Les études et les manifestations scientifiques s’intéressant au sexe féminin à la Renaissance se sont multipliées ces dernières années avec l’essor d’une histoire de l’art féministe attentive à la question du genre. Beaucoup d’entre elles se sont attachées à contextualiser les images d’une vulve complètement glabre et lisse, policée et polissée, ou au contraire ostensiblement érotisée. Envisagé comme un complément de cette approche tournée vers les organes génitaux extérieurs et vers leur représentation mise à nu, l’Atelier du CHAR de 2022 souhaite ré-explorer l’imaginaire du sexe féminin de l’intérieur et se consacrer aux métaphores de la matrice dans les images et la culture matérielle à la Renaissance. La période chronologique considérée va du milieu du XIVe siècle aux premières décennies du XVIIe siècle.
À la suite d’Hippocrate et de Galien, la Renaissance confond l’utérus et la matrice qu’elle considère comme l’essence même de la féminité. C’est ainsi la matrice qui conditionne la maternité en intervenant dans la procréation en tant que principe féminin, récipient et réceptacle. C’est aussi elle qui, de manière moins glorieuse, cause la plupart des maladies qui affectent spécifiquement les femmes, plus enclines à se laisser gagner par le flegmatique que les hommes. L’étymologie du mot conserve d’ailleurs très bien le souvenir de ces deux fonctions, l’une louable, l’autre méprisable : en latin la mater, la mère, a donné la matrix, la matrice, créant une filiation qui est restée ancrée dans le français, l’italien et encore plus dans l’allemand (de mutter à gebärmutter) ; tandis qu’en grec ancien l’hústeros, le bas ou l’inférieur, a donné l’hustera, l’utérus, qui a servi à nommer péjorativement l’hystérie.
Alors que la matrice se trouve au cœur de ces préoccupations, la représenter pose un problème de taille. Organe interne soustrait à la vue des médecins, des artistes et des spectateurs à cause de l’opacité de la chair, sa forme varie au gré de l’imaginaire. On s’accorde à la dire creuse et humide, tantôt rouge comme le sang avec une odeur de rose, tantôt plongée dans une obscurité fétide et putride où se développent les maladies les plus ignobles. La question qui se pose alors est de savoir comment se construisent les différentes métaphores qui ont pu être utilisées pour représenter la matrice que ce soit pour exalter sa capacité de procréation ou pour blâmer ses aspects horrifiques, parfois presque démoniaques. Et sûrement faut-il s’interroger encore davantage sur les savoirs et les pratiques culturelles auxquels cette poétique est liée.
Les fruits, les fleurs et les animaux sont bien sûr à l’origine d’un nombre considérable de métaphores naturelles dans les images et les traités médicaux comme l’Hortus sanitatis de Johannes de Cuba paru en 1491 ; de la grenade à la rose en passant par la vanille dans le Nouveau Monde ; des amphibiens, notamment les crapauds et le dragon-salamandre qui accompagne sainte Marguerite, aux cétacés tels le dauphin à partir de la correspondance étymologique entre delphis et delphus, respectivement dauphin et matrice, ou la baleine qui engloutit puis recrache Jonas en devenant le lieu de sa renaissance.
L’étymologie indique en outre que la matière elle-même serait matricielle puisque le mot latin matera dérive de mater au point d’inciter à prendre en considération les grottes dont celle de Boboli, les architectures-cocons, les textiles et toutes les métaphores qui engagent des matériaux, figuratifs ou réels, pour symboliser l’organe génital interne, lieu de la procréation et de l’Incarnation dans le cas de la Vierge Marie. Les caractéristiques et l’effet haptique de ces matériaux, l’impression de leur mollesse, de leur spongiosité et de leur malléabilité proches de celle des membranes ou de la cavité utérines sont à envisager comme partie prenante de la métaphore en ce qu’ils caractérisent la matrice par opposition à la virilité dure du principe masculin.
Cette proximité évidente entre matrix, mater et materia appelle enfin à envisager les ex-voto et autres éléments de la culture matérielle témoignant de thérapies contre les maux utérins et de pratiques dévotionnelles ou folkloriques centrées autour de la grossesse et de la parturition. C’est le cas en particulier des objets rouge-sang, teintés de cette couleur de l’« irruption du dedans » qui serait une figurabilité non-mimétique de la matrice et de ses menstrues (Didi-Huberman), qu’ils soient constitués de cire teintée rouge, de corail ou de pierres précieuses et semi-précieuses comme le rubis, la cornaline, le jaspe rouge, la magnétite ou encore l’hématite.
Cette journée d’étude se propose ainsi d’interroger l’imaginaire de la matrice, ainsi que ses différents modes de représentation à l’époque moderne, dans un dialogue interdisciplinaire entre histoire de l’art, culture visuelle et matérielle, histoire et littérature. Les propositions de communication pourront porter, sans s’y limiter, sur les thèmes suivants :
- les allusions au monde végétal et animal
- les lieux symboliques
- les métaphores matérielles de la naissance
- la poétique de la génération et de la régénération
- les schématisations symboliques et anatomiques
- les formes textuelles, entre narrative et rhétorique
- la réception des métaphores liées à la matrice et à l’utérus
Les propositions de communication se feront sous forme de résumés de 300 mots maximum, accompagnées d’un titre et d’une brève présentation bio-bibliographique de l’auteur ; elles sont à envoyer par courrier électronique à cette adresse avant le 20 mars 2022.
Organisatrices :
Fiammetta Campagnoli (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CHAR);
Florence Larcher (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CHAR)
Source : https://char.hypotheses.org/22545
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