Appel à contribution : Patrimoniochromies. Patrimoines et représentation des couleurs de la peau

Patrimoniochromies. Patrimoines et représentation des couleurs de la peau
Appel à contributions (date limite 2 janvier 2023), Volume collectif (english version below).

Peaux blanches, peaux noires, peaux rouges,… Depuis l’Antiquité, la couleur tégumentaire a souvent été mise en avant pour différencier les groupes culturels, mais aussi pour caractériser les états de santé des individus ou pour décrire leurs émotions. Les représentations figurées font partie des supports privilégiés de tels discours, et l’histoire de l’art regorge de tels exemples. Ainsi, récemment, les historiens et historiens de l’art se sont-ils intéressés à la mise en scène de modèles noirs dans la peinture (expositions « Le modèle noir » (I. Bardon et al. (dir.), Le modèle noir. De Géricault à Matisse : [exposition, Paris, Musée d’Orsay, 26 mars-21 juillet 2019, Pointe-à-Pitre, Mémorial ACTe, 13 septembre-29 décembre 2019] / [organisée par les Musées d’Orsay et de l’Orangerie ; the Miriam and Ira D. Wallach art gallery, Columbia university in the city of New-York], Paris, 2019) et « Black is beautiful » (E. Schreuder & E. Kolfin (dir.), Black is beautiful. Rubens to Dumas : [exhibition], Amsterdam / Zwolle, 2008)), aux techniques picturales mises en œuvre pour représenter des carnations (Y. Schmuhl et al. (dir.), Inkarnat und Signifikanz. Das menschliche Abbild in der Tafelmalerei von 200 bis 1250 im Mittelmeerraum, Munich, 2017 ; M. Aschehoug-Clauteaux, Les couleurs du corps, Paris, 2018), ou encore aux couleurs des états de santé (F. Collard & E. Samama, Le corps polychrome. Couleurs et santé. Antiquité, Moyen Âge, Époque moderne, Paris, 2018).
Peut-on aller plus loin et mettre en évidence le rôle de la perception culturelle de la couleur de la peau dans les constructions patrimoniales même, à travers les âges ? La non-réception multiséculaire de la polychromie de la sculpture grecque antique, en dépit d’une évidence matérielle toujours plus riche, peut représenter un point de départ utile à cette réflexion. L’invention occidentale d’une Grèce blanche du marbre de ses statues dont les Occidentaux seraient les héritiers supposés a entraîné, en retour, l’affirmation d’une altérité caractérisée par les peaux les plus colorées et les plus sombres, supposées inférieures. La célébration, trop longtemps, dans la muséographie et les discours modernes d’une blancheur pourtant synonyme d’inachèvement pour les Grecs est une illustration des errements induits par une association stricte entre couleurs (ici de la peau) et patrimoines communautaires ou nationaux (P. Jockey, Le mythe de la Grèce blanche. Histoire d’un rêve occidental, Paris, Belin, 2013). A l’opposé, les statues médiévales de « Vierges noires » (Vierge noire du Puy-en-Velay, Vierge de Font-Romeu, etc.), dont la couleur originelle n’était, sans doute la plupart du temps, pas noire, ont fait l’objet, au XIXe siècle, d’un processus d’appropriation qui non seulement a vu l’invention de cette dénomination de « Vierge noire », mais encore a été parfois accompagné d’un phénomène d’ethnicisation (cf Sophie Brouquet (dir.), Sedes Sapientiae. Vierges noires, culte marial et pèlerinages en France méridionale : [actes du colloque, Rocamadour (Lot), 19 et 20 octobre 2013], Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2017).

Le présent appel à contributions vise à approfondir ces pistes. Trois perspectives peuvent être mises en avant dans l’étude du lien entre la perception culturelle des couleurs de la peau et les processus de patrimonialisation.
On peut d’abord s’intéresser à l’évidence matérielle des couleurs de la peau, à la surface d’une œuvre, dans différents contextes d’exposition et d’utilisation (sacrés, publics, privés) aujourd’hui approchée de plus près grâce aux progrès constants des sciences du patrimoine. Certains matériaux, certaines techniques ont-ils été privilégiés à certains moments de l’histoire, dans certains foyers artistiques, pour représenter la couleur des carnations, et que peuvent nous en dire les sciences du patrimoine ? On sait désormais que les statues dans l’Antiquité faisaient l’objet de traitements de surface complexes, de création de patines, que les techniques d’imagerie et de caractérisation physico-chimique permettent aujourd’hui de mieux saisir. Dans quelle mesure les contraintes patrimoniales contemporaines informent-elles les protocoles instrumentaux et expérimentaux de caractérisation des matériaux de la couleur et des processus qui leur sont attachés ?
Un deuxième axe de questionnement pourra concerner les processus volontaires ou involontaires d’altération des couleurs dans les représentations du corps et de la peau, quel que soit le support (peinture, dessin, sculpture, tapisserie, etc.). Quelle est ici la part des contraintes matérielles, physiques et d’usages (dans le temps long) ? Plusieurs éléments peuvent être explorés : les rôles joués éventuellement par les supports, les matières picturales, les vernis et les patines dans ces processus d’altération. Les pratiques rituelles (toucher, baisers, etc.) ont-elles également contribué à ces dégradations ? Qu’en est-il des erreurs et maladresses de restauration ? Observe-t-on des processus spécifiques d’oblitération des couleurs de la peau (occultations, destructions volontaires), dans des contextes religieux, politiques, sociaux et sociétaux ? Au-delà, on pourra s’intéresser également aux expressions numériques contemporaines de la couleur des carnations, excès de couleurs ou reconstructions chromatiques. Quelles places de telles altérations volontaires ou involontaires des couleurs des peaux représentées occupent-elles dans l’élaboration des discours patrimoniaux, au prix de malentendus voire de contresens ? Peut-on en retracer l’histoire ?
Enfin, les contributions pourront tenter de répondre aux questions suivantes relatives aux liens entre identités, patrimoines et couleurs de la peau.  Ces dernières définissent-elles un horizon culturel et politique hérité de (supposés) ancêtres ? Participent-elles activement ou non d’une construction patrimoniale en en faisant un discriminant identitaire ? Observe-t-on dans l’histoire la mise en scène de ces discriminations par des traitements et des dispositifs picturaux exaltant par exemple la clarté de l’incarnat des uns versus la noirceur et le désordre pigmentaire de la peau des autres ? A quel moment note-t-on éventuellement dans l’histoire une inversion des valeurs chromatiques allouées à la peau de l’autre, leur conférant une valeur positive ? Par qui, selon quelles modalités et dans quels contextes historiques et sociaux une telle révolution des valeurs a-t-elle pu intervenir ?

Les propositions d’articles (en français ou en anglais), pour ce volume collectif sur les rapports entre patrimoine et représentation des couleurs de la peau, peuvent porter sur toutes les périodes historiques, toutes les aires géoculturelles, en prenant en compte l’ensemble des dimensions de la couleur (teinte, clarté, saturation, « césie » (c’est-à-dire matité, brillance, transparence, etc.)
Les résumés des propositions sont à envoyer à Philippe Jockey (philippe.jockey@parisnanterre.fr) et Romain Thomas (romain.thomas@parisnanterre.fr) avant le 2 janvier 2023. Ils ne dépasseront pas 350 mots, et seront accompagnés d’une courte biographie (1 page maximum) de l’auteur/trice.
Cet appel à contributions est lancé dans le cadre du programme Patrimoniochromies du Labex Les passés dans le présent. Le volume collectif ainsi édité prendra place dans la  série Travaux et Recherches de la collection Les passés dans le présent éditée par les Presses Universitaires de Paris Nanterre https://presses-universitaires.parisnanterre.fr/index.php/2021/05/17/les-passes-dans-le-present-labex/
Chaque article fera l’objet d’une double évaluation anonyme.

Calendrier général :
2 janvier 2023 :
date-limite de retour des résumés (350 mots, maximum) ;
1er février 2023 : avis sur le résumé ;
15 juin 2023 : date-limite de remise des textes complets ;
Automne 2023 : décision définitive.

Editeurs scientifiques :
Philippe Jockey, professeur d’histoire de l’art et d’archéologie du monde grec à l’université Paris Nanterre.
Romain Thomas, maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’université Paris Nanterre.

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Call for papers (deadline 2 January 2023), collective volume
Patrimoniochromies. Heritages and representation of skin colours
This call for contributions is launched within the framework of the Patrimoniochromies programme (Labex Les passés dans le présent). The edited volume will be published in the series Travaux et Recherches of the collection Les passés dans le présent published by the Presses Universitaires de Paris Nanterre https://presses-universitaires.parisnanterre.fr/index.php/2021/05/17/les-passes-dans-le-present-labex/

White skin, black skin, red skin,… Since ancient times, skin colour has often been used to differentiate between cultural groups, but also to characterise the state of health of individuals or to describe their emotions. Figurative representations are among the privileged supports of such discourses, and the history of art abounds with such examples. Thus, recently, art historians and historians have been interested in the staging of black models in painting (exhibitions « Le modèle noir » (I. Bardon et al. (eds), Le modèle noir. De Géricault à Matisse : [exposition, Paris, Musée d’Orsay, 26 mars-21 juillet 2019, Pointe-à-Pitre, Mémorial ACTe, 13 septembre-29 décembre 2019] / [organisée par les Musées d’Orsay et de l’Orangerie ; the Miriam and Ira D. Wallach art gallery, Columbia university in the city of New-York], Paris, 2019) and ‘Black is beautiful’ (E. Schreuder & E. Kolfin (eds), Black is beautiful. Rubens to Dumas : [exhibition], Amsterdam / Zwolle, 2008)). They have also investigated the pictorial techniques used to represent skin tones (Y. Schmuhl et al. (dir.), Inkarnat und Signifikanz. Das menschliche Abbild in der Tafelmalerei von 200 bis 1250 im Mittelmeerraum, Munich, 2017 ; M. Aschehoug-Clauteaux, Les couleurs du corps, Paris, 2018), or to the colours of health conditions (F. Collard & E. Samama, Le corps polychrome. Couleurs et santé. Antiquité, Moyen Âge, Époque moderne, Paris, 2018).
Can we go further and highlight the role of the cultural perception of skin colour in heritage elaborations themselves, through the ages? The centuries-old non-reception of polychromy in ancient Greek sculpture, despite the ever-increasing material evidence, may be a useful starting point for this reflection. The Western invention of a white Greece embodied in the marble of its statues, of which Westerners would be the supposed heirs, has led, in return, to the affirmation of an otherness characterised by the most coloured and darkest skins, supposedly inferior. The celebration, for too long, in modern museography and discourse of a whiteness that was synonymous with incompleteness for the Greeks is an illustration of the errors induced by a strict association between colours (in this case skin colours) and community or national heritages (P. Jockey, Le mythe de la Grèce blanche. Histoire d’un rêve occidental, Paris, Belin, 2013). In contrast, the medieval statues of ‘black Madonnas’ (the Black Madonna of Puy-en-Velay, the Madonna of Font-Romeu, etc.), whose original colour was probably not black most of the time, were the subject of a process of appropriation in the nineteenth century that not only saw the invention of the phrase ‘Black Madonna’, but was also sometimes accompanied by a phenomenon of ethnicisation (cf Sophie Brouquet (dir.), Sedes Sapientiae. Vierges noires, culte marial et pèlerinages en France méridionale : [actes du colloque, Rocamadour (Lot), 19 et 20 octobre 2013], Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2017).

The present call for papers aims to explore these avenues further. Three perspectives can be put forward in the study of the link between the cultural perception of skin colours and the processes of patrimonialisation.
Firstly, we can look at the material evidence of skin colours, on the surface of an artwork, in different contexts of exhibition and use (sacred, public, private), which is now being approached more closely thanks to the constant progress of Heritage Science. Were certain materials and techniques favoured at certain times in history, in certain artistic centres, to represent the colour of skin tones, and what can Heritage Science tell us about this? We now know that statues in Antiquity were subject to complex surface treatments and the creation of patinas, which today imaging and physico-chemical characterisation techniques allow us to understand better. To what extent do contemporary heritage constraints inform the instrumental and experimental protocols for characterising colour materials and the processes associated with them?
A second line of questioning could concern the voluntary or involuntary processes of alteration of colours in representations of the body and the skin, whatever the medium (painting, drawing, sculpture, tapestry, etc.). What is the role of material, physical and usage constraints (over time)? Several elements can be explored: the roles played by supports, pictorial materials, varnishes and patinas in these alteration processes. Did ritual practices (touching, kissing, etc.) also contribute to these degradations? What about mistakes and clumsiness in restoration? Are there specific processes of obliteration of skin colours (occultations, voluntary destruction) in religious, political, social and societal contexts? Beyond that, we could also be interested in contemporary digital expressions of skin colour, colour excess or chromatic reconstructions. What place do such voluntary or involuntary alterations of the colours of the depicted skins occupy in the elaboration of heritage discourses, at the cost of misunderstandings or even misinterpretations? Can we trace their history?
Finally, the contributions may attempt to answer the following questions regarding the links between identities, heritages and skin colours.  Do the latter define a cultural and political horizon inherited from (supposed) ancestors? Do they actively or not participate in a heritage construction by making it an identity marker? Do we observe in history the staging of these discriminations through pictorial treatments and devices exalting, for example, the brightness of the incarnate of some versus the darkness and pigmentary disorder of the skin of others? At what point in history is there a possible inversion of the chromatic values attributed to the skin of the other, giving them a positive value? By whom, in what ways and in what historical and social contexts could such a revolution in values take place?

Proposals for articles (in French or in English) for this collective volume on the relationship between heritage and the representation of skin colour may cover all historical periods and all geo-cultural areas, taking into account all the dimensions of colour (hue, lightness, saturation, ‘caesity’ (i.e. mattness, shine, transparency, etc.).
Abstracts of proposals should be sent to Philippe Jockey (philippe.jockey@parisnanterre.fr) and Romain Thomas (romain.thomas@parisnanterre.fr) before 2 January 2023. They should not exceed 350 words, and should be accompanied by a short biography (1 page maximum) of the author.
Each article will be subject to a double anonymous expertise.

General schedule :
2 January 2023:
deadline for returning abstracts (350 words, maximum);
1 February 2023: first decision on the abstract;
15 June 2023: deadline for submission of full texts;
Fall 2023: final decision.

Scientific editors:
Philippe Jockey, professor of art history and archaeology of the Greek world at the University of Paris Nanterre.
Romain Thomas, lecturer in modern art history at the University of Paris Nanterre.

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