de recherche sur le plâtre dans l’art (GRPA, 2002, 2005), ou du renouvellement des études sur le moulage et les copies (In Situ, 28|2016).

Matériau mal connu et délaissé aujourd’hui, le plâtre était pourtant prisé pour ses nombreuses qualités dans la construction et les décors d’autrefois. Ses propriétés ignifuges, hygroscopiques et acoustiques en font un remarquable matériau de construction. En outre le plâtre se prête admirablement aux besoins de l’ornementation, et en particulier le décor porté en haut-relief. On peut le modeler, le mouler, le tailler et le traîner, ou encore le découper pour l’assembler. On peut également le teinter dans la masse, ou lui ajouter des couleurs ou une patine après séchage.

L’utilisation du plâtre a décliné dans la seconde moitié du XXe siècle, remplacé par des matériaux promus par les grandes entreprises de plâtre, en particulier les plaques de plâtre, plus faciles à mettre en oeuvre que le plâtre traditionnel grâce à leur rapidité d’exécution, absence de séchage et ne nécessitant pas ou peu de formation et d’expérience. Le déclin de l’emploi du plâtre peut aussi s’expliquer par la rupture de transmission des savoir-faire, notamment imputable à la réforme des retraites dans les années 1980 qui a vu une grande partie d’artisans et formateurs arrêter leur activité sans avoir formé de nouveaux professionnels.

Le plâtre est issu de la calcination, puis du broyage du gypse. Cette roche très tendre est un sulfate bi(di)hydraté de calcium, qui s’est formée par évaporation de saumures au sein de sédiments. Les gisements les plus importants en France sont concentrés dans le Bassin parisien, en Provence et dans les Alpes du Sud. De plus petits gisements se trouvent dans le Sud-Ouest (Landes, Pyrénées-Atlantiques, Ariège, Aveyron, Aude, Pyrénées-Orientales), en Charente, en Lorraine et dans les Alpes du Nord. En Occitanie les sites d’extraction les plus importants pour les deux siècles derniers sont en Ariège (Arnave, Arignac et Bédeilhac) et dans l’Aude (Portel des Corbières).

Utilisé comme matériau de construction en particulier dans les régions riches en gypse, le plâtre est surtout connu et étudié par les historiens de l’art et de l’architecture pour son application dans les décors portés ou les moulages. Les termes généralement utilisés pour les décors en plâtre, gypserie ou stuc, ont des significations mouvantes selon les époques et les auteurs. Le terme de gypserie, dérivé du latin gypsum en passant par l’ancien français gip, gif, gist ou geys, est récent et ne se trouve mentionné dans aucun traité ancien, mais il est aujourd’hui largement utilisé par les chercheurs pour désigner un décor architectural en relief façonné sur le chantier à l’aide d’un matériau durcissant après sa mise en œuvre. Cette définition est aussi valable pour le stuc, mais à la différence de la gypserie, réalisée principalement à l’aide de plâtre, le stuc peut désigner des décors obtenus avec du plâtre mais aussi avec de la chaux comme matériau de base. Le terme stuc a aussi été utilisé pour désigner d’autres effets, comme le « stuc blanc », « stuc-pierre » ou « stuc-brique », ou encore « stuc-marbre », stuc teinté dans
la masse par des pigments. Lorsque le stuc-marbre est utilisé en marqueterie, on parle de scagliola.

L’art de réaliser des décors en relief dans un matériau plastique remonte au moins à l’Antiquité. Son usage se transmet dans notre région jusqu’à la période romane, mais plusieurs travaux ont montré que si la technique perdure, le matériau employé change : le plâtre est substitué à la chaux comme charge principale pour réaliser les stucs (Palazzo-Bertholon 2009). Si ces décors ont souffert de mauvaises conditions de conservation ou de remises au goût du jour à l’intérieur des églises, quelques-uns sont encore conservés en Roussillon et Catalogne (voir les travaux de G. Mallet, Xavier Barral i Altet et Bénédicte Palazzo-Bertholon).

Mais il faut attendre la fin du XVIe siècle pour voir réapparaître des ensembles significatifs de gypseries. Est-ce à dire que le Moyen Âge central et final délaisse la technique – et le matériau – ou que l’essentiel des vestiges en ont disparu ? Les cheminées monumentales en plâtre à Saint-Antonin-Noble-Val, rendues célèbres par des dessins de Viollet-le-Duc, et datables de la fin du XVe siècle, sont un jalon dans le développement de la gypserie sur la cheminée des grandes demeures, qui atteint son apogée durant le Grand Siècle. Des exemples moins connus de retables (cathédrale de Rodez, ancienne cathédrale de Vabres-l’abbaye) ou encore de placards en plâtre dans des maisons cordaises pourraient constituer des indices d’un usage ininterrompu du plâtre dans le décor durant tout le Moyen Âge, à l’instar de la Provence voisine, région riche en gisements et savoir-faire liés au plâtre, qui conserve plusieurs éléments de décor ou de construction médiévaux (escaliers, plafonds à entrevous en plâtre moulé, frises…).
Les décors en bas-relief, médaillons, panneaux, trumeaux, frises ou rosaces constituent une typologie de formes moulées qui se déploie largement au cours de l’époque moderne et au-delà dans les demeures privées – urbaines et de villégiature – comme aux châteaux de Merville et de la Reynerie ou les salles de réception (hôtel-de-ville de Toulouse, abbaye de Belleperche, théâtres et salles d’Opéra). Sans un inventaire de ces lieux, des thèmes iconographiques, est-il possible d’analyser les pratiques et les modèles privilégiés ? Ces programmes décoratifs liés à l’architecture intérieure se développent en parallèle d’autres mises en œuvre du plâtre dans les églises où structures, figures en haut-relief et ronde bosse peuvent donner l’illusion du marbre blanc (Notre-Dame de l’Assomption de Beaumont-de-Lomagne, Saint-Nazaire de Béziers, chapelle de la Miséricorde de Limoux, chapelle Saint-Jérôme ou église des Chartreux de Toulouse). De rares ateliers de plâtriers et de sculpteurs spécialisés ont fait l’objet d’études ponctuelles qui rendent compte de l’évolution de ces métiers (Fortier, 2005). Parmi les praticiens ayant profité de recherches spécifiques, Gaillard Bor, Jean Sabatier ou Guillaume Julia laissent notamment affleurer les questions de réseaux, de l’extraction à la finition des œuvres.

La technique du moulage a par ailleurs évolué, depuis le XVIe siècle, avec la nécessité de reproduire des œuvres rares, des antiques particulièrement, pour répondre à la volonté de nombreux collectionneurs de s’approprier ces sculptures mais également pour nourrir l’enseignement, académique et scientifique. En Occitanie, comme ailleurs en Europe (The Cast Courts du Victoria & Albert Museum) ces collections connaissent une légitimité renouvelée (musée des Moulages de l’université Paul-Valéry) après leur désaffection au XXe siècle. Substituts ou œuvres à part entière, les moulages proposent de repenser le statut de la copie, sa conservation et son exposition.

Les propositions de communication pourront, sans ambition d’exhaustivité, s’inscrire dans les thèmes suivants :
– le gypse et le plâtre, de l’extraction, la transformation à la commercialisation des sites d’exploitation ;
– les plâtriers, modeleurs et sculpteurs : organisation du métier, circulations des techniciens, des techniques, des modèles ; monographies d’un foyer ou d’un individu ;
– la mise en œuvre du plâtre, regroupant tous les types de décors portés (civils et religieux), et sa mise en œuvre dans l’architecture pour les éléments de construction et de second œuvre ;
– la sculpture mobilière en plâtre : collections de moulages, édition de sculptures en plâtre, plâtres originaux, etc. ;
– la couleur du plâtre : plâtre naturellement coloré, teint dans la masse, peint, doré, patiné…
– la conservation et la restauration des ouvrages et œuvres d’art en plâtre.

Modalités de soumission

Patrimoines du Sud ne publie que des contributions inédites.

Le présent appel à contributions est publié le 06 février 2023. Il s’adresse aux étudiants chercheurs, aux chercheurs, aux professionnels du patrimoine et aux associations. Le territoire de la région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée est le périmètre d’investigation de la revue Patrimoines du Sud, mais les approches comparées d’une autre région géographique avec celle d’Occitanie sont les bienvenues. Il n’y a pas de limites chronologiques imposées.
Pour chaque article de ce numéro, le nombre maximal de caractères s’élève à 80 000 signes. Il est à noter que les auteurs peuvent bénéficier de l’aide d’un photographe professionnel et d’une cartographe. Un soin particulier est attendu pour les illustrations (cf. Recommandations aux auteurs).

Les propositions de contribution sont souhaitées pour le 19 mars 2023, dernier délai. Le projet d’article devra être exposé en une page maximum, comporter un titre provisoire ainsi qu’une ébauche de plan. Les auteurs recevront l’avis du comité de rédaction pour le 3 avril 2023.

Le pilotage scientifique de ce numéro est assuré par :
– Ariane Dor, conservatrice du patrimoine, Conservation régional des monuments historique ; DRAC Occitanie.
– Pierre Mangin, compagnon plâtrier-staffeur-stucateur
– Fabienne Sartre, maître de conférences, université Paul-Valéry, Montpellier 3
Les propositions sont à envoyer à la rédactrice en chef de la revue :
– Alice de la Taille (alice.delataille@laregion.fr), conservateur du patrimoine, Service connaissance et inventaire des patrimoines, région Occitanie.

Les auteurs dont les propositions ont été retenues devront rendre leur article avant le 31 octobre 2023, délai de rigueur.

La revue sera publiée le 1er mars 2024.

BAKER (M.), FALSER (M.), Le NORMAND-ROMAIN (A.), MARCHAND (E.), TOCHA (V.), « Les moulages en plâtre au XXIe siècle », in Perspective, 2 | 2019. https://journals.openedition.org/perspective/14242
BARRAL I ALTET, Xavier, « Le décor en stuc, aux XIe et XIIe siècles. Catalogne et Roussillon », in Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 6, 1975, p. 117-120.
BARTHE, Georges (dir.), Le Plâtre, l’art et la matière, Créaphis, 2002.
BUILLES, Claude, Le plâtre de la montagne : 700 ans de plâtre dans le Tarasconais, Histoire et patrimoine du Tarasconais, 2019.
CLAPARÈDE, Jean, « Gypseries montpelliéraines de la seconde moitié du XVIIe siècle », Arte antica et moderna, n° 19, Florence, 1962, p. 267-279.
DA CONCEIҪAO, Sabrina (dir.), Gypseries. Gipiers des villes, gipiers des champs, Créaphis, 2005.
FORTIER, Fabienne, « Les hommes de la gypserie en Midi toulousain aux XVIIe et XVIIIe siècles », in DA CONCEIҪAO, Sabrina (dir.), 2005, p. 34-41.
FORTIER, Fabienne, Contribution à l’étude des décors de gypserie en Haut-Languedoc : Etat de la question, XVIIème-XVIIIème siècles, Mémoire de Master 2, Université Toulouse-Le Mirail, 2004.
FORTIER, Fabienne, La Conservation et la restauration des décors de gypserie en France, Mémoire d’étude, Paris, École du Louvre, 2001.
INIZAN, Christelle, Le plâtre. Sols et couvrements intérieurs du XIIIe au XIXe siècle, Album du CRMH, éd. du patrimoine, Centre de monuments nationaux, Paris, 2017.
Jean Sabatier, sculpteur sur plâtre en Languedoc, (collectif), DUO, Monuments objets–DRAC du Languedoc-Roussillon, CRMH, 2015.
JULIEN, Pascal, « Le retable de Gaillard Bor en l’abbatiale Notre-Dame de Grandselve », L’abbaye cistercienne de Grandselve, contributions à son histoire, Actes du colloque de Montauban, (1997), Montauban, 1998, p. 63-87. La Plâtrerie, le staff et le Stuc, Librairie du compagnonnage, Encyclopédie des Métiers, Paris, 1994.
« Le moulage. Pratiques historiques et regards contemporains », In Situ, Revue des patrimoines, 28| 2016. https://doi.org/10.4000/insitu.12403
MALLET, Géraldine, « Arles-sur-Tech : découverte d’une tête en stuc », in Études roussillonnaises, n°22, 2006, p. 59-62.
MALLET, Géraldine, « Stucs préromans et romans des vallées de l’Aude et du Roussillon », in SAPIN, Christian (dir.), Stucs et décors de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge (Ve-XIIe siècles), actes du colloque international, Poitiers, 16-19 septembre 2004, Turhout, 2006, p. 239-247.
MASSON-LAUTIER, Maïna, « Gypseries en Provence : décors moulés médiévaux », In Situ, Revue des patrimoines, 28|2016, https://journals.openedition.org/insitu/12824
MORINIÈRE, Soline, « Le processus de création des collections de moulages universitaires en France : un phénomène national », in Université & Histoire de l’art, objets de mémoire (1870-1970), dir. Marion Lagrange, Rennes, PUR, 2017, p. 81-94.
NEPIPVODA, Denis, « Jean Sabatier, sculpteur en ̎plâtre ̎ languedocien du XVIIe siècle », in Études héraultaises, n° 41, 2011.
PALAZZO-BERTHOLON, Bénédicte, « Archéologie du décor mural : la redécouverte du programme ornemental de stucs et d’enduits peints dans l’ancienne église Sainte-Marie d’Alet-les-Bains », in Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XLIII, 2012, p. 147-161.
PALAZZO-BERTHOLON, Bénédicte, « Le décor de stuc autour de l’an Mil : aspects techniques d’une production artistique disparue », in Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XL, 2009, p. 285-298.
PLANA-MALLART, Rosa, MALLET, Géraldine, « Le projet de rénovation et de valorisation du Musée des Moulages et les collections d’Art et d’Archéologie de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 », In Situ, 17 | 2011. https://journals.openedition.org/insitu/880.
SALETTE, Julien, Plâtres et outils de plâtriers à Riez, XIVe-XVIIe siècles, Mémoire de Master 2, UT2J Toulouse, 2015.
SIMONIN, Francine, ANDRIEU, Nicole, ABRAHAM, Philippe, Les plâtriers de la Loubière, L’industrie du gypse en Sud-Aveyron du 17e-18es jusqu’en 1914, 1992.
SAUZE, Elisabeth, « L’art de la gypserie à Riez au XVe siècle », Provence historique, fascicule 167-168, 1992, p. 297-310. https://docplayer.fr/78442949-L-art-de-la-gypserie-a-riez-au-xv-siecle.html
TOLLON, Bruno, GINESTY, Henri, « Les travaux du sculpteur Gaillard Bor dans le comté de Foix autour de 1660 », in Bulletin de la Société ariégeoise des sciences, lettres et arts, 1994, p. 93-111.

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