Le clair-obscur, considéré depuis longtemps comme une notion-clé dans la technique de la peinture, a récemment fait l’objet d’analyses d’ordre esthétique et philosophique. La définition qu’en donne Roger de Piles dans son Cours de peinture par principes faisait partie intégrante de sa défense de Rubens dans le cadre de la « querelle du coloris », dans laquelle Rubens fut tenu pour un défenseur du primat du dessin. L’Encyclopédie, quant à elle, considère le clair-obscur essentiellement comme un problème de distribution des ombres sur l’ensemble d’un tableau, et ainsi le fait dépendre de la catégorie rhétorique de la dispositio. De façon plus générale, on peut considérer la clarté et l’ombre comme deux matrices interdisciplinaires essentielles dans la période pré-moderne qui concernent, entre autres, l’optique, l’esthétique, et l’épistémologie de la perception. C’est dans une même perspective interdisciplinaire qu’il faut placer les interventions que fit Diderot au sujet du clair-obscur, dans son Salon de 1767. Autrement dit, ce concept de clair-obscur se place dans une tendance plus vaste à lier la couleur et le son à l’époque prémoderne en Europe.
La discussion du clair-obscur ne doit cependant pas se cantonner au seul domaine de l’esthétique visuelle, car ce phénomène pictural touche également les réformes théâtrales, qui au milieu du dix-huitième siècle, bouleversent la technique de l’éclairage de la salle et de la scène, permettant des effets plus ambitieux qui miment le clair-obscur de la peinture, rendent possible la représentation des différents moments de la journée et de la nuit, et font ainsi entrer la clarté et les ombres dans l’esthétique du tableau qui progressivement structure la représentation théâtrale. Par ailleurs, étant donné l’importance des Beaux-arts réduits à un même principe (1746), où l’abbé Batteux considère le clair-obscur comme l’une des trois techniques qui offrent à la peinture une expression analogue à celle que permet la poésie, il convient de considérer l’usage de ce concept à travers l’ensemble des arts. Par exemple, son emploi est bien attesté dans la musique, où le clair-obscur pouvait désigner, inter alia, des effets de demi-teinte (ombres), produits par la juxtaposition des harmonies majeures et mineures et créant une épaisseur harmonique (Gluck). Le clair-obscur pouvait également désigner le mélange du comique et du tragique au sein d’une même oeuvre (Sedaine), mélange où il peut s’agir d’hybridation ou de juxtaposition selon l’écrivain en question ; la tension entre ces deux techniques relève également du discours sur la peinture. Enfin le terme désigne également les nuances d’expression du chant dans les manuels techniques. A contrario, au milieu du dix-huitième siècle, Ange Goudar, entre autres, se plaint de l’absence du clair-obscur dans certains ballets pantomimes qu’il a vus à la Comédie-Italienne et qu’il considère comme trop monochromes et ainsi dénués d’intérêt et de vraisemblance psychologique et dramatique. Il semblerait donc que le terme de clair-obscur désigne, dans tous les arts, les gradations de l’expression, concept qui est au coeur de l’idée néo-Aristotélicienne des nuances, qui désigne les degrés d’expression ou de sens, et qui ainsi montre que le monde se compose d’unités distinctes et est donc intelligible.
Le terme n’est cependant pas seulement une composante de la représentation artistique, que l’on a employée de façon analogique sur l’ensemble des différents arts de l’époque pré-moderne ; car les concepts de clarté et d’ombre désignaient couramment l’inspiration intellectuelle ou son contraire, le comique ou le tragique, l’inspiration divine ou l’abandon. Il s’agit donc d’une métaphore ayant des usages théologiques et épistémologiques qui traverse les périodes et les domaines intellectuels, et qui s’enracine dans une imaginaire symbolique. Ainsi le clair-obscur permet d’interroger ce qu’il est convenu depuis les recherches de Hans Blumenberg d’appeler la « métaphorologie ». Pourquoi, par exemple, ce concept fait-il partie intégrante du soi-disant « problème de Molyneux », l’ombre étant le moyen dont le sujet perçoit la forme et la perspective sans l’entremise du toucher, et pourquoi fait-il donc partie de l’exploration d’une connaissance commune indépendante des sens ? Par ailleurs, dans quelle mesure est-il légitime de penser en termes d’analogie entre les différents domaines de la pensée et de la représentation après l’effritement de l’ut pictura poesis, qu’il s’agisse du Laocoon de Lessing ou de L’Essai sur l’origine des langues de Rousseau (chapitre 16: « Fausse analogie entre les couleurs et les sons ») ? La métaphore perdure tout au long du dix-neuvième siècle, mais sans doute son fonctionnement est profondément bouleversé par ce processus : comment donc comprendre l’analogie dans la période moderne?
En vue de la publication d’un ouvrage collectif sur la notion de clair-obscur, seront les bienvenues toutes contributions écrites, qui traitent ou développent un ou plusieurs des domaines décrits ci-dessus, concernant la période allant de la Renaissance au romantisme. Pour proposer une contribution écrite (d’environ 6000 mots), veuillez envoyer un bref résumé (300-500 mots) à Mark Darlow, Dept. of French, Sidgwick Avenue, University of Cambridge, CB3 9DA, United Kingdom avant le 18 mars 2011.
Contact : Mark Darlow
Adresse : Dept. of French, Sidgwick Avenue, University of Cambridge, Cambridge, CB3 9DA, Royaume-Uni
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.