Appel à publication : « Crash, splash, boum », Specimen, n°9, 2016

CRASH (John Crash Matos dit), The first puzzle, 1984Crash, ou la rencontre vive de deux solides qui se retrouvent désorganisés l’un par l’autre : accidents routiers, blessures, chocs sportifs, etc.

Splash, ou un liquide qui vient s’étaler sans calcul sur une surface, ou la surface liquide perturbée par la chute d’un solide malvenu. C’est autant la peinture lancée, le pavé dans la mare, que le train de la fête foraine fonçant dans l’eau.

Boum, ou l’explosion interne, un solide qui se fragmente en tous sens ou un son sourd répété. C’est l’avenir présumé d’un colis qu’on nous annonce suspect autant qu’un son entêtant, qu’un pétard d’enfant ou que le métronome du film d’action.

La matière et le subit

Ici, le commun des trois mots est dans la soudaineté, la précipitation, la violence. Ils disent les événements, qu’ils soient accidentels ou intentionnels, appliqués ou hasardeux, d’une matière qui ne se meurt pas, qui ne se décompose pas, qui ne pourrit ni ne se gâte ; mais une matière qui jaillit, éclabousse, explose, éclate, s’entrechoque, cogne, claque, retentit, etc. À la différence de l’usure, du vieillissement, crashsplash ou boum désignent des dynamiques – provoquées volontairement ou non – où la matière se fait et se défait vite : par un télescopage solide ou liquide, ou par une explosion. Selon sa constitution, selon ce qu’elle rencontre ou ce qu’on lui fait rencontrer, la matière subit de multiples bouleversements.

C’est cette modalité des compositions et recompositions de la matière, non plus patiemment travaillée et organisée, mais soumise au changement aléatoire, inopiné, subit, que le présent appel à contribution souhaite explorer.

Plusieurs raisons pourraient expliquer que l’on s’attarde sur cette brutalité. Certaines pratiques contemporaines ont en effet indéniablement recomposé les techniques comme les institutions, et ont ainsi conduit à reconsidérer l’usage de la matière. Celle-ci, par ce qu’elle a de primitif, persiste à demeurer fascinante.

De l’apprivoisement à l’extension de la matière

Après des siècles d’apprivoisement (voire d’assujettissement) de la matière – surtout picturale et sculpturale – à des fins de représentation, celle-ci est devenue un élément central de la pratique artistique en tant que radicalité. L’extension de son domaine, sa libération, corollaire notamment d’une volonté de libération des formes, font d’elle un objet de pensée et d’art central. Le principe d’agencement de la matière, accusé d’être au fond principe de domination, se trouve régulièrement remis en question : que ce soient des matières non nobles à qui l’on rend droit d’exposition et de regard, ou le corps humain lui-même – matière fascinante en perpétuelle recomposition – devenu objet même d’expérimentation, nombreux sont les exemples qui témoignent d’une volonté d’affranchir la matière et de lui rendre une place et un pouvoir premiers.

Voir les transformations

Il peut s’agir aussi, dans une autre perspective, d’étendre le domaine de matière.

Aurions-nous d’autres / yeux plus forts – nous / pourrions – comme les rayons X – / voir nues / nos mèches – le squelette – / Aurions-nous d’autres yeux / – nous pourrions voir / l’extérieure enveloppe / de la flamme – et nous aurions / sûrement d’autres formes [1]

Longtemps, comme scientifiques, artistes et spectateurs, nous l’avons en effet abordée sans filtre technologique, sans dispositif de vision ou d’écoute autre que nos yeux et nos oreilles, et nous ne pouvions alors douter que ce qui fait crash à nos yeux nus peut aussi faire splash ou boum en slow-motion, à une macro-échelle ou à un niveau d’écoute hypersensible. À d’autres organes de perception, d’autres métamorphoses de la matière, d’autres perceptions et d’autres oppositions. La matière cellulaire peut ainsi, comme dans l’apoptose, mourir, imploser pour permettre à l’organisme de continuer de vivre. Ainsi, à des yeux et des oreilles contemporains, que l’on suréquipe parfois, crashsplash et boum peuvent changer de forme.

Dire les transformations

Ou encore : crashsplash et boum sont parmi les premiers mots qui viennent à la bouche pour décrire un événement matériel catastrophique ; ce sont donc les images immédiates de l’événement qu’un tel triptyque pourrait se proposer d’explorer. Au cœur de l’onomatopée demeure en effet la dynamique originelle du mouvement décrit, mais une dynamique que la parole articulée n’a pas encore apprivoisée, qu’elle ne sait pas encore dire, dont elle ne peut encore tout à fait expliquer le principe ou la forme. Se donne donc une manifestation directe, semble-t-il presque par elle seule. Il y a dans ces onomatopées l’immensité du mot unique et informe pour l’événement. L’onomatopée ne peut que s’arrêter à dire l’indétermination, et témoigner d’un mouvement intouché, manifesté tel, livré dans le bruit fruste. Ce pourrait donc être cette saisie primitive d’une transformation soudaine que crashsplash et boum décriraient synthétiquement – impliquant conséquemment, aussi, la question du témoignage : après la perturbation, que demeure-t-il, et de quoi témoigner ? de ce qui reste ? de ce qui naît ? de ce qui a disparu ?

Ces raisons, qui sont autant de pistes pour le contributeur, ne sont bien évidemment pas les seules que l’on puisse invoquer pour justifier l’intérêt d’un thème tel que : « Crash, splash, boum ». D’autres existent, que Specimen accueillerait avec joie.

L’inexclusivité de ce qui précède

Mais, pour être dit encore autrement, mais non exclusivement : « Crash, splash, boum », ce pourrait être la trinité de la transformation de la matière et par la matière, permettant ainsi d’entrer dans l’histoire des matières en art ; dans les matières contemporaines et leur hybridation ; dans les pratiques quotidiennes de la transformation de la matière (cuire, croquer, mâcher) et leurs implications anthropologiques ; dans les nouveaux dispositifs de vision (lunettes, écrans, réalité augmentée) ; tout comme dans l’ouverture des institutions aux arts non classiques. Ce pourrait être aussi l’annonce, qui copie son sujet, du bruit et du son dans leur représentation primitive, que cela concerne au cinéma comme au théâtre, les raisons et modalités du bruitage ou du non-bruitage comme de l’augmentation du son ; les bruits de fureur associés aux hétérotopies (casino, fêtes foraines, …) ; le son que certains dénoncent parfois comme un boum boum mais qui fait phénomène car il fait danser des millions de personnes, parfois des milliers dans un même lieu, et inspire même certaines groupes en expérimentation ; ou encore le domaine de l’infans en art : le langage inarticulé, pauvre ou en acquisition, notamment dans le domaine musical avec les contines, les ballades ou les formes musicales primitives, leurs fonctions sociales, culturelles et artistiques.

L’extensibilité d’une trinité

Ainsi, au-delà de tous ces exemples, ces trois « termes » nous ont paru représentatifs d’un spectre assez large pour ne pas avoir à être entièrement formulé. Car ce pourraient en être quelques autres aussi que, par souci d’économie, nous avons exclu au moins dans notre formulation. Libre au contributeur d’en trouver d’autres, de les déplier et d’étudier ces différentes brusqueries auxquelles la matière est soumise. L’approche du thème proposé est donc laissée au soin du contributeur. Que celui-ci choisisse de s’obstiner strictement sur un seul des trois mots, qu’il tente de trouver un sens ou une logique au triptyque ou simplement un lien entre deux de ces mots, ou encore qu’il tente de dépasser « Crash, splash, boum » pour proposer d’autres bruits, et l’appel se trouvera rempli.

Revue « d’art et d’essai », Specimen ne demande qu’une chose : que des œuvres, des mouvements, des pratiques, des écoles, des figures ou des cultures artistiques trouvent une place privilégiée au sein de la réflexion – que cela soit en tant qu’objet, exemple ou prétexte. Une forme étant ce qui se regarde et l’art étant principe d’agencement – aussi désordonné cet agencement souhaite-t-il paraître –, il est naturel que des mots qui disent la déformation puissent susciter des réflexions. Comme ce que sa formulation décrit, ce que cet appel souhaite rassembler ne sont pas des objets, des termes ou des conclusions, mais la dynamique la plus vive possible.

[1] Edvard Munch, and Frank Høifødt. The Private Journals of Edvard Munch: We Are Flames Which Pour Out of The Earth. Translated in French from J. Gill. Madison (Wis.), United States: University of Wisconsin Press, 2005, p. 67.

Modalités de soumission

Les contributions, de 20 000 signes maximum (espaces compris), sont à envoyer avant le 2 novembre 2015, accompagnées d’une brève biographie, à l’adresse suivante : revue.specimen@gmail.comPour toute question, n’hésitez pas à nous contacter à cette même adresse.
Pour consulter les derniers numéros de la revue : www.specimen-la-revue.fr

Normes typographiques

Afin de faciliter le travail du comité et de la graphiste, merci de bien vouloir prendre en compte les normes typographiques suivantes pour la composition de vos articles :

  • Format d’envoi. Document Word (.doc, .docx)
  • Signes. 20 000 maximum (espaces inclus)
  • Accentuation. Mettre les accents aux majuscules. Ex. : À, Était, …
  • Appel de note. Avant la fermeture des guillemets et avant l’accentuation. Ex. : « … à deux3. »
  • Guillemets. On utilise les guillemets français « … », et les guillemets anglais pour une citation dans la citation « “…” ». Si la citation est constituée d’une phrase complète et autonome, on commence par une majuscule et on met la ponctuation finale avant les guillemets fermants. Dans le cas contraire, la ponctuation se place après les guillemets.
  • Note bibliographique. Prénom Nom, Titre, Ville, Édition, AAAA, Page
  • Note d’œuvre. Prénom Nom, Titre de l’œuvre (AAAA), Dimensions, Ville et lieu d’exposition et/ou ville et lieu de conservation
  • Espaces. Les espaces insécables se mettent avant les signes de ponctuation doubles (: ; ? !) et à l’intérieur des guillemets « … ».
  • Droits de reproduction. Les auteurs sont invités à faire les démarches d’autorisation de reproduction des images qu’ils souhaitent publier. Les droits sont pris en charge par la revue dans la mesure de ses capacités financières. En cas de difficultés ou de questions sur la procédure, contacter la rédaction.

Membres du comité de la revue Specimen

Comité de lecture des contributions du n°9

  • Thomas Bruckert, Normalien, certifié en Philosophie, Doctorant en Études théâtrales à l’École normale supérieure de Lyon
  • Hugo Dallacosta, Agrégé de Philosophie, Doctorant en Philosophie à l’université Lyon 2
  • Nina Leger, Normalienne, certifiée en Lettres Modernes, Doctorante en Histoire de l’art à l’université Paris 8
  • Quentin Rioual, Normalien, certifié en Lettres Modernes, Doctorant en Études théâtrales à l’Université Paris-Ouest Nanterre

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