Le seigneur et son vassal, le chevalier et sa dame, le roi et son conseiller, l’homme et son saint patron, le pécheur et son confesseur, le maître et son élève, l’auteur et son dédicataire, le parrain et son filleul : autant de couples topiques qui surgissent à l’évocation du Moyen Âge et structurent les représentations du monde médiéval. Le schéma binaire semble s’imposer comme règle de la relation, entériné comme tel par le droit (mariage, vassalité), dans une société qui se pense toutefois comme une société d’ordres engendrée par l’ordo divin. Le hiatus entre l’ordre mondain dual – fondé sur la fidélité et l’engagement réciproque entre deux parties, introduisant de fait un processus d’exclusion de tout autre et ne se produisant qu’à cette condition – et l’ordre divin, à la fois un et trine, érigé en un idéal à atteindre, nuance d’emblée les oppositions nettes que l’on prête à ces figures. Au-delà des schèmes qu’ils incarnent, ces duos offrent l’image de relations interindividuelles qu’il faudrait appréhender dans ce qu’elles ont de plus dynamique. Les interactions personnelles ne sont stables ni par essence, ni dans le temps, parce qu’elles sont étroitement soumises aux conjonctures extérieures comme aux évolutions qui affectent chacun des partenaires et qu’elles relèvent aussi de la liberté de choix des « affinités électives ». Elles définissent ainsi un espace intime qui échappe en partie au regard extérieur et à la stricte codification qu’il suppose, un « entre-deux » qui ouvre la possibilité d’une recomposition de ces liens.
C’est donc précisément sur la relation complexe entre deux êtres, telle qu’elle s’élabore, évolue et se recompose, que nous aimerions réfléchir, en restreignant notre étude à des rapports qui mettent en jeu les catégories de la pensée médiévale. La nature de ce lien, qu’il engage par exemple les formes de l’affectivité ou des définitions juridiques, permet alors une interrogation sur la relation elle-même comme sur la distinction entre les deux membres du couple étudié : réciprocité entre pairs (amicitia), subordination d’origine juridique (vassalité, usurier et débiteur) ou d’origine divine (homme et femme), cas unique de l’homme forgé à l’image de son Créateur qui, à l’inverse, ne ressemble pas à sa créature. Observant ces relations de l’intérieur, il s’agira donc d’en déchiffrer les supports – le regard, la voix, le corps, l’écrit –, les modalités ou la mise en scène par l’étude de la gestuelle, des rituels, des cérémoniels (serment, mariage, hommage), ainsi que l’ensemble des mots et des signes qui affirment la force d’un rapport particulier. Les relations binaires sont l’objet de représentation dans la sculpture, l’enluminure ou la peinture (la Vierge et l’Enfant, les scènes de duel, la figuration du couple conjugal). Elles s’épanouissent en outre dans des pratiques culturelles qui touchent à la musique (polyphonie à deux voix), à la danse (apparition de la danse de couple au XVe siècle), à l’élaboration du manuscrit (copie à deux mains) et à la production de genres littéraires spécifiques (dialogues, jeux-partis, débats).
On pourra chercher à saisir en quoi ces rapports duaux, valorisés ou au contraire suspects, contribuent à la production des normes comportementales, ou bien font l’objet d’efforts d’encadrement par des institutions ou des discours qui en délimitent les contours, tels les arts d’aimer, la littérature didactique et théologique, les coutumes, les lettres patentes de délégation de pouvoir, les manuels de correspondance. Les modèles de comportement qui en résultent – définissant en creux des phénomènes de déviance – peuvent permettre de confronter la théorie sur laquelle ils reposent à la réalité des pratiques, de donner lieu à une analyse du détournement de leurs codes par l’humour et la satire ou d’étudier leurs représentations narratives. La narration, qu’elle construise ou défasse la relation, peut en définir les passages obligés ou les points de rupture en passant, à titre d’exemple, par les motifs du père incestueux ou de l’amant infidèle. Il importe en effet de s’attacher aux évolutions qui affectent la relation interpersonnelle, qui lui donnent vie, la transforment ou la dissolvent, en l’inscrivant dans le déroulement du temps et en portant une attention particulière aux temporalités intermédiaires (période de succession politique ou de trêve, dépassement du maître par l’élève, temps de séparation) lors desquelles se joue plus volontiers la recomposition des termes de la relation. La répartition des rôles et des fonctions, l’établissement des hiérarchies, la structuration des complémentarités, des substitutions et des oppositions, ainsi que les éléments incarnant ou perturbant ces archétypes duaux – tels un comportement solipsiste ou l’interférence d’une tierce personne – intéressent directement le sujet.
Nous souhaitons que cette journée permette de confronter les approches de différentes disciplines, grâce à des communications de doctorants médiévistes en littérature, histoire, philosophie, histoire de l’art, histoire du droit, linguistique et musicologie. Les communications, d’une durée de 20 minutes, pourront faire l’objet d’une publication d’actes de la journée aux Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, après soumission à un comité de lecture. Nous vous remercions par avance de faire parvenir vos propositions d’une demi-page environ, en mentionnant votre université de rattachement, votre statut et vos thèmes de recherche, avant le 27 mars 2011 à Cécile Becchia (cbecchia@yahoo.fr), Marion Chaigne (marion.chaigne@gmail.com) ou Laetitia Tabard (laetitia.tabard@noos.fr ).
Organisé par le groupe doctorants médiévistes Questes ; la journée d’étude est prévue pour le samedi 11 juin 2011 en Sorbonne.
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