Appel à contribution : « Maisons-musées : la patrimonialisation des demeures des illustres » (revue Culture & Musées)
Numéro thématique de la revue Culture & Musées, sous la direction de Marco Folin (Université de Gênes) et Monica Preti (Musée du Louvre).
Argumentaire :
Les maisons-musées (créées par leurs propriétaires de leur vivant, ou plus souvent « réaffectées » comme mémorial posthume après leur mort) bénéficient aujourd’hui d’un regain d’intérêt manifeste. Ces lieux favorisent le développement touristique, ils font tout autant l’objet de publications que d’accords de réseau, et constituent des « marques culturelles » internationalement reconnues. Ainsi on peut mentionner en Angleterre, l’association Literary Homes and Museums of Great Britain (LitHouses, 2003) ; en Italie, l’Associazione Case della Memoria (fondée en 2005 à Florence) qui a donné naissance à Coordination européenne des Case della Memoria (depuis 2015) ; en France, le label du Ministère de la Culture « Maisons des Illustres » (créé en 2011), qui reprend le concept des maisons d’écrivains, en l’élargissant à toutes les femmes ou hommes qui se sont illustrés dans la construction de l’histoire politique, sociale et culturelle de la France.
À partir des notions de patrimoine et de monument historique, ainsi que des travaux fondateurs de P. Nora sur les lieux de mémoire (1984, 1986, 1992), nous souhaitons prendre en compte l’ensemble du processus de patrimonialisation, abordé comme un processus de création et de réinterprétation du passé à l’aune du présent (Riegl 1984 [1903] ; Davallon 2006, Heinich 2009). Pour qu’une maison devienne un musée, « des opérations juridiques, technologiques et symboliques sont nécessaires, des processus affectifs et cognitifs doivent être mis en place qui ne vont jamais de soi, et le résultat espéré, la transmission, demande une mise à jour constante. » (Bondaz, Isnart & Leblon, 2012).
Ce numéro thématique se propose d’étudier la genèse historique du phénomène ainsi que ses évolutions contemporaines jusqu’à nos jours. Si le tourisme littéraire et mémoriel est une pratique qui est attestée au moins depuis le XVIe siècle, c’est seulement au tournant du XVIIIe et du XIXe que les lieux de vie et de travail des « illustres » commencent à être transformés en musées, pour devenir les destinations ou les étapes d’une forme particulière de voyage : le pèlerinage culturel (Hendrix 2008). De nombreux facteurs semblent avoir contribué à ce processus, du culte romantique de l’artiste à la rhétorique patriotique, des politiques de valorisation du patrimoine aux modes muséographiques et au marché touristique. Dans ce contexte, la politique des commémorations nationales a souvent joué un rôle déclenchant (Trapp 2006 ; Leerssen-Rigney 2014 ; Calvo-Kahn 2015).
Nous nous proposons d’éclairer ces divers aspects à travers des études de cas replacées dans un contexte large, en privilégiant les perspectives qui permettent de prendre en compte la complexité des facteurs envisagés et de leurs interactions. Seront aussi favorablement accueillies les propositions portant sur des cas de maisons récemment patrimonialisées, pour élargir l’éventail des exemples comparables jusqu’à nos jours.
Les contributions attendues pourront s’intégrer dans un ou plusieurs de ces axes :
De la maison au musée : conservation ou transformation ?
La réflexion porte sur la relation entre la maison originale et son devenir-musée. Depuis la Renaissance, les artistes eux-mêmes ont pu investir leurs propres maisons de valeurs identitaires fortes en leur donnant une dimension publique, de Raphaël à Rubens, de Vasari à Canova, de Gustave Moreau à Gabriele d’Annunzio (Hüttinger 1996 ; Gribenski, Meyer &Vernois 2007). Par ailleurs, la transformation d’une maison en musée, après la mort de son propriétaire, comporte une série d’interventions qui, dans la rhétorique patrimoniale, se présentent souvent comme de simples restaurations, mais sont en réalité fondées sur des choix architecturaux, muséographiques, historiques et culturels spécifiques, potentiellement divergents et en tout cas jamais neutres (Guglielmetti, Mina & Wuhrmann, 2011).
Entre évocation et fiction : les maisons inventées
Dans certains cas, la maison d’origine n’existe plus ou n’a jamais existé. Les cas de maisons-musées qui consistent en des reconstitutions d’habitations perdues ou fictives, ne sont pas rares : il suffit de mentonnier les cas de la maison de Dante à Florence, de Christophe Colomb à Gênes ou de Shakespeare à Stratford-upon-Avon (Thomas 2012). C’est un phénomène qui soulève des problèmes spécifiques, à la fois en termes d’identification du site et de choix muséographiques : il s’agit d’évoquer un environnement ou une personnalité historiques réels, prétendant à une authenticité qui est en réalité problématique. Bien entendu, la question ne concerne pas seulement les maisons-musées, mais dans ces cas elle est particulièrement explicite, en sollicitant des questions qui dépassent le contexte strictement muséographique et qui intéressent le thème des usages du passé dans la construction des identités nationales (Hobsbawm & Ranger 1983).
Musées ou mémoriaux ? Potentiel et limites d’une typologie ambiguë
Un autre axe de questionnement concerne le potentiel et les limites de la typologie de la maison-musée, souvent chargée de valeurs symboliques qui risquent de transformer, même involontairement, le lieu en sanctuaire, figé dans sa dimension exclusivement commémorative. Pourtant, la maison-musée n’est pas seulement un mémorial (par exemple elle se différencie des tombes du Père Lachaise, autre haut lieu de pèlerinage contemporain), mais aussi une mise en scène historiquement connotée, et en tant que telle susceptible d’être fréquemment revisitée, voire entièrement réorientée pour s’adapter à des nouveaux contextes d’utilisation. Les méthodes de valorisation et les modernisations successives d’un tel type d’aménagement sont autant d’aspects qui méritent d’être étudiés et questionnés (De Poli, Piccinelli & Poggi, 2006).
La question du statut des maisons-musées
Le statut des maisons-musées recouvre des situations très hétérogènes : fondations privées, musées municipaux ou institutions précocement classées comme monuments nationaux et qui, en tant que tels, peuvent bénéficier du parrainage de l’État. Quel est le poids de ces variables ? Quel impact les diverses structures administratives ont-elles sur les différentes stratégies de gestion des maisons-musées ? Quelle dialectique s’établit entre les instances du territoire dans lequel se trouve le musée et le contexte étatique auquel il doit répondre ? entre le national et le local ? Et comment les traditions nationales des différents pays entrent-elles en jeu dans ce contexte ?
Pratiques et usages des maisons-musées
Nous souhaitons aussi questionner les interactions entre la vision des acteurs des maisons d’illustres (créateurs, promoteurs, conservateurs) et les pratiques des visiteurs, que l’on pourrait considérer comme les co-constructeurs de ce patrimoine (Saurier, 2003). Ainsi nous encourageons les propositions portant sur la physionomie des publics, les pratiques de visite, les instruments de la médiation, basées sur diverses sources : livres d’or, guides spécialisées – un genre qui se développe depuis le XVIIIe siècle –, mais aussi presse et photojournalisme (Emery, 2012). Il s’agira aussi d’identifier les stratégies de médiation et d’éditorialisation de lieux récemment ouverts et restructurés (guides, sites internet, reconstitution numériques visuelle et sonore) et de comprendre comment et dans quelle mesure elles répondent au besoin de mémoire et plus généralement aux curiosités des sociétés contemporaines à l’égard des femmes et hommes illustres.
Modalités de soumission :
Merci d’adresser vos propositions d’articles (environ 5000 signes) par courriel avant le 1er octobre 2018
à Marco Folin (mafolin@libero.it) et Monica Preti (monica.preti@louvre.fr), avec copie pour Marie-Christine Bordeaux (marie-christine.bordeaux@univ-grenoble-alpes.fr).
Les résumés comporteront un titre, 5 références bibliographiques mobilisées dans le projet d’article, ainsi que les noms, adresse électronique, qualité et rattachement institutionnel (université, laboratoire) de leur auteur.e.
Calendrier :
- Lancement de l’appel à propositions d’articles : juin 2018
- Réception des propositions (résumés) : 1er octobre 2018
- Réponses aux auteurs et commande des textes : 15 octobre 2018
- Réception des textes : fin janvier 2019
- Réponses définitives aux auteurs et propositions éventuelles de modifications : mars 2019
- Réception des textes dans leur version définitive : juin 2019
- Publication : décembre 2019
La revue Culture & Musées :
Culture & Musées est une revue scientifique transdisciplinaire à comité de lecture. Ses publications sont orientées vers des travaux de recherche inédits sur les publics, les institutions et les médiations de la culture.
Depuis 2010, elle possède une dimension internationale car elle est indexée à l’INIST et sur les bases Arts and Humanities Citation Index (Thomson Reuters). Elle est reconnue et soutenues par l’InSHS depuis 2018. Les contributions, regroupées autour d’un thème, font de chaque livraison un ouvrage collectif chargé d’approfondir un thème ou une question.
Elle a été co-éditée par l’Université d’Avignon et les Presses universitaires de Lyon, puis les éditions Actes Sud. À partir de 2018, elle passe au format intégralement numérique sur la plateforme OpenEditions Journals et est accessible dès chaque parution sur l’URL https://journals.openedition.org/culturemusees/.
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