Appel à contribution
Workshop international : « Autoportraits en costumes : jeux d’identifications multiples / Self-portraits in costume: multiple identities at play »
24 novembre 2017, Nantes, Ecole des Beaux Arts
Projet co-organisé par Valérie Morisson (Université de Bourgogne – TIL), Julie Morère (Université de Nantes – CRINI), Emmanuelle Cherel (Beaux Arts Nantes – CRENAU), en collaboration avec Laurent Mellet (Université de Toulouse – CAS ARTLab)
Autoportraits déguisés : moi est un autre
L’autoportrait semble pouvoir être une confession sincère (comme le suggère Philippe Le Jeune dans Le Pacte autobiographique, Seuil, coll. « Poétique », 1975) ou bien une stratégie de dissimulation. Il s’agit bien souvent d’une représentation de soi dépassant le « sujet artiste » représenté pour aborder d’autres questions plus vastes. De la même manière, l’autoportrait en costume, ou déguisé (en peinture, photo, vidéo), dans lequel moi devient autre, peut soit préserver l’artiste d’une exposition/exhibition de soi, ou le mener vers des je/ux parfois dangereux. C’est un genre ou un mode complexe que cette conférence entreprend de mieux cerner. En peinture, le costume bénéficie d’un intérêt nouveau : dans Fabric of Vision : Dress and Drapery in Painting (Bloomsbury Academic, 2016), Anne Holander souligne que le vêtement est aussi important aux yeux du peintre que tout autre élément de la composition. Cela est d’autant plus vrai du costume ou déguisement dans l’auto-portrait. Dans certaines compositions classiques, plusieurs peintres ont joué à dissimuler une image d’eux-mêmes en costume. En effet, Véronèse, vêtu de blanc, apparaît dans Les Noces de Cana, 1562 tandis que Rembrandt se pare d’un vêtement oriental dans un très célèbre autoportrait, L’Artiste en costume oriental (1631). L’autoportrait doit être considéré autant comme un dispositif expérientiel privé, voire intime, d’exploration de soi que comme une mise en scène de soi destinée à être exposée publiquement, questionnant le statut social et politique de l’artiste, de l’individu, de sa communauté. Le port d’un costume introduit une complexité ou un artifice supplémentaire dans ce double processus, puisqu’il peut être simplement ludique, ou bien plus troublant. Or, malgré l’abondance d’autoportraits en costume, cette complexité n’a que très peu été explorée.
Etant donné que l’autoportrait est une découverte de soi progressive, à laquelle beaucoup d’artistes se confrontent intimement, et qui suppose un dispositif souvent expérimental, il se prête à des jeux d’éclairages, de poses, et de vêture. Se costumer, se maquiller, se grimer, se travestir pour s’explorer, prendre l’identité d’un autre ou modifier son corps, relève soit d’une démarche documentaire soit d’une mise en scène fictionnelle et s’adosse à différents modes autobiographiques. L’artiste peut en effet se déguiser pour habiter différentes époques, aires géographiques, ou identités et le costume être utilisé comme signe visible de normes sociales et codes vestimentaires. Mais l’autoportrait en costume opère aussi dans le monde de la fantaisie et du fantasme, affranchissant le sujet de toute contrainte. L’accoutrement est à appréhender dans toute sa matérialité, notamment lorsqu’il est réalisé de manière artisanale, voire bricolé à partir de fragments, rebuts ou vestiges, le procédé de réalisation du vêtement étant alors à considérer comme œuvre, cette dernière se faisant performative. Dans certains autoportraits, le costume envahit le corps, l’ensevelit, le suffoque, point extrême du camouflage et de la dissimulation, mise à mort d’un individu singulier, sans visage.
Assurément, le costume (le vêtement, les accessoires, le maquillage) est bien plus qu’un signe qui traduit une appartenance sociale ou ethnique : revêtu, il suppose un acte performatif par lequel l’artiste absorbe une identité, incarne l’Autre au point de se fondre dans la persona. Par le truchement d’une identité recomposée, voire empruntée, l’artiste déjoue toutes les attentes associées à l’autoportrait. Si l’autoportrait en costume induit souvent une narrativité, cette dernière est fictionnelle, irréelle, fantasmatique, voire virtuelle. Ce mode nous conduit conséquemment souvent aux portes de l’imaginaire, un imaginaire où le corps est le lieu de l’expérience d’une altérité complexe.
L’autoportrait en costume s’avère dans de nombreux cas subversif et critique. S’appuyant sur les codes vestimentaires qui trahissent les valeurs d’une société, ces autoportraits peuvent déconstruire les stéréotypes et le discours normatif sur le corps et l’identité (sociale, sexuelle, ethnique). L’exotisme du costume ou déguisement renvoie le spectateur à l’artificialité (inévitable peut-être) de l’autoportrait et à son théâtralisme. Face à une inauthenticité délibérée et à l’artifice plus ou moins marqué du dispositif, le spectateur est fréquemment débouté. Néanmoins, quand l’autoportrait déguisé revisite des formes anciennes en s’appuyant sur l’inter-iconicité, le spectateur devient complice du pastiche, de la parodie, ou de la satire. Les artistes contemporains qui empruntent au postmodernisme ses stratégies satiriques proposent des représentations d’eux-mêmes interrogeant l’intégrité, l’individualité, l’autonomie du sujet mais aussi de l’œuvre et, plus spécifiquement, de l’autoportrait. Dans une perspective postcoloniale, l’autoportrait en costume (repris par exemple des classifications ethnographiques, ou issu de la science fiction) tend à remettre en cause les politiques de la représentation et leur rapport aux discours dominants. Il oblige à un questionnement sur les rapports de pouvoir, sur l’intersectionnalité des rapports sociaux, en invitant à cesser de performer les clichés, en œuvrant pour le devenir minoritaire et des identifications multiples, diffractées, changeantes, composites, partagées par des contradictions culturelles et sociales. D’autres autoportraits très contemporains de l’artiste en Autre sont hantés par une vision cauchemardesque qui renvoie au clivage de l’être que la psychanalyse a investigué et que l’avancée du post-humain rend plus tangible.
Il y a donc bien plus que de la fantaisie ludique dans ces auto-mises-en-scène : l’autoportrait déguisé, à la frontière de la satire et du carnavalesque, peut masquer ou camoufler le sujet pour diverses raisons ; il peut poser la question de l’intégrité du corps, de l’individualité et de l’authenticité, notamment quand l’artiste s’engage dans un travail sériel. En modifiant son identité ou son sexe l’artiste explore les normes de la société dans laquelle il vit et se fait porte-parole, ou porte-corps. Cette conférence propose d’étudier plus en détail ces diverses stratégies de déguisement qui sont particulièrement nombreuses dans la création contemporaine. La réflexivité et l’auto-référentialité postmodernes, mais aussi les évolutions technologiques facilitant la manipulation des images ont rendu ces pratiques aisées –comme en témoignent les selfies dans l’art, ou l’avatar (si tant est qu’il est un autoportrait déguisé).
La réflexion posée dans la création contemporaine sur les relations animalité/humanité, corps/machine, inspirées des critiques de l’ontologie de l’être (E. Kosofsky Sedgwick, Donna Haraway, Mel Y. Chen), la transformation de soi en autre et l’intégration –in/corporation—d’un autre soi dans des œuvres explorant le motif du double, sont des stratégies d’introspection qui méritent toute notre attention.
Les propositions d’une longueur de 300 mots environ pourront être transmises à valeriemorisson@gmail.com, julie.morere@univ-nantes.fr et emmanuelle.cherel@gmail.com, accompagnées d’une courte notice biographique, avant le 30 mai 2017.
Elles seront examinées par le comité scientifique (Valérie Morisson, Université de Bourgogne – TIL EA4182, Julie Morère, Université de Nantes – CRINI, Emmanuelle Cherel, Beaux Arts Nantes – CRENAU, Laurent Mellet, Université de Toulouse – CAS ARTLab)
cfp_Autoportraits en costumes EBA Nantes
Source: Calenda, http://calenda.org/396153
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